Johnny et Jean Rochefort dans L'Homme du train, de Patrice Leconte (2002). © isopix

L’écran miroir

En 2002, le chanteur trouvait l’un de ses meilleurs rôles dans L’Homme du train, de Patrice Leconte. Un sommet, dans une filmographie en pointillés. Où Johnny a souvent dû jouer son propre personnage.

On y verra un paradoxe de l’existence : alors qu’il rêvait de devenir comédien, ayant d’ailleurs fréquenté tout jeune l’Ecole de la rue Blanche, à Paris, Johnny Hallyday n’aura été acteur que par intermittence, tournant une trentaine de films à peine, éclipsés pour la plupart par sa carrière de chanteur. Entre ceux des débuts, où il se bornait à jouer l’idole des jeunes – D’où viens-tu Johnny ?, Cherchez l’idole… -, et ceux plus tardifs, témoignant d’un flair approximatif (Terminus, Wanted…), peu de titres sont à sauver en définitive. Mais, dans sa filmographie en pointillés, émergent Détective, de Godard, Conseil de famille, de Costa-Gavras, Jean-Philippe, de Laurent Tuel, Vengeance, de Johnnie To, ou encore L’Homme du train, de Patrice Leconte.

Sa seule présence vaut d’ailleurs le plus souvent performance de comédien

C’est à l’occasion de ce dernier, où il composait un mémorable duo avec Jean Rochefort, qu’on avait rencontré, en 2002, à la Mostra de Venise, un Johnny dont le regard bleu azur se faisait lucide à l’heure d’évoquer son parcours.  » Je ne voulais pas vraiment devenir chanteur. J’ai commencé à chanter dans un petit groupe avec lequel je jouais le samedi et le dimanche dans des bals pour payer mes cours de comédie au centre d’art dramatique. Et puis, un jour, un producteur de disques m’a entendu. Il m’a fait signer un contrat et, par la force des choses, je suis devenu chanteur avant d’être comédien, mais ce n’était pas mon objectif au départ. J’étais très timide à l’époque, et avant de monter sur scène, j’étais paralysé par la peur. J’ai vraiment dû me forcer.  »

Comédien ou chanteur, pas l’un et l’autre

On sait ce qu’il en advint, le succès entraînant un changement de plan de carrière où le septième art n’avait que modérément sa place, n’entrant en ligne de compte que de façon subsidiaire – un peu comme pour Elvis Presley, enquillant les films le plus souvent ineptes, prétextes à aligner quelques chansons.  » A mes débuts, je n’avais pas le choix : un producteur m’engageait pour chanter dans un film, rien à voir avec la comédie, poursuivait Hallyday. C’est d’ailleurs ce qui m’a conduit à arrêter pendant presque dix ans : quand je veux chanter, je monte sur scène, et je donne un spectacle.  » Et d’expliquer avoir dû composer également avec la (dure) réalité du métier :  » La difficulté au cinéma, surtout en Europe, c’est qu’on vous catalogue : vous êtes chanteur ou acteur, mais pas l’un et l’autre. Pour arriver à le faire admettre, il faut vraiment s’éloigner totalement de son image de chanteur. J’ai mis quelques années à le comprendre, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’essaie de changer un peu de visage et de look quand je fais du cinéma.  »

Avec, pour effet immédiat, cette filmographie dont il faisait lui-même peu de cas :  » A l’exception de Godard, qui est à part, mon premier film en tant qu’acteur est celui avec Patrice.  » Point barre. Au point qu’il confessait ne plus tourner que par passion :  » Je le fais pour moi. Et parce que ça me stimule pour d’autres choses, ça m’aide même dans mon métier de chanteur…  »

Manager de boxe dans Détective, où Godard s’amusait avec les codes du film noir, Johnny apparaît telle une figure du western dans L’Homme du train, aventurier laconique et sédentaire débarquant au crépuscule dans une petite ville française. Un personnage dont émane une profonde mélancolie, qualité dont l’artiste constatait combien elle lui correspondait :  » Des personnages comme ceux de L’Homme du train ont une histoire. Ils sont quelque part mélancoliques, avec une certaine amertume de la vie passée, des ratages de l’existence. Il faut puiser dans ses propres souvenirs pour rendre cela. Je me sers beaucoup de mon vécu, mais c’est notre lot à tous, il n’y a pas de mystère.  »

Une présence valant performance

D’une appréciable justesse devant la caméra du réalisateur de Tandem, Johnny Hallyday va voir ensuite sa carrière cinématographique connaître une évolution sensible, où l’acteur incarne une succession d’impressions de lui-même. Laurent Tuel imagine, dans Jean-Philippe, un fan absolu se réveillant dans une réalité où Johnny n’existe pas. Et de partir à la recherche de Jean-Philippe Smet pour découvrir un patron de bowling dont il va tenter de faire la star de ses fantasmes. Ou Johnny jouant à devenir Hallyday…

Sa seule présence vaut d’ailleurs le plus souvent performance de comédien. Ce qu’avait fort bien compris Johnnie To, qui le distribuait en 2009 dans Vengeance, thriller crépusculaire devant beaucoup à Jean-Pierre Melville – le personnage de Johnny s’y appelait d’ailleurs Costello, patronyme emprunté au Delon du Samouraï.  » La première fois que Johnny et moi nous sommes rencontrés, c’était dans son restaurant, nous dévoilait le réalisateur hongkongais, venu présenter son film en compétition à Cannes (et incrédule, au demeurant, devant l’accueil triomphal réservé à la star –  » je le savais populaire, mais à ce point ! « ). Je suis rentré, et j’ai vu cet homme, assis seul à une table, avec une cigarette et un costume noir, comme le personnage du film. Immédiatement, rien qu’à observer son apparence physique, j’ai eu le sentiment que Costello, c’était lui. Son visage et son vécu apportaient déjà énormément au rôle. Je n’avais pas à lui demander d’en faire plus, ou à essayer d’être différent : il ne lui fallait qu’être lui-même.  » Message reçu cinq sur cinq, à l’évidence, l’association entre Johnnie et Johnny fonctionnant au-delà de toute espérance, à tel point que le cinéaste envisagera un temps de tourner un remake du Cercle rouge dont il aurait donné un rôle au chanteur.

A défaut, ce dernier multipliera les déclinaisons de lui-même, se montrant à son affaire dans le registre de la mise en abîme clin d’oeil, faute d’encore pouvoir prétendre à des rôles de composition. Ainsi, chez Claude Lelouch (qui l’avait fait tourner, au début des années 1970, dans L’Aventure, c’est l’aventure) pour un Salaud, on t’aime où Johnny était rejoint par son compère de toujours, Eddy Mitchell, le temps d’un hommage inspiré au Rio Bravo, de Howard Hawks, et pour un Chacun sa vie où il ne laisse à nul autre le soin d’interpréter son propre sosie. Et, tout récemment encore, chez Guillaume Canet, pour un Rock’n’roll dont il s’offrait la meilleure scène en se contentant d’être lui-même face à l’acteur réalisateur surgi chez lui au beau milieu de sa crise de la quarantaine, signant un grand numéro d’autodérision fatiguée. Minéral, et résolument bigger than life

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