L'étau se resserre autour de lui, mais Benyamin Netanyahou ne veut montrer aucun signe de faiblesse et exclut, pour l'instant, de démissionner. © n. elias/reuters

En Israël, le crépuscule de Netanyahou

Le Vif

La police a recommandé à la justice d’inculper le Premier ministre pour corruption. Même si l’issue est incertaine, le compte à rebours a commencé.

C’est l’histoire de ce type qui s’est jeté d’un immeuble de dix étages. A chaque étage, les gens l’entendaient dire : « Jusqu’ici, ça va. Jusqu’ici, ça va. Jusqu’ici, ça va. »  » On ne sait pas si Benyamin Netanyahou connaît cette réplique fameuse de Steve McQueen dans Les Sept Mercenaires. En tout cas, c’est ce que doit se dire le Premier ministre d’Israël à chaque nouvelle révélation qui tombe dans les multiples affaires pesant sur lui. Le sol n’est plus très loin, désormais. Car, cette fois, il ne s’agit pas de fuites dans la presse ni des frasques de son fils Yair, âgé de 26 ans, surpris à la sortie d’un bar à prostituées. Le 13 février, la police a recommandé à la justice d’inculper pour corruption, fraude et abus de confiance, le chef du gouvernement dans deux dossiers qui ont nécessité deux ans d’enquête, au cours de laquelle il a été entendu à sept reprises. A la télévision,  » Bibi « , au pouvoir depuis bientôt douze ans, a de nouveau réfuté ces accusations et exclu de démissionner.

Je suis de droite, mais j’en ai marre de le voir s’accrocher au pouvoir  » – Un manifestant

Plus que jamais, l’étau se resserre. Dans la première affaire qui lui est reprochée, baptisée le  » dossier 1 000 « , Netanyahou est soupçonné d’avoir reçu des pots-de-vin de la part de riches personnalités, comme James Packer, un milliardaire australien, ou Arnon Milchan, un producteur israélien à Hollywood – Pretty Woman, c’est lui -, sous forme de caisses de cigares, de bouteilles de champagne rosé et de somptueux bijoux. Son épouse n’est pas exempte de reproches. Sara a le goût du luxe et c’est de notoriété publique ; elle est régulièrement accusée d’être un tyran domestique par ses employés de maison et d’avoir une conduite dispendieuse aux frais du contribuable. Désormais, les Israéliens connaissent le montant de ces  » simples cadeaux entre amis « , tels que les présente le chef du gouvernement, et c’est un choc : près de 1 million de shekels entre 2007 et 2016 – l’équivalent de 230 000 euros. D’autant que Milchan aurait indiqué aux enquêteurs avoir expédié ces différents présents à la demande des Netanyahou eux-mêmes : selon le journal de gauche Haaretz, en pointe sur le dossier, Sara aurait ainsi passé commande de champagne peu après son audition judiciaire… Près de 80 témoins, dont l’ancien ministre des Finances Yair Lapid, ont été interrogés dans cette affaire, afin de savoir s’il y avait eu des contreparties. Or, selon la police, le Premier ministre a tenté de reconduire une loi fiscale qui aurait pu permettre à Arnon Milchan de ne pas payer certains impôts en Israël, tout en essayant de lui obtenir un visa longue durée aux Etats-Unis et en accordant un traitement de faveur à certaines de ses entreprises.

Avec sa femme, Sara, critiquée pour son goût du luxe et son train de vie, et deux de ses fils.
Avec sa femme, Sara, critiquée pour son goût du luxe et son train de vie, et deux de ses fils.© Reuters

