Rosanne Mathot © xzarobas

L’année qui ne voulait pas mourir

Où il est question de héros, d’émeutes et de l’année 2017 qui a choisi de faire de la résistance en tentant de se réfugier au Café Geyser.

 » Pourquoi n’êtes-vous pas morte, N° 2017 ? « . On était le jeudi 11 janvier 2018 et tout le monde avait cru que l’année N° 2017 reposait six pieds sous terre. Le décès était supposé être intervenu en douze coups, le 31 décembre au soir. Depuis onze jours, la frêle N° 2017 déraillait dans le cambouis calendaire et administratif. (QUI, en Belgique pouvait bien être tenu responsable de cette affaire-là ?) Seule. Elle était seule, en butte à tous les sophismes du calendrier.

–  » Pourquoi n’êtes-vous pas morte, N° 2017 ? Et pourquoi vous obstinez-vous à rester ici, au café ?  »

Blême, à bout de souffle, N° 2017 haletait, l’orbite creuse, au-dessus de sa bière. Elle était complètement lessivée. Lessivée mais vivante.  » Je n’ai pas fini ce que j’ai commencé « , démarra N°2017.  » J’ai une âme, moi aussi.  »

–  » Vous avez peut-être une âme, mais une âme de belle salope  » : le vieil Heinrich, l’homme à tout faire du café, avait, dans le cou, les tendons saillants et cassants comme du plâtre. Manu militari, les policiers vinrent évacuer l’année N° 2017. Elle les suivit, sans mot dire, dans le panier à salade. Une fois arrivé au commissariat, près de la Grand-Place, tout le monde ne put que constater que la rue s’était dotée de l’apanage des grandes révolutions. Ceux qui avaient été si prestes à célébrer son supposé trépas, ceux qui avaient exulté en pétaradant, à l’annonce de sa prétendue mort, s’étaient, à présent, mués en défenseurs passionnés : une année qui ne veut pas passer l’arme à gauche, il n’y a pas à dire, ça a un côté héroïque. Et les gens, plus que jamais, désiraient ardemment un héros.

Dans le centre de Bruxelles, la foule prenait nerveusement de l’ampleur. Désormais, seul un miracle pouvait assurer la paix civile. Pour la police, il s’agissait, en premier lieu, de s’assurer de la sympathie des journalistes. Sous les illuminations de la presse crépitante, le commissaire parla. Son discours fut grandiose. Ses explications avaient la clarté et la précision généralement jalousement réservées aux sibylles.

Pendant 42 minutes, le commissaire égrena les particularités de cette année si obstinée. La fiche indiquait :  » Année 2017, ci-après désignée sous l’appellation « N°2017″. Profession : NÉANT  » (ça commençait bien… une chômeuse). A la rubrique  » adresse  » était cochée la case :  » SANS DOMICILE FIXE « . La petite croix noire semblait crier :  » Oui, parfaitement, SANS domicile fixe !  » ( » Voilà qu’on va avoir les clodos, le Samusocial et tous les culs-bénits du monde sur les bras « , transpira, in petto, le commissaire). PIÈCES D’IDENTITÉ : un trait en diagonale (nom de dieu, une sans-papiers. On n’est pas sortis de l’auberge…).

Voilà que la Belgique, qui avait, par le passé, connu 541 jours consécutifs sans gouvernement, était à présent… dotée de deux années concomitantes. De quoi produire sans tarder de nouveaux égarements fâcheux et très couleur locale.

Mais c’est pas tout ça. L’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, sur la Une, à 20h15…

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