L’art des luttes sociales

Affiches à l’appui, Bread & Roses retrace l’histoire artistique des syndicats. Et continue le combat en donnant carte blanche aux artistes contemporains.

En janvier 1912, les travailleuses de l’industrie textile à Lawrence, aux Etats-Unis, entrent en grève pour revendiquer la réduction du temps de travail pour les femmes et les mineurs de moins de 18 ans. Ce mouvement est connu sous le nom Bread and Roses, qui donne également son titre à un hymne folk repris par Joan Baez, entre autres. Et au dernier livre de Franck Depaifve et Axel Ruhomaully, édité par l’agence Meta-Morphosis dans un moment particulier de notre actualité politique : entre scandales et big bang des coalitions francophone, wallonne et bruxelloise, alors que la crise économique a chargé les dernières années sociales d’austérité et que l’image du syndicalisme est très détériorée, accusé qu’il est de pratiques d’un autre âge, d’irresponsabilité, d’actions purement politiques.

Ce Bread & Roses tente donc de comprendre l’évolution du mouvement ouvrier en Belgique, de ses luttes, de ses victoires, à travers les affiches qui les ont portées et véhiculées. Elles sont commentées par des spécialistes académiques, syndicalistes ou politiques : l’historien de l’art Christophe Desogne, l’historienne Els Flour, le directeur du Crisp, Jean Faniel…

Le livre rappelle que, depuis La Ronde des travailleurs, de Walter Crane (1882), jusqu’aux campagnes des Trentes Glorieuses, de l’influence de l’avant-garde russe jusque celle de la culture populaire américaine des années 1980, les affiches s’emparent de l’esthétique du temps. Elles s’inscrivent ainsi dans les courbes de l’Art nouveau de Victor Horta, pour célébrer l’inauguration de la Maison du Peuple de Bruxelles, en 1889. On observe l’influence de la caricature sociale de la fin du xixe et du début du xxe siècles dans les affiches dénonçant le vote plural, ainsi que celle du constructivisme soviétique des années 1920. A la variété des courants artistiques répond la diversité des thèmes : la lutte pour la journée de 8 heures, la sécurité sociale, les congés payés, la semaine de 40 heures côtoient les droits des femmes, la culture, l’éducation, la paix… Bread & Roses donne aussi à voir ce moment précis de l’histoire du mouvement ouvrier où  » l’apparition des agences de communication dans la gestion des messages et de l’image des syndicats a coupé le lien historique avec les artistes.  »

Pour contrer celle du There is no alternative thatchérien, Franck Depaifve et Axel Ruhomaully ont demandé à des artistes contemporains d’imaginer les affiches qui pourraient voir le jour en 2036-2037, au moment où l’on fêtera le 100e anniversaire des congés payés et de la semaine de 40 heures. Pierre Kroll, Denis Meyers, Cécile Bertrand, Cristina Sampaio font résonner l’expression  » acquis social  » comme un somptueux et dangereux oxymore, tant le détricotage des avancées durement arrachées, en un siècle à peine, est manifeste. Tout comme les défis encore à relever : égalité salariale, robotisation, enjeux climatiques…

Par Nicolas Bogaerts

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