Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité. © xzarobas

Le Geyser, nid d’espions

Où il est question d’un agent secret français à la gâchette facile ainsi que d’un nid d’espions russes.

Les toits de la ville s’endormaient dans un ciel ténébreux, encore doucement tourmenté par les clameurs de la fête du travail. En ce 1er mai, du sommet de la basilique de Koekelberg, un homme (un touriste ? un prélat ? un fonctionnaire ? un muezzin ? un carillonneur ? un terroriste ? ) contemple Bruxelles de ses yeux bleu métallique. D’une voix puissante, il se met à psalmodier en russe dans un immense porte-voix de trois mètres cinquante de long. De temps à autre, il souffle aussi dans un cor de chasse, tout en se tournant alternativement vers les quatre points cardinaux. Que veut-il dire ? Mystère. Personne, dans le Geyser, ne parle russe. Mais tout le monde l’entend, cette déroutante et martiale mélopée. C’est très contrariant. Soudain, un coup de feu résonne. Le muezzin-abbé-touriste slave se tait. Le son est mort. Pourquoi ? Là encore, c’est l’énigme. Mais qu’importe : dans le café, on frotte ce qui n’est déjà plus qu’un souvenir et on le range à côté des verres, au-dessus du zinc.

La nuit devient plus noire et se met à remuer. Arrive un homme. Enervé. Français. Parisien, peut-être. Bien mis. La raie gominée sur le côté. Le costume chiffonné et postillonné de sang. Il s’appuie au comptoir. Ronchon, il commande un godet et commente :

– J’ai été réveillé par un homme qui hurlait à la mort du haut de cette tour ! J’ai dû le faire taire (1).

– Quoi ? Vous avez fait taire le muezzin !

– Ah ! C’était donc ça tout ce tintouin. Je pensais que c’était un espion russe. Je l’ai éliminé.

Lorelei, la serveuse, agite nerveusement la tête et deux torchons de cuisine, tout en se demandant si elle ne devrait pas appeler la police. Tout indique en effet que son client est un meurtrier sanguinaire. Prudemment, en lui servant ce qu’elle a de plus fort en magasin, elle ose un :

– Vous deviez vraiment le tuer ?

– Je réfléchis.

– N’importe quoi. Parlez, vous réfléchirez après. Goethe l’a bien dit : au début était l’action, non la pensée.

– Mais, j’ai agi, mademoiselle ! Et surtout… j’ai vu.

– Vous avez vu… ?

– Un nid.

– Un nid ?

– Sur votre toit, oui. Un nid d’espions (2).

A ces mots, tout le monde se leva d’un seul homme, direction la toiture. Arrivés là-haut, l’agent français du renseignement et les gens du Geyser virent que le toit était recouvert d’herbes folles et de fleurs de printemps. Des lièvres, des faisans et même des sangliers y gambadaient. Au centre, trônait un nid gigantesque, constitué de brindilles et tapissé d’une moelleuse moquette rouge. Trois hommes et deux femmes y buvaient de la vodka.

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, sur la Une, à 20h15…

(1) Cette réplique est celle du brillamment mauvais agent secret français Hubert Bonisseur de la Bath, alias OSS 117 (créé quatre ans avant James Bond). L’espion, incarné par Jean Dujardin, reviendra, début 2019, dans un troisième épisode cinématographique de la saga, après Rio ne répond plus et Le Caire, nid d’espions.

(2) Bruxelles est la capitale mondiale de l’espionnage. La Russie y posséderait un nid d’espions.

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