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Le coup du parapluie bleu

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Où il est question du roi Baudouin, d’espace-temps, d’un parapluie et d’un bristol.

Dans la soirée du 28 juin 2009, à l’université de Cambridge, l’astrophysicien Stephen Hawking organisa ce qui devait être la soirée du siècle, pour tous ceux qui se plaisent à voyager dans le temps. Hélas, hormis un type avec un parapluie bleu, peu de gens y assistèrent, faute d’avoir reçu leur invitation, envoyée, faut bien le dire, le lendemain des festivités.Dans la nuit du 5 octobre 1901, rue Quincampoix, à Paris, l’anarchiste Marius Jacob et ses hommes cambriolèrent la bijouterie Bourdin, avec un parapluie bleu : les trois brigands percèrent une ouverture dans le parquet de l’appartement sis juste au-dessus du coffre-fort convoité, y glissèrent le parapluie (qu’ils ouvrirent) et agrandirent le trou. Les gravats tombèrent sans bruit dans le tissu déplié, permettant aux cambrioleurs de mener à bien leur larcin, sans être inquiétés. Ils laissèrent derrière eux un bristol signé S. Hawking.

Dans la matinée du 2 juillet 1989, à Bruxelles, dans une giclée de pluie d’été, sous un parapluie invisible, le roi Baudouin fit une entrée remarquée au Café Geyser qui n’existait pas encore. Il y trouva le commissaire Emile Soda, planté dans une vraie brume de science-fiction, scrutant un orifice suspect qui tailladait le plafond jusqu’à Paris. Il tenait à la main un bristol signé S. Hawking.

– Commissaire, j’ai accouru dès que j’ai pu : j’ai vu sa photo dans le journal, enfin… dans le magazine et…

– Dans Le Vif ?

– Evidemment, dans Le Vif. Quelle question ! Bref. Je l’ai reconnu d’emblée : sa couverture en toile de soie bleue, sa belle carcasse à huit branches métalliques, son mât-tringle en fer télescopique, son joli manche en chêne tourné : c’est bien lui, j’en suis certain. Rendez-le moi.

– C’est à dire, Sire, que votre parapluie est en garde à vue.

– Et pour quel motif, je vous prie ?

– Effraction en bande organisée.

– Mais avec qui était-il donc ?

– C’est bien ça le problème : il était seul.

– C’est troublant.

– Très.

Quelques jours auparavant, le roi Baudouin avait fait déposer son pépin bleu à l’échoppe Fischer, pour sa révision des 30 000 gouttes. Las, un quidam s’en était emparé par mégarde (1). Jusqu’à présent, les tentatives couplées du grand-père Fischer et d’un motard du palais pour retrouver l’objet dérobé s’étaient avérées tout aussi vaines que pittoresques. Faute de rien, faute de mieux, le roi avait donc été contraint de s’abriter sous un parapluie chinois invisible qui n’avait pas encore été inventé en 1989 (2).

Juste avant d’être emmené, toutes sirènes hurlantes, vers l’hôpital psychiatrique de Tirlemont, le commissaire Soda rassembla les évidences disjointes, fit le point, la synthèse et dut se rendre à l’absurde évidence : le royal parapluie belge se baladait depuis des lustres dans l’espace-temps, sifflant du champagne à Cambridge en 2009, cambriolant Paris en 1901, crevant des plafonds bruxellois et dieu seul sait quoi encore. Préférant contourner la bizarrerie de la situation, personne ne crut l’exalté commissaire. Quand ce dernier pénétra dans sa chambre aux fenêtres grillagées, il aperçut un parapluie bleu ricanant dans un coin. Les hurlements du policier se mêlèrent à ceux de la bise.

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une à 20h15…

(1) L’anecdote du parapluie de Baudouin nous a été confiée par Christian Fischer, le dernier fabricant de parapluies de Belgique.

(2) En 2015 naquit un parapluie invisible, sans tissu, sans baleines, sans rien du tout, sauf un petit ventilateur motorisé qui propulse de l’air et chasse les gouttes.

Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d’observation. Et un tiers de réalité.

rosanne mathot

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