Livres et vêtements, entre autres, pour mettre en valeur les héritages musulmans. © Tempora

L’islam, c’est votre histoire

C’est armé d’esprit critique qu’on peut s’abandonner à la déambulation à travers l’expo L’Islam, c’est aussi notre histoire ! qui ressuscite un passé plutôt belliqueux à travers de belles images.

La présence de l’islam en Europe a toujours produit des étincelles. Les migrations du xxe siècle, créatrices de ponts humains, ne sont qu’une partie de cette histoire tumultueuse qui a culminé avec l’occupation musulmane de l’Espagne du viiie au xvie siècle, la conquête ottomane des Balkans à partir du xive siècle et l’impact en Europe de la colonisation des xixe et xxe siècles. L’angle, ici, est territorial. Il s’agit de ramasser, au centre de Bruxelles, les traces de la civilisation musulmane en Europe, telle que perçue et illustrée par ses contemporains. L’exposition est donc aussi dépassionnée que possible puisqu’elle n’aborde ni les croisades ni la colonisation, objet d’un énorme ressentiment du côté musulman. Ni, d’ailleurs, les expéditions barbaresques qui ont pratiqué à grande échelle le  » vol de chrétiens « .

Illustrer le choc des mémoires sur des sujets aussi sensibles n’aurait pas manqué d’intérêt, mais le propos se veut neutre, descriptif. L’interprétation de notre époque a été déléguée à des artistes, ce qui permet d’éluder la séquence meurtrière des attentats commis au nom d’Allah, de se projeter dans l’avenir sans insulter celui-ci. Cruelle coïncidence, L’Islam, c’est aussi notre histoire ! devait se tenir en 2016, quand l’Etat islamique a frappé les voyageurs de Maelbeek et de Zaventem. Ses promoteurs (musée de l’Europe, Tempora, mémorial de Caen) ont décidé de reporter l’événement, mais n’ont pas renoncé à leur thème : mettre en valeur les héritages musulmans et la multiculturalité de l’Europe.

Le fil conducteur est chronologique. Des objets, des textes, des reproductions d’oeuvres d’art, de la musique, des vêtements, des odeurs et des textes soutiennent l’imagination qui, en matière d’Orient, ne fait jamais défaut. Le visiteur est happé par les témoignages, reconstitués ou authentiques, qui sont interprétés sur grand écran par des comédiens francophones et néerlandophones. Des individus se confient : un juif érudit devenu chef des armées d’un roi de Grenade, une esclave ukrainienne affranchie par son mari musulman lui permettant de rester chrétienne, un janissaire enlevé enfant à son village albanais pour servir dans le corps d’élite du sultan… Le passé musulman en Europe, c’était ça aussi.

L'interprétation de notre époque a été déléguée à des artistes. De quoi dépassionner au maximum l'exposition.
L’interprétation de notre époque a été déléguée à des artistes. De quoi dépassionner au maximum l’exposition.© C.Kempf

 » De la conquête omeyyade de l’Espagne naît une civilisation marquée par la convivencia, la coexistence pacifique des trois cultures, musulmane, chrétienne et juive, justifie l’expo. Cependant, coexistence n’est pas égalité ni assurance de pérennité.  » En Andalousie, les chrétiens et les juifs avaient le statut de dhimmis, sujets inférieurs mais protégés. Achevée en 1492, la Reconquista chrétienne n’a pas effacé toute trace musulmane dans l’architecture, la philosophie, le vocabulaire, la musique… A l’autre bout de la Méditerranée, la Sicile a été aussi le creuset d’une culture berbéro-arabo-normande originale, mais sous la férule des rois normands, puis des Hohenstaufen d’Allemagne. Une curiosité : la langue maltaise actuelle serait une variété sicilienne de l’arabe.

Autre frontière de l’Europe chrétienne, autre héritage : la présence ottomane en Europe orientale et méridionale à partir du xive siècle a été souvent menaçante. Les troupes du sultan assiégèrent Vienne en 1683, pour la seconde fois, mais elles furent repoussées par les troupes polonaises de Jean III Sobieski.  » Les contacts avec l’Europe chrétienne sont faits de violence et de coopération à la fois, dans une proportion changeante en fonction du moment et des aires de rencontre « , nuance l’expo. Ces frictions n’empêchent pas les Européens de s’intéresser passionnément à tout ce qui concerne cet Orient si différent. Ils l’intègrent dans leur culture, entre fantasme et réalité.

Le long déclin de l’Empire ottoman aboutit à la libération nationale de la Grèce et des pays balkaniques mais au Levant et dans l’Afrique du Nord alors sous contrôle turc (sauf le Maroc), la place laissée libre est occupée par les empires coloniaux britannique, italien et surtout français. La décolonisation, sanglante en Algérie, n’a pas été sans effet sur le Vieux Continent. Sa démographie, son économie et sa culture en furent modifiées. Selon une estimation conservatoire, l’Union européenne compte aujourd’hui quelque 20 millions de musulmans : L’Europe, c’est leur histoire.

L’Islam, c’est aussi notre histoire !, à l’Espace Vanderborght, à Bruxelles. Jusqu’au 21 janvier 2018. www.expo-islam.be

Ce qu’on a moins aimé…

• Les panonceaux ne sont pas exempts de fautes d’orthographe (« dates » au lieu de « dattes ») ou de traduction (« Grenada » en anglais au lieu de « Granada »), indignes d’une exposition supposée de prestige.

• Des interprétations ambiguës. A propos de la décolonisation : l’Europe « ne cessera plus de subir sur son sol, pour le meilleur comme pour le pire, les conséquences de son aventure impériale ».

• Une timidité à nommer autrement que par le mot « tragédie » le massacre du 17 octobre 1961 où des dizaines d’Algériens indépendantistes ont été tués par les forces de l’ordre à Paris.

• Des accents moralisants : « A l’ouest, certains pays sont plus généreux que d’autres – en accueillant un million de réfugiés, l’Allemagne a remporté largement la palme ; à l’est, au nom de leur « identité », ils se hérissent de barbelés et refusent d’en accueillir un seul. » Au nom de leur « identité » ou de leur histoire conflictuelle avec l’Empire ottoman ?

• Dans la boutique, la présence sans autre commentaire de l’ouvrage d’une philosophe nazie, Sigrid Hunke (1913 – 1999), Le Soleil d’Allah brille sur l’Occident, et l’absence tout aussi remarquable de l’historien Sylvain Gouguenheim, auteur d’Aristote au mont Saint-Michel, qui relativise l’influence du monde arabe sur l’Occident ou Al Andalus, l’invention d’un mythe, de l’arabisant espagnol Serafin Fanjul.

• Le prix : 13,50 euros pour les adultes et 7 euros pour les moins de 26 ans. Pour une exposition abondamment subsidiée (Union européenne, Etat fédéral, Régions, Fédération Wallonie-Bruxelles, Ville de Bruxelles, etc.), c’est trop.

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