Une image, une décennie (1987 - 1997) © Raymond Depardon/Magnum Photos

70 ans de l’agence Magnum : la chute du mur de Berlin, en 1989

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

La célèbre agence photo Magnum fête ses 70 ans. Durant tout l’été, arrêt sur sept images emblématiques tirées de Magnum Manifeste qui raconte cette grande aventure. Cette semaine, retour en 1989. Raymond Depardon photographie Berlin depuis 1962… Lorsque le Mur qui coupe la ville en deux se fissure, le Français rejoint naturellement la future capitale allemande.

Fils de paysan, Raymond Depardon a grandi dans les monts du Lyonnais, propriétaire dès l’âge de 12 ans d’un appareil 6×6 qui va changer son regard sur la ferme familiale d’abord, puis sur le monde. Assez vite, son physique passe-partout se balade dans les péripéties internationales et, talent manifeste, s’intègre à l’histoire en marche. Il n’a que 18 ans lorsqu’il part en mission au Sahara et saisit les survivants militaires d’une expédition. Il n’en a pas 20 lorsqu’il débarque à Berlin, en février 1962, quand la grisaille hivernale intensifie davantage encore la présence fantomatique du mur, érigé en une nuit, du 12 au 13 août précédent, par la RDA. Tentative de realpolitik destinée à endiguer l’hémorragie de candidats à l’exil vers l’Ouest, d’une nation prise dans un soviétisme répressif. Trois millions et demi de citoyens d’Allemagne de l’Est ont déjà fait défection et le jeune Etat menace de mourir exsangue. Berlin est alors le produit possiblement sorti de l’imaginaire d’un Graham Greene, la concrétisation dramatique de la guerre froide : 302 tours de garde dominent 43 kilomètres de mur entre l’Est et l’Ouest, plus du triple séparent aussi la zone occidentale berlinoise de l’Allemagne de l’Est où elle se trouve enclavée.

Raymond la Science

Une des images ramenées par Depardon de son premier voyage berlinois en ce début 1962 est prise à l’Ouest : des gosses ont reconstitué leur version du mur avec quelques mètres de briques empilées, et s’amusent, de part et d’autre, à faire semblant de se tirer dessus. Tentative de jeu dans l’environnement sinistré d’une vaste plaine donnant sur des immeubles tout aussi lépreux, avec ce noir et blanc qui n’arrange pas l’impression manifeste de désolation. A la même période, le Français suit aussi la visite de Robert Kennedy à Berlin : accompagné de Willy Brandt, face à une maison de la Bernauer Strasse intégralement murée. Le mur est d’ailleurs devenu le refrain d’une chanson obsédante revenant sans cesse miner les certitudes : l’un des moments forts saisis par Raymond à la même période est ce portrait de groupe de soldats et membres de la sécurité de l’Est, occupés à filmer et à photographier le photographe, Porte de Brandebourg. Depardon reviendra en Allemagne à plusieurs reprises, entre deux événements mondiaux shootés avec frénésie : au Sud-Vietnam de 1964 alors que la guerre s’embrase, ou aux Jeux Olympiques de Mexico captant les sprinters noirs américains le poing levé. Raymond la Science, pour son art du cadre idéalement maîtrisé, repasse par Berlin fin janvier 1978, au congrès de l’extrême gauche allemande, baptisé Tunix. Ses images de manifestants avec les intellos français Deleuze, Glucksmann ou Foucault ont la gueule de bois et signent la fin d’un certain gauchisme. Depardon intègre Magnum en 1979 après avoir quitté l’agence Gamma qu’il a fondée en 1966.

Cavalier de l’histoire

70 ans de l'agence Magnum : la chute du mur de Berlin, en 1989
© DR

Pendant près de trois décennies, le Berlin de Depardon incarnera une Allemagne malade, tout au moins nauséeuse, piratant la psyché d’un pays scindé. La partition change définitivement lorsque le Mur tombe dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989. Le 11, Depardon est sur place et entreprend de photographier les Berlinois mais aussi les citoyens du monde entier s’attaquant à la démolition physique de la monumentale disgrâce. Comme on peut le voir dans son livre de 2014, Berlin, fragments d’une histoire allemande (Seuil), les images de colère de Depardon accompagnent aussi celles, émouvantes, de retrouvailles entre des familles et des territoires séparés. Le cliché ci-contre a une sorte de distinction rock – la coiffure et le cuir du jeune homme – mais c’est l’acte de chevaucher le Mur qui en fait un cavalier de l’histoire. Il hurle de contentement, de défi aussi, comme si le béton hideux -graffité uniquement à l’Ouest – était définitivement dompté. La messe est dite et la réconciliation, inévitable.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire