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Les meilleurs jeux vidéos au service de la science

Le Vif

Marre de dégommer des aliens ? Loin des clichés habituels, certains jeux vidéo permettent de repérer des exoplanètes, de modéliser le cerveau ou de détecter les premiers signes d’un Alzheimer. A vos écrans.

C’est un monde virtuel immense, composé de milliers de planètes. Un univers de pixels dans lequel chaque joueur crée son avatar et s’invente une nouvelle vie. Les plus téméraires y sillonnent l’espace à bord de vaisseaux de combat, prêts à dézinguer le moindre appareil ennemi. Les plus  » intellos  » optent pour le commerce de matières premières, la finance ou même la politique au sein de vastes alliances ! Bienvenue dans Eve Online, un jeu vidéo très prisé des gamers.  » Ici, ce n’est pas toujours facile de survivre « , commente un fan de la première heure. Eve Online regorge de fripouilles à la détente facile et d’alliances prêtes à se faire la guerre. Mais le jeu offre heureusement quelques moments de répit. Entre deux batailles, il est même possible, pour ceux qui le désirent, de participer à de vrais travaux scientifiques ! Une option pour le moins originale.  » A tout moment, un avatar peut examiner des relevés d’observation issus de vrais satellites « , s’enthousiasme un développeur. Cette activité fonctionne comme un jeu dans le jeu. Mais son but, lui, est bien réel : il s’agit de trouver de nouvelles exoplanètes. Une mission identique à celle de Tess, un satellite d’observation lancé récemment par la Nasa !

Donner du sens à son activité virtuelle

Un jeu vidéo au service de la science ? Cela ressemble à une blague. Et pourtant… Bien loin des applications à la Candy Crush, qui gaspillent bêtement notre temps de cerveau disponible, certains éditeurs tentent de donner du sens à nos promenades virtuelles. Pour le plus grand plaisir des utilisateurs.  » Nos joueurs sont bien souvent des amateurs de sciences. Ils s’informent des progrès technologiques récents. Ils aiment explorer de nouvelles choses, résoudre des problèmes complexes. Découvrir une exoplanète, cela les motive « , confirme un développeur d’Eve Online. Et tant pis si, pour trouver cet objet céleste, les volontaires doivent s’armer de patience et scruter inlassablement des kilomètres de courbes tirées des observations de CoRot, un satellite européen désorbité en 2014.  » Ces graphiques mesurent l’intensité lumineuse de milliers d’étoiles lointaines « , explique un chercheur. Les joueurs y recherchent des anomalies qui pourraient indiquer le passage régulier d’une planète devant son soleil. Un phénomène appelé transit. A ce jeu, l’oeil humain fait aussi bien, voire mieux, que les algorithmes, qui ont encore du mal à détecter des orbites longues ou les trajectoires parfois perturbées des astres lointains.  » Les joueurs ont un vrai impact positif sur l’exploitation des données de CoRot, confirment les scientifiques de l’université de Genève, qui suivent le projet de près sous la houlette de Michel Mayor, l’astrophysicien ayant participé en 1995 à la découverte de la première exoplanète, 51 Pegasi b. Ils ont identifié de nombreux signaux qui n’avaient pas été vus auparavant.  » Certes, aucun d’entre eux n’a encore donné son nom à une nouvelle planète. Mais ce n’est sans doute qu’une question de temps. Dans un futur proche, certains pourront même se vanter d’avoir contribué au déchiffrage des hiéroglyphes. Car, en dehors de l’espace intersidéral infini, d’autres champs de recherche s’offrent à eux.

Pour détecter des orbites longues, l’oeil humain fait mieux que les algorithmes

L’éditeur français Ubisoft implique par exemple une partie de sa communauté de joueurs dans la traduction de sigles datant de l’Egypte ancienne.  » En travaillant sur Assassin’s Creed Origins – dont l’action se déroule à l’époque des pyramides -, nous nous sommes rendu compte qu’il était encore difficile de décrypter le sens des hiéroglyphes « , expose Perrine Pieron, consultante sur ce projet. Maîtriser cette forme d’écriture nécessite de longues années d’études. De plus, il existe plusieurs centaines de glyphes dont le sens peut varier d’un texte à l’autre… D’où l’idée d’un programme de traduction instantanée. Celui-ci fonctionnera à l’aide d’une intelligence artificielle, nourrie d’images collectées auprès d’égyptologues, d’historiens, de chercheurs spécialisés et… de simples joueurs.  » Pour entraîner notre algorithme à la reconnaissance de glyphes, il nous faut plus de 50 images différentes de chaque symbole. Nous avons donc développé un outil de dessin et nous invitons toute la communauté à s’en servir pour tracer des hiéroglyphes « , précise un responsable du projet. La traduction instantanée imaginée par Ubisoft mettra sans doute plusieurs années avant de fonctionner parfaitement. En attendant, les amateurs de jeu vidéo peuvent contribuer à cartographier le cerveau humain grâce au projet Eyewire.

