Sujette aux effrois, Blanche (Anne-Catherine Gillet) affronte néanmoins ses bourreaux en victime sereine et consentante. © LAMONNAIE.BE

Le calvaire de la peur

Mis en scène par Olivier Py à la Monnaie, Le Dialogue des Carmélites de Francis Poulenc condense les émotions mystiques. Angoisse, doute et déchirement.

Au départ, c’est une ignominie : la décapitation, à Paris, le 29 messidor an II (17 juillet 1794, à l’apogée de la Terreur), de seize religieuses jugées  » fanatiques et séditieuses  » (la benjamine a 29 ans, l’aînée, 78)… en réalité pas plus perturbantes qu’un bouquet de pâquerettes – elles ont fait voeu de pauvreté et vaquent à leurs prières silencieuses. Un siècle et demi plus tard, ce fait divers barbare inspire à Gertrud von Le Fort une nouvelle intitulée La Dernière à l’échafaud (1937), où la jeune soeur (fictive) Blanche de la Force, novice terrifiée, renonce à mourir en martyr, avant de se raviser. Georges Bernanos adaptera ce récit en un scénario de film, qui deviendra ensuite la pièce posthume Le Dialogue des Carmélites (1949), avant que Francis Poulenc n’en tire un opéra éponyme, créé à la Scala en 1957. Le destin tragique des guillotinées de Compiègne était bien de nature à séduire la Monnaie, à l’heure où notre monde patauge également dans d’innombrables frayeurs sourdes.

Pourtant, pas la moindre allusion, ici, au retour du religieux, sujet hautement inflammable.  » Je crois qu’il est plus important de considérer l’inactualité de l’oeuvre – son message spirituel – que de plaquer des thématiques sociales contemporaines qui nous empêchent d’entendre sa vérité « , estime Olivier Py dans sa note d’intention. Dans la boîte noire d’un décor austère, le metteur en scène français a choisi de peindre toute la palette des sentiments humains susceptibles d’expliquer le mystère de la foi d’une poignée de soeurs prêtes à mourir pour leur idéal. Dans cet opéra difficile – quasi exclusivement féminin, sans intrigue amoureuse, aux répliques souvent longues et dont le choeur ne chante qu’au dernier tableau -, culminent essentiellement la grâce et la peur. L’angoisse de la mort, surtout : durant trois heures, elle affole ou tétanise Blanche, et rend insoutenable l’agonie de la première prieure, délirante et blasphématrice, qu’une trouvaille géniale de Py fait périr comme crucifiée dans un lit placé de manière verticale.

Pour servir la musique néoclassique, simple et tonale de Poulenc, parfaitement maîtrisée par le chef Alain Altinoglu, un cast franco-belge apporte jusqu’au bout le ton juste : en religieuses qui n’ont pour richesse que leur ferveur mystique, Patricia Petibon et Anne-Catherine Gillet (Blanche), Sandrine Piau et Hendrickje Van Kerckhove (Constance), Sophie Koch et Karine Deshayes (Marie), Véronique Gens et Marie-Adeline Henry (Thérèse) et tou(te)s les autres nous invitent à rester libres, même dans un monde en ruine. La scène finale de l’échafaud les voit une à une englouties dans l’au-delà, au son ( » schlock ! « ) du couperet qui tombe, et du Salve Regina. Dans sa robe noire, Blanche avance, elle, sereine et consentante dans la mort, radieuse, presque dansante.

Le Dialogue des Carmélites, de Poulenc, jusqu’au 23 décembre, à la Monnaie, à Bruxelles. www.lamonnaie.be

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