Dans le  » dossier 2000 « , Netanyahou, qui méprise la presse, aurait tenté de passer un accord secret avec Arnon Moses, propriétaire du plus grand quotidien israélien, Yediot Aharonot, sa bête noire, afin d’obtenir une couverture plus favorable lors des élections législatives de 2015. En échange, le Premier ministre aurait carrément proposé de perturber la distribution d’un journal concurrent, Israel Hayom. L’accord a échoué, et la ligne du Yediot n’a pas changé. La police a pourtant estimé qu’il y avait matière à incriminer  » Bibi  » pour corruption. En revanche, elle ne s’est pas prononcée sur les autres affaires en cours, en particulier sur le  » dossier 3000 « , autrement plus stratégique. Il porte sur les circonstances dans lesquelles le gouvernement a acheté quatre Corvette et trois sous- marins nucléaires à un groupe allemand. Netanyahou n’est pas impliqué directement, mais les enquêteurs s’intéressent à l’un de ses avocats, David Shimron, compromis dans la transaction.

Tout repose désormais sur le procureur général, Avishai Mandelblit – naguère collaborateur de Netanyahou. Lui seul peut mettre en examen le Premier ministre. Ce qui permet à ce dernier de déclarer que les recommandations de la police  » ne valent rien « , d’affirmer que son rapport est  » aussi plein de trous qu’un fromage suisse  » et de rappeler qu’il a déjà fait l’objet d’une quinzaine d’enquêtes qui n’ont jamais abouti. Mandelblit sera méticuleux, c’est certain, étant donné la portée et les conséquences de sa décision. Celle-ci risque de prendre plusieurs mois.  » La loi ne lui fixe aucun délai, précise le politologue Denis Charbit, professeur à l’université ouverte de Ra’anana. Mais deux facteurs pèsent en faveur d’un examen rapide de sa part. D’abord, le procureur général connaît déjà parfaitement le dossier. Ensuite, le fait que Netanyahou soit impliqué dans deux dossiers, et non un seul, rend plus compliqué un classement sans suite. Car cela supposerait qu’il ne donne pas suite non plus aux demandes de poursuites contre Milchan et Moses.  »

Le procureur général Avishai Mandelblit, l'homme qui, seul, a le pouvoir de mettre en examen le Premier ministre.
Le procureur général Avishai Mandelblit, l’homme qui, seul, a le pouvoir de mettre en examen le Premier ministre.© G. tibbon/afp

Pendant ce temps, la pression monte, notamment dans la rue où, depuis la fin de 2016, tous les samedis, à la fin du shabbat, des manifestations ont lieu à proximité du domicile de Mandelblit et dans plusieurs villes du pays. En décembre dernier, lors de la première organisée à Tel-Aviv, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé contre la corruption. Alors que l’affluence avait tendance à baisser ces dernières semaines, voilà ces opposants soudain remobilisés. La majorité d’entre eux sont de gauche, mais pas seulement.  » Je suis de droite, confie Michaël, ce samedi de février, une pancarte anti-Netanyahou à la main. Mais j’en ai marre de le voir s’accrocher au pouvoir, avec un tel système corrompu qui continue.  » David, retraité, se montre plus patient :  » C’est une question de temps, dit-il. Car il ne peut pas continuer ainsi à diriger le pays. « 

Quel impact ces mouvements de protestation ont-ils sur l’opinion ? Faible, selon le politologue Emmanuel Navon, de l’université de Tel-Aviv.  » Les manifestants se font plaisir, souligne-t-il, mais ils donnent le sentiment de s’acharner contre le Premier ministre et sa famille, alors que le procureur n’a pas pris sa décision.  » Cela donne du grain à moudre aux partisans de Netanyahou, qui dénoncent carrément une tentative de  » putsch « , en cherchant à délégitimer toute opposition, la police et la presse.  » La gauche cherche à obtenir par la voie judiciaire ce qu’elle est incapable de gagner dans les urnes « , affirme Benyamin Lachkar, membre du comité central du Likoud, le parti de Netanyahou.

