Journaliste VRT-Flandreinfo et cofondatrice de DaarDaar © FRÉDÉRIC RAEVENS

La parole à Francken

Ne faites pas de Francken une victime dans le débat sur la liberté d’expression.  » Dans une lettre ouverte publiée sur le site DeWereldMorgen.be, une étudiante de la VUB appelait la rectrice de l’université libre flamande de Bruxelles, Caroline Pauwels, à ne pas pas permettre la tenue d’une conférence du secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration. L’an dernier, sur ce même campus, un exposé de Theo Francken avait dû être annulé alors qu’une centaine d’étudiants contestataires bloquait l’entrée de l’auditoire. Cette fois, la rectrice a pris les devants : mardi 15 mai, la conférence a bien eu lieu, malgré la présence de quelques dizaines de jeunes venus dénoncer les positions  » racistes  » du représentant de la N-VA. L’événement s’est déroulé sous haute surveillance, et sans incident. Sa tenue a toutefois relancé le débat sur la liberté d’expression.

Si les universités ne défendent pas le débat et la liberté d’expression, qui défendra les universités quand on leur imposera le silence ?

L’université doit-elle offrir un forum à une personnalité politique  » controversée  » ? Pour Caroline Pauwels, qui s’exprimait dans une tribune relayée par De Morgen, la réponse ne fait pas de doute : la liberté d’expression ne s’applique pas qu’aux opinions pour lesquelles nous avons de la sympathie. Les universités doivent garantir et respecter le débat ouvert et la pensée libre, et protéger leur rôle de refuge pour la parole, soutient-elle en substance. Et de s’interroger :  » Si les universités ne défendent pas le débat et la liberté d’expression, qui défendra les universités quand on leur imposera le silence ?  » C’est non sans pertinence que la rectrice fait référence à la loi controversée portée par le Premier ministre hongrois Viktor Orban sur les universités, ou à la pression du président turc Recep Tayyip Erdogan sur le monde académique. Plus proche encore de Bruxelles : Madrid, où le recteur de l’université a confié sa crainte d’organiser un débat sur la question catalane, par peur de représailles.

Les arguments de Caroline Pauwels n’ont pas pour autant fait taire la critique. La rectrice avait en effet promis un débat basé sur des faits, et dans lequel les étudiants auraient leur mot à dire. Or, d’après certains participants, dont le professeur de la VUB Eric Corijn, la conférence fut avant tout un long monologue, axé sur les thèmes chers à Theo Francken : asile, islam, double nationalité et terreur. Au terme de son discours, le secrétaire d’Etat, irrité, semblerait-t-il, par certaines interventions, aurait mis fin à la conférence après une insignifiante poignée de questions. Une situation déplorable, alors même qu’une récente expérience sociale, menée par l’université de Gand, a mis en alerte le monde académique en démontrant que les étudiants d’aujourd’hui n’utilisaient et n’exprimaient plus suffisamment leur esprit critique.

L’université est censée être un lieu où toutes les opinions peuvent être émises, discutées, analysées. En 2018 pourtant, cette liberté est remise en doute. Aux Etats-Unis aussi, où une nouvelle génération d’étudiants s’oppose à la liberté d’expression absolue, pour ne pas heurter certaines minorités, et pour protéger les étudiants des propos haineux. L’intention de faire taire les idées qui dérangent est sans doute bienveillante. Elle risque toutefois d’être contre-productive et d’enfermer les étudiants dans une bulle aveuglante entravant la réflexion et le débat. Le 15 mai, à la VUB, malgré un regrettable manque de dialogue, la liberté d’expression a été assurée. De quoi se réjouir, car si les pensées ne peuvent être exposées dans les auditoires, c’est ailleurs qu’elles s’afficheront. Sur Twitter, par exemple.

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