Carne y arena, saisissante immersion dans la condition de migrants. © emmanuel lubezki

La condition inhumaine

D’Alejandro Iñárritu à Aki Kaurismaki en passant par Michael Haneke ou Ai Weiwei, de nombreux cinéastes se sont penchés sur le drame des réfugiés.

Réalisateurs majeurs – Jane Campion, David Fincher, Paolo Sorrentino, David Lynch… – prenant la tangente pour s’atteler à des séries, plateformes de streaming s’invitant jusque dans le pré carré cannois : le cinéma n’en finit plus de passer par des bouleversements majeurs. A tel point qu’il ne faudrait guère forcer le trait pour considérer que le film de l’année sur le point de s’achever fut en fait une installation de réalité virtuelle, celle consacrée par Alejandro González Iñárritu aux migrants sous le titre Carne y arena. Un projet présenté, en mai, à Cannes, avant de circuler de par le monde, et qui a valu à son auteur un Oscar spécial, après ceux glanés par Birdman et The Revenant. Le réalisateur mexicain s’y empare de façon on ne peut plus concluante de la question des réfugiés, dont il invite à partager l’expérience à la frontière américano-mexicaine à l’aide d’un dispositif immersif. Soit six minutes trente aussi saisissantes que déstabilisantes pour une installation qui, s’attachant à explorer la condition (in)humaine de migrants et se prolongeant avec leurs témoignages, réussit à leur donner un visage, un nom, mais aussi une réalité.

Diversité d’approches

S’il l’a fait avec une force rare, Iñárritu n’est pas le seul, bien sûr, à s’être penché sur cette question, au coeur de nombreuses oeuvres majeures, fût-ce parfois de manière souterraine – le cinéma réfléchit le monde, après tout. Le cinéaste belge Philippe Van Leeuw est ainsi allé aux sources du drame des réfugiés avec InSyriated, huis clos mettant en scène une famille syrienne que le fracas assourdissant de la guerre a isolée dans son appartement de Damas, tiraillée entre besoin de rester et nécessité de fuir – enjeu qui trouve ici une bouleversante expression humaine. Le propos se fait laconique et poétique, mais pas moins pertinent avec The Other Side of Hope, du Finlandais Aki Kaurismaki, qui poursuit là une trilogie amorcée avec Le Havre. Débarqué à Helsinki pour y demander l’asile, un jeune réfugié syrien y fait l’expérience amère d’une administration aussi rigide que sourde à sa détresse. Mécanique implacable à laquelle le réalisateur va en substituer une autre, généreuse, sous la forme d’une solidarité réinventée, résolument à rebours du repli sur soi.  » Tout autour le Monde et nous au milieu, aveugles « , écrit pour sa part Michael Haneke dans sa note d’intention à Happy End. Le réalisateur autrichien y revisite Les Bourgeois de Calais, sous les traits d’une famille d’industriels du Nord, insensibles au drame se jouant à leurs portes, celui de migrants dont la présence vient, subrepticement, court-circuiter leurs dérisoires allées et venues. Manière, sinon d’aborder le drame des réfugiés frontalement, d’évoquer cette indifférence qui gangrène le monde (et qui est l’un des autres thèmes cinématographiques de l’année, décliné aussi bien par Yórgos Lánthimos dans The Killing of a Sacred Deer, que par Ruben Östlund dans The Square, la Palme d’or).

Enfin, si le Hongrois Kornél Mundruczó livre une parabole christique avec Jupiter’s Moon, où un réfugié syrien abattu par les gardes-frontières lévite bientôt dans le ciel de Budapest, d’autres préfèrent garder les pieds sur terre et aborder la question sous la forme du documentaire. C’est le cas, notamment, de Vanessa Redgrave, actrice britannique à l’engagement jamais démenti, qui signe avec Sea of Sorrow une méditation où passé et présent convergent au son des mots de Shakespeare. Ou encore de l’artiste multidisciplinaire chinois Ai Weiwei, dont le bien nommé Human Flow, annoncé sur les écrans belges pour janvier 2018, a été tourné sur une année dans 23 pays. Glissant de l’art conceptuel à la réalité humaine la plus douloureuse, combinant informations brutes et poésie, il y a là une tentative opiniâtre de prendre la mesure de l’ampleur de la crise, un inventaire parfois fastidieux mais sans nul doute nécessaire. Et, en tout état de cause, en prise sur l’incertitude du temps présent…

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