Franklin Dehousse

« L’Europe de la défense progresse… de recul en recul »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

L’Europe de la défense vit une phase historique, selon Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie européenne. On adopte une nouvelle stratégie : moment historique. Décision sur la coopération structurée à 25 Etats membres : moment historique. Première réunion des ministres : moment historique.

Hélas, cette exaltation vient surtout à ceux qui n’ont pas étudié tous les moments historiques précédents : la première stratégie européenne (2003), Headline Goal (1999), la création de la politique étrangère et de sécurité (1990), la relance de l’Union de l’Europe occidentale (1984). Depuis l’échec de la Communauté européenne de la Défense (1954), l’Europe de la défense reste une magnifique série d’avortements répétés. Comme en Belgique, l’absence de résultats réels est camouflée sous la multiplication des processus bureaucratiques. La seule arme qui a vraiment progressé, c’est le bombardement… de propagande. Nos armées sont dans un état pitoyable, et la crise financière des dix dernières années n’a rien arrangé. La nouvelle stratégie, assez fumeuse, a pour principal objectif (cela ne s’invente pas)  » l’autonomie stratégique « . Certes, il y aura quelques projets et recherches communs. En revanche, aucune solution réelle (une vraie gestion commune des armements, seule garantie de dépenses plus efficaces) face à des menaces bien plus fortes. Nos voisins autocrates (Russie, Turquie…) deviennent de plus en plus entreprenants, et les Etats-Unis de moins en moins fiables.

Ainsi ressort, une fois de plus, l’hypocrisie générale des gouvernements européens

Pour les choses importantes, l’immobilisme habituel prévaut. Le remplacement des avions de chasse offre un merveilleux exemple. Cet investissement massif, essentiel pour la stratégie, va engager un tiers de siècle. Quatre options existent : une vraie solution européenne, Eurofighter, Mirage et Lightning F35. Les Etats membres ont abandonné la meilleure, naturellement. Parmi les autres, le F-35 apparaît clairement comme la pire. Il a été défini selon les missions (planétaires) de l’armée américaine, ses coûts explosent (aux Etats-Unis, on se demande si son budget ne va pas absorber le Pentagone), ses performances implosent (même le Canada l’a abandonné) et son informatique sera contrôlée exclusivement par les Etats-Unis.

Avec sa gestion pittoresque usuelle, le gouvernement belge soutient cette option. Tellement qu’il a refusé, de façon hallucinante, toute analyse de la Cour des comptes sur le sujet. Au même moment, le GAO (qui contrôle le budget fédéral américain) multiplie, lui, les rapports critiques sur les coûts (même sous Trump, les Etats-Unis restent bien mieux gérés que la Belgique sous le tandem De Wever – Michel). Quand on appliquera un nouveau plan d’austérité en 2020, nos concitoyens adoreront réduire chaque année de presque un demi-milliard d’euros supplémentaires leur pension, soins de santé et médicaments pour le plaisir de voir dans le ciel un avion en or massif, adapté aux missions de l’autre côté du monde, et contrôlé directement des Etats-Unis par Trump et Lockheed (parfois avec des bombes nucléaires…). Ainsi ressort, une fois de plus, l’hypocrisie générale des gouvernements européens. Chaque fois, on fait des beaux discours sur l’Europe et ses bénéfices. Ensuite, on prend des décisions concrètes exactement à l’opposé. Et on finit par d’autres beaux discours pleurnichards en déplorant que le peuple ne comprenne rien à l’utilité de l’Europe, utilisée en permanence comme un paravent pour nos propres bêtises.

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