Ici, chaque joueur s’occupe de connecter des axones – les fibres nerveuses d’un neurone – dans un cube virtuel de taille microscopique, grossi à l’écran.  » C’est comme de résoudre un puzzle en 3D « , déclare Amy Robinson, directrice du projet. Une fois validés par l’intelligence artificielle et par des joueurs expérimentés, les cubes sont positionnés les uns à côté des autres pour former un bout de cerveau en 3D.  » L’intelligence artificielle ne saurait effectuer seule cette tâche, indique un membre de l’équipe d’ Eyewire. Elle laisse parfois des trous dans la structure, ou « rate » certaines connexions.  »  » En participant à ce projet, non seulement vous aidez les scientifiques à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau, mais vous aidez aussi l’intelligence artificielle à s’améliorer « , commentent les responsables de la start-up sur leur blog. Le discours est un brin manichéen mais il fait mouche : 250 000 joueurs se sont déjà lancés dans la reconstruction 3D des neurones. Alors, pour soigner sa communauté, Eyewire organise régulièrement des tournois dont le but consiste à créer le plus vite possible et sans erreurs le plus gros morceau de cerveau ! L’équipe d’ Eyewire réfléchit aussi à un nouveau jeu baptisé Néo, qui poussera encore plus loin l’exploration de notre matière grise.

Une base de données de comportements humains

 » L’utilisation des jeux vidéo dans les neurosciences n’en est qu’à son début. C’est un outil formidable « , s’exclame Antoine Coutrot, au CNRS. Pour preuve, dans le cadre de ses travaux sur la détection précoce de certains types de démence, comme la maladie d’Alzheimer, ce jeune scientifique utilise Sea Hero Quest, un jeu de navigation simple et coloré, accessible sur smartphones et tablettes.  » La perte d’orientation apparaît comme l’un des premiers symptômes de la démence. Or, ce phénomène est très facile à mesurer, notamment dans un environnement en 3D « , relève Antoine Coutrot. Dans Sea Hero Quest, le joueur dirige un bateau d’un point A vers un point B après avoir mémorisé le trajet sur une carte. Pour lui, l’expérience ressemble à une balade agréable entre des îles paradisiaques. Mais chacune de ses tentatives est enregistrée sur un serveur. Elle vient nourrir une vaste base de données.  » Ce jeu a été pensé dès le départ pour la recherche scientifique, explique Antoine Coutrot. Chaque joueur donne son accord pour l’exploitation des données et répond à un questionnaire. On lui demande son âge, son sexe, sa nationalité, son niveau d’éducation, le nombre d’heures de sommeil par nuit, etc.  » Ainsi, les praticiens peuvent savoir comment le sens de l’orientation se répartit au sein de la population. Une information particulièrement utile lorsqu’il s’agit d’établir un diagnostic.  » Par exemple, si vous êtes norvégien, que vous avez 35 ans, et que vous avez un haut niveau d’étude, la base de données peut vous indiquer votre niveau moyen de performance dans le jeu. Si vous vous en écartez, c’est que vous avez peut-être un problème de santé « , détaille Antoine Coutrot.

Bien sûr, il restera toujours des sceptiques pour douter de la validité d’un diagnostic établi à partir d’un jeu vidéo. Sea Hero Quest apporte cependant une réponse à un problème de taille qui touche de plein fouet les neurosciences : celui de la non-reproductibilité des études.  » Bien souvent, les résultats publiés dans les revues scientifiques se révèlent impossibles à reproduire « , confirme Antoine Coutrot. En effet, pour des raisons pratiques ou de budget, ces études portent sur un échantillon trop limité de participants. De plus, les personnes choisies pour les expériences en laboratoire possèdent bien souvent le même profil. Il s’agit, par exemple, d’étudiants venus  » valider  » des heures de cours. Sea Hero Quest, de son côté, offre des données beaucoup plus riches et variées. Popularisé sur les réseaux sociaux par Deutsche Telecom, qui en a financé une grande partie, le jeu a touché 3,5 millions de participants en un peu plus d’un an.  » Nous avons des profils issus du monde entier. Si nous avions voulu réunir un échantillon de cette taille avec des méthodes traditionnelles, cela nous aurait pris dix mille ans et coûté 13 milliards d’euros « , souligne Antoine Coutrot.  » Certes, le jeu vidéo n’a pas toujours une bonne image. Mais, grâce à lui, les scientifiques pourraient bien construire la plus grande base de données de comportement humain de toute l’histoire de la science « , conclut l’expert. Cela mérite bien quelques game over.

Par Sébastien Julian.

Quatre jeux à la rescousse des chercheurs

Titanesque. Ubisoft sollicite les fans d'Assassin's Creed pour créer un programme de traduction instantanée de hiéroglyphes.
Titanesque. Ubisoft sollicite les fans d’Assassin’s Creed pour créer un programme de traduction instantanée de hiéroglyphes.© UBISOFT

Précis. Séduits par Eyewire, plus de 250 000 joueurs se sont déjà lancés dans la reconstruction 3D des neurones, en connectant des axones dans un cube virtuel.
Précis. Séduits par Eyewire, plus de 250 000 joueurs se sont déjà lancés dans la reconstruction 3D des neurones, en connectant des axones dans un cube virtuel.© J. BOGNAR
Infini. Les amateurs d'Eve Online sont invités à trouver de nouvelles exoplanètes en examinant des relevés d'observation issus de vrais satellites.

Infini. Les amateurs d’Eve Online sont invités à trouver de nouvelles exoplanètes en examinant des relevés d’observation issus de vrais satellites.© CCP
Précieux. La perte d'orientation étant l'un des premiers symptômes de la démence, le jeu de navigation Sea Hero Quest peut aider à établir un diagnostic.

Précieux. La perte d’orientation étant l’un des premiers symptômes de la démence, le jeu de navigation Sea Hero Quest peut aider à établir un diagnostic.© GLICHERS

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