Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité. © XZAROBAS

L’art de la fugue

Où il est question d’espions, de Bach, d’un môme disparu, de cassonade et de cryptogrammes.

Les enfants sont prisonniers : n’ont-ils pas tous des menottes ? Evidemment, ça ne prouve rien. Le monde regorge de bizarreries. Allez visiter un appartement : il ne sera jamais bas de plancher, alors qu’il pourra très bien être haut de plafond. De telles évidences ne se discutent pas. On les avale. En silence, comme on slurpe sa cassonade, ce sucre rouquin sur le paquet duquel trône, de toute éternité, un garçonnet aux joues mafflues et colorées (1).

– Où donc qu’il est passé le gosse ? cria une voix féminine, depuis la cuisine.

– Quel gosse ? lui répondit Le Fleuri, depuis la grande salle.

– Celui de la cassonade… Il a disparu (2) !

Le Fleuri s’en fichait pas mal, du gamin évaporé. Tête haute, impérial, il baladait son grand corps aux épaules sèches à travers le Geyser, lorsque – soudain – il aperçut une juvénile silhouette installée sur une banquette de moleskine : le jeune fuyard de Tirlemont sirotait un brandy.

– M’enfin, fallait y mettre de l’eau, Lorelei, dans le brandy du petit !

Ainsi fut fait, au grand dam de  » l’enfant  » qui se mit à ronchonner qu’il avait 43 ans et qu’il travaillait pour la Sûreté de l’Etat. Et de raconter que, pendant trop longtemps, il avait embrassé l’ennui, pour se distraire de l’avoir en horreur, que sa vraie nature n’était pas de se vautrer dans la pâte à crêpes et que (la cryptographie ne manquant pas de pittoresque) il s’était mis à confectionner des codes secrets, avec des boulettes de sucre, que cette vocation tyrannique lui était venue alors qu’il trônait depuis quarante ans sur le paquet de cassonade, sans avoir pris une ridule sur son visage poupon, qu’il en avait marre du sucre et que – merde ! – il avait bien mérité un peu de sel, dans sa vie.

Dans la pénombre de son paquet de cassonade, il s’était ainsi mis à confectionner des codes compliqués et sophistiqués, agençant de ci, de là, des boulettes de sucre selon un ordre savant. Il avait poussé si loin la complexité qu’il avait attribué, à chaque boulette, une note de musique : le  » A  » correspondait à un  » la « , le  » B « , à un  » si bémol « , le  » C  » à un do, etc. Littéralement, le garçon faisait chanter le sucre (3). Le génie de ce gosse diluait la bêtise humaine, la noyait dans le canal.

Bien évidemment, le MI6 fut conquis. La DGS applaudit fort. Quant à la Sûreté de l’Etat, peu mélomane, elle fut un peu longue à la détente, avant de finir par recruter le petit vieux aux boulettes, dans un sucré parfum de roman policier.

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une, à 20h15.

(1) Depuis 1979, un garçonnet est l’emblème de la cassonade Graeffe de Tirlemont. En 2008, Het Laatste Nieuws nous apprenait que l’enfant était un Schaerbeekois nommé Christophe Castellano.

(2)  » Avez-vous vu ce petit garçon ?  » : à l’occasion des 20 ans de Child Focus, la fondation lance une campagne de sensibilisation en partenariat avec Tirlemont, qui a fait disparaître l’enfant de ses paquets.

(3) On retrouve un tel cryptogramme musical dans L’Art de la fugue, de Bach.

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