La tension monte en commission "attentats" alors qu'approche le dépôt des conclusions. © Dieter Telemans/ID Photo Agency

La fin de la « Commission attentats » approche, la future architecture de sécurité se dessine

Les membres de la commission « attentats » aspirent à retrouver leur liberté. Leur président, Patrick Dewael, impose le black-out. Et les pistes se dessinent pour améliorer le fonctionnement de la police et du renseignement.

Tension à l’approche du dépôt des conclusions sur le volet  » architecture de sécurité  » de la commission d’enquête parlementaire consacrée aux attentats de Zaventem et Maelbeek. Exaspéré, le président Patrick Dewael (Open VLD) a intimé le silence à tous ses commissaires et mis en branle le Comité permanent de contrôle des services de police et le Comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité à propos de fuites qui auraient pu contenir des informations classifiées. Les nerfs sont à vifs. La longueur des travaux (treize mois) et quelques sorties dans les médias, sous le couvert du  » off  » ou pas, ont déplu au président et à des parlementaires sevrés de visibilité depuis des mois.  » On joue avec le feu, a prévenu le député de la majorité, Denis Ducarme (MR). On met l’édifice en danger à un moment clé et ce n’est pas adéquat.  »

La fin du supplice approche : le mandat de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats s’achève le 30 juin. Les conclusions du volet  » architecture de sécurité  » seront connues le 3 ou le 4 juin. En attendant, les jeux d’influence se multiplient pour obtenir un résultat  » équilibré  » sur quelques points sensibles. Equilibré ne voulant pas dire uniquement le plus proche de la vérité ou à charge et à décharge. Ensuite, les parlementaires s’attaqueront au dernier volet de leur enquête : la radicalisation.

Sébastien Joris, officier de liaison de la police fédérale à Istanbul.
Sébastien Joris, officier de liaison de la police fédérale à Istanbul.© Philip Reynaers/PHOTO NEWS

 » L’exercice est chronophage « , confie un parlementaire. Raison supplémentaire pour atterrir dans la dignité, au consensus, face à une population qui semble avoir déjà tourné la page. L’attaque de Manchester, le 22 mai, a réveillé le traumatisme de ce matin du 22 mars 2016 où le pays s’est figé. Elle rappelle que le pire peut encore arriver. Des vies saccagées par une idéologie ténébreuse, non, ce n’est pas fini. Le Parlement remplit son rôle pour demain.

Pourtant, au regard de la passion que suscitent les investigations des députés wallons sur le scandale Publifin ou le feuilleton à rebondissements du Kazakhgate, la commission Dewael n’a pas, comme on dit, trouvé son public. Son sujet était à la fois trop grave et trop technique. Le rythme de ses travaux fut aléatoire, entrecoupé de séances à huis clos. Sa logique a fluctué : chronologique, thématique ou centrée sur le suivi de personnages comme les frères Abdeslam, El Bakraoui et Oussama Atar, le cousin des derniers. Leurs nombreuses auditions ont permis de confirmer des failles importantes dans le dispositif belge de sécurité et de tordre le cou à quelques fake venus de l’international. En juillet 2016, le premier rapport sur les services de secours comportait 88 pages et 311 recommandations. Le second sur l’architecture de sécurité titrera plus de 300 pages, avec une quarantaine de recommandations. Voici l’état momentané du débat sur les questions de personnes et de structures.

Le dossier Joris-Jambon

Sébastien Joris, l’officier de liaison de la police fédérale à Istanbul, a été pointé du doigt à la Chambre, le 25 mars 2016, par le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA). Celui-ci le désignait pratiquement comme unique responsable des attentats pour ne pas avoir assuré le suivi de l’arrestation d’Ibrahim El Bakraoui en Turquie. Lui seul a été visé, un francophone, et non les services centraux de la police fédérale, dont la DJSOC-Terro (Direction de la lutte contre la criminalité lourde et organisée), principalement tenue par des néerlandophones, dont on sait qu’ils dominent aussi bien le cabinet du ministre Jambon que l’état-major de la police fédérale. En l’occurrence, cet état-major s’est rangé très honnêtement derrière l’officier injustement accusé et aucune sanction disciplinaire ne lui a été infligée.

L’attaque de Manchester rappelle que le pire peut encore arriver

Pour le député Ecolo Gilles Vanden Burre, s’exprimant à la radio, sur la Première,  » c’était un lynchage public « ,  » une faute politique inacceptable « . Problème : le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, mis en face des faits contredisant son accusation, n’a jamais reconnu ses torts. Les députés N-VA s’efforcent de lui sauver la mise. Genre : l’officier de liaison aurait dû insister par téléphone pour avoir les informations qu’il avait demandées par mail ; et s’il était en vacances, il eût mieux valu qu’il ne fasse rien plutôt qu’à moitié, etc. Pour avoir la paix, la majorité parlementaire transigerait bien avec des éléments  » à charge et à décharge « . Cette option passera difficilement la rampe dans l’opinion francophone qui voit dans Sébastien Joris un capitaine Dreyfus en puissance.

Quant à la présence de Bart De Wever à une réunion au cabinet Jambon avec les chefs de la police fédérale, dans la nuit du 23 au 24 mars 2016, elle sera au plus jugée  » inopportune  » puisque les chefs de police en question ont juré qu’aucune information judiciaire n’avait été partagée.

