Le défi des intestins

Quels sont les grands défis que doivent aujourd’hui relever les experts pour pouvoir offrir des traitements médicamenteux encore plus efficaces et encore plus ciblés aux patients victimes d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (appelées aussi MICI) ?

Dans notre pays, environ 35.000 personnes sont actuellement atteintes d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin telle que la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique, dont la majorité ont eu leur première crise (accompagnée des crampes intestinales et diarrhées typiques) entre 15 et 25 ans à peine. Certaines se portent bien avec les médicaments classiques, les anti-TNF – des inhibiteurs de la protéine inflammatoire TNF-alpha. Une véritable révolution pour les patients lors de leur avènement sur le marché belge…  » Grâce à ces médicaments, nous avons pu pour la toute première fois obtenir une cicatrisation intégrale et une disparition complète des plaintes chez nombre de malades sans devoir recourir à la cortisone « , rappelle Séverine Vermeire, gastroentérologue à l’UZ Leuven.  » Nous préférons en effet éviter la cortisone à cause de ses nombreux effets secondaires, dont le ‘visage lunaire’ caractéristique mais aussi, à plus long terme, une ostéoporose accélérée. Malheureusement, les inhibiteurs du TNF aussi ont leurs limites : leur efficacité s’estompe au fil du temps chez 30 % des patients et chez 10 à 20 % d’entre eux, ils sont même inefficaces dès le début.  »

Nous investiguons actuellement chez des patients atteints de rectocolite hémorragique la possibilité de ‘corriger’ la composition de la flore intestinale par des greffes de matière fécale provenant de ‘super donneurs’.

De nouvelles cibles

La recherche de médicaments visant d’autres cibles que le TNF-alpha a déjà livré pas mal de résultats. En 2015 est ainsi arrivé sur le marché belge un nouveau produit (le védolizumab) qui entrave la migration des globules blancs de la circulation sanguine vers la zone malade de l’intestin où ils entretiennent l’inflammation.

Nous disposons également depuis 2017 d’un traitement capable de désactiver les protéines inflammatoires IL-12 et IL-23 (l’ ustékinumab) et, depuis peu, d’une molécule ciblant les enzymes de la famille JAK, qui jouent un important rôle de médiateurs de l’inflammation (le tofacitinib). S’y ajoutent plusieurs autres médicaments prometteurs actuellement en cours de développement.

 » Chaque nouveau produit visant un autre mécanisme de la cascade inflammatoire accroît le nombre total de personnes que nous sommes en mesure d’aider, résume le Pr Vermeire. La cible à atteindre n’est en effet pas la même chez tous les patients, sans compter qu’elle peut aussi changer au fil du temps chez un individu donné. Néanmoins, même à supposer que le traitement soit efficace, les chances qu’il induise une amélioration spectaculaire – comprenez, une cicatrisation intégrale de l’intestin et une disparition complète des symptômes sans recours à la cortisone – ne sont que de 30 à 40 %.  »

Prédire l’efficacité

À côté du fait que les traitements médicamenteux restent clairement améliorables, il existe encore un autre défi majeur pour les chercheurs.  » Nous n’avons actuellement aucun moyen de prédire quel médicament fonctionnera ou non chez un patient donné. Pour l’heure, nous en sommes donc réduits à procéder par essais et erreurs. Pour pouvoir faire des choix ciblés, nous aurions besoin de mieux comprendre ce qui déclenche exactement la cascade inflammatoire chez tel ou tel patient.  »

Des données touchant à la génétique, au système immunitaire et à la flore intestinale de milliers de patients ont déjà été récoltées un peu partout dans le monde. Il s’agit maintenant de les analyser…

Les experts ont déjà pu identifier 240 gènes, dont certains variants sont associés à un risque accru de MICI.  » Certains ont pour effet que les bactéries qui pénètrent dans la muqueuse au départ de l’intestin sont identifiées (et donc éliminées) trop tard ; d’autres que la réaction du système immunitaire aux bactéries indésirables est trop prolongée et trop violente.  »

La recherche a aussi pu démontrer que les patients souffrant d’une MICI ont une flore intestinale moins variée et proportionnellement plus riche en bactéries nuisibles.  » Nous investiguons actuellement chez des patients atteints de rectocolite hémorragique la possibilité de ‘corriger’ la composition de la flore intestinale par des greffes de matière fécale provenant de ‘super donneurs’, explique la spécialiste. Si ça marche, nous espérons pouvoir un jour proposer le cocktail de bactéries idéal sous la forme d’une pilule orale… mais jusqu’ici, l’utilité des greffes de matières fécales n’a été démontrée que pour le traitement des infections à Clostridium difficile résistant.  »

Le revers de l’industrialisation

La Pr Vermeire est aussi convaincue que notre mode de vie moderne joue un rôle dans l’apparition et le décours des maladies chroniques de l’intestin.  » Tant en Europe qu’aux États-Unis, ces maladies ont gagné du terrain parallèlement à l’industrialisation qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. À mesure que nous avons commencé à accorder une importance plus grande à l’hygiène et à consommer davantage d’antibiotiques, nous avons de moins en moins eu l’occasion de développer des défenses immunitaires qui ne se dérèglent pas trop vite. Notre alimentation aussi est progressivement devenue moins bénéfique pour nos intestins, avec davantage de viande rouge, de sucres raffinés et de graisses animales et moins de fibres végétales. Nous avons aussi commencé à consommer de plus en plus de produits industriels bourrés d’additifs de toutes sortes… et dont certains sont moins inoffensifs qu’il n’y paraît. Certains émulsifiants et épaississants, par exemple, pourraient déjà affecter la muqueuse protectrice de l’intestin aux concentrations minimes autorisées dans les aliments. Jusqu’ici, cet effet n’a toutefois encore été démontré que dans des études animales.  »

Les grandes villes occidentalisées d’Asie, du Moyen-Orient et d’Amérique latine sont actuellement en passe de rattraper l’Europe et les États-Unis, tant le nombre de patients victimes d’une MICI y augmente de façon spectaculaire.  » Il est donc plus que temps d’accorder plus d’attention aux revers de certains aspects de notre mode de vie occidental « , conclut le Pr Vermeire.

Quels symptômes intestinaux ?

Des crampes intestinales et problèmes de diarrhée qui persistent pendant plus de 4 à 6 semaines peuvent être le signe d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin… mais fort heureusement, elles trahissent le plus souvent un syndrome du côlon irritable, une maladie nettement moins grave qui n’est pas associée à un problème inflammatoire. Il est évidemment très important de bien faire la différence entre les deux.  » Une inflammation doit en effet être traitée au moyen d’anti- inflammatoires pour éviter que la situation ne se dégrade « , souligne la gastroentérologue Séverine Vermeire.

Pour en avoir le coeur net, on aura généralement recours à un examen endoscopique. Mais depuis l’an dernier, nous disposons d’un autre test remboursé, nettement moins invasif : l’analyse de selles dans laquelle le médecin fera mesurer le taux de calprotectine.  » Un résultat normal exclut presque à coup sûr l’hypothèse d’une maladie inflammatoire chronique. Lorsque les valeurs sont trop élevées, il faudra malheureusement tout de même réaliser une endoscopie pour déterminer s’il est question d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin ou d’une autre forme d’inflammation intestinale.  »

Le défi des intestins
© ISTOCK
Le défi des intestins
© ISTOCK

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire