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Alimentation et écologie: entre besoin et pouvoir

Le Vif

Pour rester en vie, il faut forcément se nourrir. Mais la manière dont nous nous procurons nos aliments a aussi un impact considérable sur notre mode de vie.

Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs menaient une vie relativement simple, puisqu’ils récoltaient ou traquaient leur nourriture dans leur environnement, comptant sur la solidarité. La transition de la simple collecte vers l’agriculture est ensuite progressivement venue changer la donne.  » L’agriculture aussi est restée, jusque vers 4000 ans avant notre ère, une activité très collégiale, où chacun avait besoin des autres pour survivre, nuance le Dr Staf Henderickx, médecin du Peuple. Dès le moment où elle a commencé à générer des surplus, on a toutefois assisté à l’émergence d’une économie dite de redistribution, où certains ont commencé à s’assurer le pouvoir en s’appropriant d’abord la nourriture, puis dans un second temps les terres agricoles.  »

Un partage malsain

C’est ainsi que s’est très rapidement développée une fracture sociale entre d’une part une élite jouissant d’un bon accès aux ressources alimentaires (et donc de la possibilité de manger de façon saine et variée) et d’autre part une masse populaire dont l’alimentation n’était souvent ni suffisamment abondante ni suffisamment variée. La période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a été marquée par la présence d’un grand nombre d’agriculteurs indépendants, et les potagers et jardins communautaires aussi sont restés un phénomène extrêmement courant jusque dans les années 1980.

Développer un rapport plus conscient et plus sain à l’alimentation

– Mangez varié

– Consommez des produits locaux originaux

– Mangez bio lorsque c’est possible

– Mangez moins

– Mangez moins de viande

En faisant le calcul, nombre de ces jardiniers du dimanche ont toutefois progressivement pris conscience qu’avec l’investissement en temps, en énergie et en semences, leurs légumes maison ne faisaient plus le poids face aux produits à bas prix des supermarchés. L’évolution des machines, des carburants, du transport, des engrais et des pesticides a contribué à faire de l’alimentation une véritable industrie… et les multinationales ont peu à peu pris le contrôle de toute la chaîne de production et de consommation.  » La fracture entre l’élite et le peuple reste visible à l’heure actuelle, mais ce sont désormais les grandes multinationales qui s’approprient les terres et donc le pouvoir, souligne le Dr Henderickx. Aujourd’hui encore, un milliard de personnes ne bénéficient pas d’un accès suffisant à une alimentation saine. La répartition des ressources n’est toujours pas équitable.  »

Bénéfices

Si les espèces animales et végétales domestiquées représentent encore et toujours 90 % de notre alimentation, la manière dont nous nous les procurons a évidemment changé du tout au tout. Si la production est devenue plus efficace, plus facile et moins coûteuse, l’industrie a donné la priorité non plus à ce qui est nécessaire, mais à ce qui se vend (le mieux). Les monocultures actuelles sont en outre beaucoup plus sensibles aux conditions météorologiques extrêmes et aux maladies, ce qui peut se traduire par une augmentation des prix, sans compter qu’elles tendent à épuiser les sols.

Un autre point important est que l’industrie alimentaire dépend de plus en plus de la chimie (pesticides, colorants, conservateurs…), avec les risques pour la santé.  » Les bourses aussi s’engagent aujourd’hui avidement dans ce secteur, investissant dans l’alimentaire plus qu’il ne vaut en réalité au risque de créer une bulle dangereuse… avec toutes les conséquences qui en découlent en cas d’éclatement « , avertit le Dr Henderickx.

S’ajoutent à cela d’importantes conséquences environnementales. La production alimentaire engloutit ainsi des quantités d’eau proprement astronomiques ; un rapport de l’American Water Works révèle par exemple que l’agriculture représente à elle seule 70 % de notre consommation d’eau, dont un tiers est destiné à la production de viande et de produits laitiers.

Petit mais rentable

 » Contrairement à ce que l’on s’imagine souvent, la rentabilité des géants de l’agro-alimentaire est inférieure à celle de petites entreprises familiales, en particulier sur le long terme. Les petits paysans connaissent leur métier et la nature locale. De ce fait, leur mode de production est souvent mieux adapté à l’écosystème, ce qui leur permet de réagir plus efficacement et avec plus de souplesse aux éventuels problèmes. Et ils sont logiquement aussi plus attentifs à ne pas épuiser leur terre…  »

L’agrobusiness suscite toutefois une opposition croissante, et on assiste aujourd’hui à une prise de conscience qu’agriculteurs et consommateurs sont des alliés naturels.  » Si les consommateurs laissent clairement entendre qu’ils accordent de l’importance à une offre locale, durable et biologique, les producteurs suivront… mais les gens ont tendance à n’entrer en action que lorsqu’ils sont personnellement confrontés à des désagréments conséquents. Quelle devrait être l’ampleur d’une crise alimentaire pour déclencher un vrai revirement dans la production ?  »

Par Tine Bergen

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