Posée par Elsa dans la nuit amoureuse, la fatale question de l'origine de Lohengrin obligera ce dernier à disparaître, laissant derrière lui une foule hébétée. © BAUS LA MONNAIE

La mort est un maître

Lohengrin, le plus politique des opéras de Wagner, est aussi une tragédie sombre, qu’Olivier Py met en scène à La Monnaie avec une rare élégance.

Parce qu’Hitler a rédigé Mein Kampf sur du papier à en-tête de la villa Wagner, fourni par les héritiers du compositeur. Parce qu’il assistait au Lohengrin produit à Bayreuth en 1936. Parce que cet opéra sublime, magique et pessimiste, qui vénère l’héroïsme, l’amour et l’art purs, est truffé de mots devenus amers (Heil, Führer, deutsche Reich…), devenus presque imprononçables depuis le génocide que l’on sait. Pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore, le metteur en scène français Olivier Py, qui monte à La Monnaie cette oeuvre très touchy, n’a pas cessé, ces derniers temps, de multiplier les notes d’intention (tant orales qu’écrites) et de poser des questions sans toutefois y répondre vraiment. Friand de légendes et de fiers retours aux origines nationales, le romantisme allemand du xixe siècle enfermait-il les germes du nazisme ? Peut-on dès lors ranger Wagner parmi les  » programmateurs du pire  » ? A chaque mélomane de décider s’il perçoit dans Lohengrin, créé en 1850, le cauchemar prémonitoire auquel on le lie souvent. Py offre en tout cas de cette gigantesque énigme une version magistrale et soignée, qui déploie le somptueux tissu orchestral wagnérien dans un univers d’apocalypse post-Shoah.

Ici donc, le magnifique prélude éthéré qui tient lieu d’ouverture donne à voir un immense chancre industriel qui pivote sur lui-même et révèle une salle de spectacle aux loges dévastées. Grâce soit rendue à Py de n’avoir planté dans ce décor fuligineux aucun élément trop grossièrement évocateur du Troisième Reich – mis à part un fusil d’assaut, une image géante de Dresde en ruine et, plus tard, un bel athlète au torse nu. Hormis de grandes fresques déchirées qui rappellent les peintures de Friedrich, point non plus de fatras romantique, mythologique, médiéval ou gothique. Pas de cygne voguant sur l’Escaut, sinon celui en carton-pâte qui occupe, à l’instar d’un buste de Goethe, un coin de ce théâtre déserté. Où débarque un Lohengrin (Eric Cutler, en alternance avec Bryan Register) plus humain qu’inquiétant, portant costume, douceur, solitude et chagrin avec la même aisance naturelle, lui qui incarne le nouvel ordre esthétique du monde. Face à ce chevalier de lumière, une Elsa à la fragilité touchante (Ingela Brimberg/Meagan Miller), une Ortrud qu’on aime détester autant que l’Ursula de Disney (Elena Pankratova/Sabine Hogrefe) et un comte de Telramund tout en retenue haineuse (Andrew Foster-Williams/Thomas Jesatko) chantent de façon sublime les destins qu’ils incarnent, sous l’impeccable direction d’Alain Altinoglu. S’invite aussi dans cette distribution remarquable le poète juif germanophone Paul Celan, dont les phrases lucides et crues tirées de sa célèbre Fugue de mort (1945) zèbrent les murs de leurs sinistres beautés. Si  » la mort est un maître d’Allemagne « , la musique de Wagner, et cette production qui la respecte et la magnifie, le sont tout autant, assurément.

Lohengrin, de Richard Wagner, à La Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 6 mai. www.lamonnaie.be

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