Autour de lui, il n’y a pas de successeur. C’est une tragédie, ça le rend éternel

Sur le plan légal, le chef du gouvernement n’est pas tenu de démissionner, même s’il est mis en examen.  » En mai, Israël fêtera ses 70 ans d’existence, il va de soi qu’il ne va pas céder la place à quelqu’un d’autre « , souligne Freddy Eytan, directeur du Centre des affaires publiques et de l’Etat, à Jérusalem. Pour l’heure, ses alliés politiques le soutiennent. Les ministres Avigdor Lieberman (Défense), Moshe Kahlon (Finances) et Naftali Bennett (Education), qui dirigent les trois partis de la coalition, ont décidé de rester au gouvernement. Le Premier ministre  » est présumé innocent « , affirment-ils – même si Bennett a taclé  » Bibi  » sur le plan moral. Alors que les élections sont prévues en 2019, aucun n’a intérêt à retourner aux urnes dans un futur proche, notamment le centriste Kahlon, fort de 10 sièges à la Knesset (Parlement), tant que sa politique contre les prix élevés de l’immobilier n’a pas porté ses fruits. Que feront-ils si le chef du gouvernement est mis en examen ?

Orit Galili-Zucker connaît bien Benyamin Netanyahou, puisqu’elle a été naguère sa conseillère en communication politique.  » Depuis trente ans qu’il est en politique, il sait que la perception est la clé de tout, décrypte-t-elle. Les gens ne l’aiment pas particulièrement, en raison de son absence de morale, mais il survit aux affaires parce qu’il a réussi à imposer l’idée qu’il est un homme d’Etat que personne ne peut remplacer, qu’il est le seul à avoir la stature pour assurer la sécurité du pays contre les menaces de toutes sortes (terrorisme, antisémitisme…), autant de causes qu’il amplifie selon ses intérêts. Il a dépensé énormément d’énergie à détruire tout rival. Quand vous regardez autour de lui, il n’y a pas de successeur, ni à droite ni à gauche. Cela explique aussi les hésitations des autorités judiciaires. C’est une tragédie, parce que cela le rend éternel.  »

En cas d'élections anticipées, le centriste Yair Lapid serait le mieux placé pour l'emporter.
En cas d’élections anticipées, le centriste Yair Lapid serait le mieux placé pour l’emporter.© t. coex/afp

Pour Netanyahou, le prochain homme à écarter s’appelle Yair Lapid, le patron du parti centriste Yesh Atid ( » il y a un futur « , en hébreu). Pas seulement parce que ce dernier a témoigné dans les enquêtes de police contre lui et qu’il a appelé à sa démission, car  » il n’y a aucun moyen de gouverner un pays sous une telle suspicion « . Cet ancien journaliste aux faux airs de George Clooney est, selon les sondages du moment, le mieux placé en cas d’élections anticipées – la gauche n’en profite pas, en raison du positionnement jugé trop centriste d’Avi Gabbay, le leader du Parti travailliste. Depuis un an, Lapid laboure le terrain, toutes les semaines dans une ville différente. Il passe bien à la télévision, dont il maîtrise tous les codes. On le dit opportuniste et sans idéologie. Lui se présente comme le candidat de la modernité et du progrès, là où Netanyahou incarne surtout la défense et la sécurité – deux qualités indispensables pour exercer la fonction en Israël.  » Les centristes sont des hommes politiques responsables, pragmatiques et modérés, et non des populistes, confie-t-il au Vif/L’Express dans son bureau de la Knesset. Le leadership n’est pas de dire aux gens ce qu’ils veulent entendre, mais de leur dire ce qui doit être fait.  » En Israël est nommé Premier ministre celui qui est capable de former une coalition. Or, Lapid a un problème majeur : il est l’adversaire des religieux ultraorthodoxes, sans lesquels rien n’est possible. D’où son souhait d’un gouvernement d’union nationale, avec le Parti travailliste et le Likoud.  » Ce dernier préférera l’opposition plutôt que de s’offrir à Lapid « , pronostique un élu à la Knesset. Tous ces calculs politiciens sont suspendus à la décision d’un homme de loi, Avishai Mandelblit, que tous, à droite comme à gauche, attendent avec fébrilité. Septante ans après sa création, Israël est devenu un Etat comme les autres…

Par Romain Rosso.

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