Show, ou comment un magicien et une danseuse évoquent les premiers émois amoureux des ados. © FKPH

Kinder surprises

Avec neuf spectacles très divers couvrant toutes les tranches d’âge depuis les tout-petits jusqu’aux ados, le festival Ménage à deux met en avant la créativité folle des spectacles jeunes publics belges, francophones et flamands ensemble. Une première.

Le Bronks et La Montagne magique : ces deux maisons bruxelloises dédiées aux spectacles pour le jeune public sont éloignées d’un kilomètre à peine, à équidistance de la place de Brouckère. La première est néerlandophone, la seconde francophone. Leurs directrices artistiques respectives, Veerle Kerckhoven et Cali Kroonen, ont décidé de sauter par- dessus l’invisible frontière qui les sépare pour proposer un événement commun, baptisé Ménage à deux : trois jours de spectacles où le public d’une communauté pourra découvrir ce qui se fait de mieux dans l’autre, avec de part et d’autre des musts -Les Pieds dans le Vent (Système 2, 3+, créé en néerlandais pour l’occasion), La Guimbarde (Cache-Cache, 2+), Studio Orka (Inuk, 7+)… – et de nouvelles têtes prometteuses – Audrey Dero (Down Tiger, 5+), LAP vzw (Choco of kaas ?, 6+)… L’événement risque bien d’être riche en découvertes, les deux  » scènes  » étant très différentes dans leurs buts et leurs esthétiques.

Prenons par exemple Show, une production du Bronks pour les enfants à partir de 9 ans. Outre l’audace de son ton pour aborder, à coups de doubles sens et de métaphores pas piquées des vers, les premiers émois amoureux et la découverte de la sexualité, le spectacle étonne par l’ampleur de son dispositif, où un magicien et une danseuse évoluent devant un grand rideau lumineux animé par ordinateur.  » En Flandre, les trois grandes maisons de production – hetpaleis à Anvers, Kopergietery à Gand et Bronks à Bruxelles – disposent de plateaux immenses et on peut donc y monter des créations énormes, expose Cali Kroonen. En Fédération Wallonie-Bruxelles, les spectacles sont prévus pour des scènes plus petites puisque l’objectif reste d’aller soit dans les écoles, soit dans les centres culturels les plus proches pour que tous les enfants soient touchés par le théâtre.  » Comment s’étonner qu’avec cette visée  » éducative « , les spectacles belges francophones soient liés à un  » théâtre du propos « .  » La question « qu’est-ce qu’on veut nous dire avec ça ? » revient très souvent du côté francophone et nettement moins du côté flamand, poursuit Cali Kroonen. En Flandre, même s’il y a aussi des spectacles de facture très classique, on fait davantage place à une expérience de tous les sens, avec une dramaturgie de la matière. Le corps, la scénographie et les mots sont les matériaux qui vont s’entrechoquer et faire naître les émotions.  »

A côté de cette divergence d’objectifs, la différence de taille des productions s’explique aussi par une différence de budget : en FWB, une aide à la création pour un spectacle jeune public s’élève actuellement à maximum 20 000 euros – attribués directement aux compagnies – alors qu’en Flandre, la somme se situe en général entre 50 000 et 100 000 euros.  » En Flandre, on estime qu’un spectacle jeune public doit être créé dans les mêmes conditions qu’un spectacle tout public, rebondit Veerle Kerckhoven, il doit bénéficier d’autant d’attention, de soutien technique et de moyens.  »

Confiance

Pour composer le volet francophone du programme de Ménage à deux, les deux directrices sont allées ensemble à ce rendez-vous incontournable que constituent les Rencontres théâtre jeune public. Chaque année, en août, à Huy, tous les nouveaux spectacles y sont présentés devant un parterre de professionnels – et non un public d’enfants, paradoxe -, journalistes, programmateurs belges et étrangers. C’est aussi à Huy qu’un jury détermine les créations qui recevront les aides à la diffusion, sésame indispensable pour les tournées.  » D’habitude, je ne fonctionne pas du tout comme ça, précise Veerle Kerckhoven, je fais de la prospection en continu, toute l’année. En tant que directrice artistique, je trouvais ça stressant de devoir attendre Huy pour pouvoir choisir. S’il n’y a aucun spectacle qu’on juge bon, qu’est-ce qu’on fait ? Je trouve ce système stressant aussi pour les compagnies : à Huy, ça passe ou ça casse, alors que le spectacle est encore tout frais. Chez Bronks, on ne travaille pas avec des compagnies en tant que telles, mais on réunit des artistes en collectif, des gens en qui on a confiance. Au bout du processus de création, le spectacle est un succès ou pas, mais cette confiance reste.  »

Du jamais-vu

Au niveau du contenu des Rencontres théâtre jeune public, la directrice du Bronks a été marquée par deux spécificités francophones,  » pour lesquelles il y a un vrai savoir-faire  » : les spectacles pour tout-petits, avec notamment le théâtre de la Guimbarde, pionnier en la matière (à voir aussi à La Montagne magique dans le cadre du festival international L’art et les tout-petits, du 24 mai au 10 juin 2018), et le théâtre d’objet ou de marionnettes, avec des compagnies comme Les Karyatides (leur sublime Les Misérables, toujours en tournée, sera le 3 février à La Montagne), le Tof Théâtre (focus à La Montagne du 19 au 28 janvier 2018), le Théâtre des 4Mains (La Guerre des buissons, à La Montagne le 29 décembre prochain et le 24 janvier 2018)… et, bien sûr, la doyenne toujours très en forme Agnès Limbos, qui mélangera pour la première fois ces deux spécialités dans Baby Macbeth, sa version de Shakespeare en théâtre d’objet pour les bébés de plus de 12 mois (le 27 décembre prochain et les 9 et 10 juin 2018 à La Montagne).  » Ça, pour les spectateurs flamands, c’est du jamais-vu « , confie Veerle Kerckhoven, qui rêve avec son homologue francophone de parvenir à mélanger les enfants des deux communautés dans une même salle. Belle ambition. On y croit.

Ménage à deux : du 10 au 12 novembre à La Montagne magique et au Bronks à Bruxelles, ww.lamontagnemagique.be, www.bronks.be

Par Estelle Spoto

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