Les députés sont bien conscients qu'il ne faut pas jouer avec les nerfs des policiers alors que la précédente réforme n'est pas encore digérée.
Les députés sont bien conscients qu’il ne faut pas jouer avec les nerfs des policiers alors que la précédente réforme n’est pas encore digérée.© Geert Vanden Wijngaert/ISOPIX

Quel antiterrorisme ?

L’acronyme barbare de DJSOC-Terro revient dans une autre discussion. A qui confier l’organisation pratique de la lutte antiterroriste ? Certains plaident pour le maintien d’une direction centrale au niveau de la police fédérale. Elle devrait rester le point de contact international et coordonner la lutte antiterroriste ou criminelle des cinq polices judiciaires fédérales (PJF). Vous avez nommé… la DJSOC-Terro.

D’autres continuent à insister pour que la police judiciaire de Bruxelles, section DR3, obtienne le leadership, en spécialisant les autres PJF dans d’autres domaines : la drogue, la criminalité en col blanc, etc. C’est la ligne PS, rejointe, semble-t-il, par la N-VA qui hésite toujours entre deux options antagonistes : mettre la main sur le pouvoir au niveau fédéral ou décentraliser au maximum pour favoriser la régionalisation de la justice (la revendication de Geert Bourgeois, chef du gouvernement flamand) et de la police.

Un nouvel éparpillement des compétences ne semble pas être l’option retenue. Le manque de réactivité des institutions après l’attentat de Zaventem, le cafouillage de certains services de secours (à Louvain notamment) et, en amont, la communication défaillante entre services ont démontré que des lignes de commandement simples et directes, un partage très complet des informations étaient plus nécessaires que jamais en période de crise. La menace terroriste va- t-elle provisoirement mettre au frigo la tentation confédérale, synonyme de dispersion ? Y aura-t-il un compromis entre ces deux approches, dans une perspective  » équilibrée  » ? Excédés par leur déclin dans l’appareil d’Etat, les socialistes francophones pourraient être tentés d’apporter de l’eau au moulin d’une certaine régionalisation/municipalisation.

Refédéraliser, régionaliser ou centraliser ?

Jan Jambon, ministre N-VA de l'Intérieur.
Jan Jambon, ministre N-VA de l’Intérieur.© BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Les villes, parlons-en. Alors que la réforme des services de police était censée assurer l’aide du niveau fédéral au niveau local (procédure dite de la  » capacité hypothéquée « ), en réalité, aujourd’hui, ce sont les zones de police qui volent au secours d’une police fédérale asséchée et démotivée. Avec le retour d’un état-major fort, fusionnant les polices judiciaires et administrative (la préconisation d’un des deux experts de la commission, Willy Bruggeman) sous le commandement d’un commissaire général dépendant directement du ministre de l’Intérieur, certains craignent le retour du modèle militaire de la gendarmerie. En soi, le départ de la commissaire générale Catherine De Bolle, qui postule à la direction d’Europol, pourrait amplement suffire à provoquer un changement. Les députés sont bien conscients qu’il ne faut pas jouer avec les nerfs des policiers alors que la précédente réforme, dite d’optimisation, n’est pas encore digérée.

Le secteur du renseignement, lui, n’échappera pas à un traitement de choc. C’est déjà le cas à la Sûreté de l’Etat où tout l’organigramme a été rebattu afin de consacrer un maximum d’intelligence à la lutte antiterroriste. Ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes, le personnel vivant la transition comme un chaos sans nom et l’abandon d’autres fronts. Autant la Sûreté a joué un rôle déterminant dans le démantèlement de la cellule de Verviers, en janvier 2015, autant, pour les attentats de Paris et de Bruxelles, le service disposait de peu d’informations. Le Service général du renseignement et de la sécurité de l’armée (SGRS) aurait reçu des infos précieuses du bataillon Istar (renseignement opérationnel militaire à l’étranger) mais il ne les aurait pas exploitées.

Bref, leur faiblesse dans la séquence Paris-Bruxelles expose les services de renseignement à une réforme qui pourrait les rapprocher sous une coupole dotée de services communs, après transfert à la Sûreté de l’Etat du personnel civil du SGRS. Personne ne nie l’impact que la baisse continue des moyens, depuis dix ans, a eu sur l’efficacité des services. Il sera donc préconisé de leur accorder des moyens supplémentaires.

Le rôle du parquet fédéral pourrait également être revu à la baisse. Non que dans sa sphère de compétence il ait failli, mais parce que la judiciarisation des dossiers entraîne automatiquement un embargo. Or, en matière de lutte antiterroriste, il faut balancer constamment entre la procédure judiciaire (enquête et renvoi devant un tribunal) et la nécessité de prévenir un attentat à un stade antérieur, qui est celui du renseignement, voire de la prévention. Les députés se sont beaucoup intéressés à l’organisation de la lutte antiterroriste dans d’autres pays et ils pencheraient pour le modèle britannique, collégial, où, chaque semaine, tous les acteurs mettent en commun leurs dossiers pour faire circuler l’information et donner des instructions à l’acteur le mieux placé pour intervenir. Parfois, c’est le renseignement, parfois, la police locale… Reste à trouver l’animateur de ce nouveau groupe de travail qui se situerait quelque part entre le Conseil national de sécurité et l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace.

Des questions de personnes et de structures, on n’en sort pas.

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