Guérir par la musique ?

Si la capacité de la musique à influencer l’humeur et les émotions est bien connue, on sait moins qu’elle possède aussi un effet thérapeutique démontré. Qu’est-ce exactement que la musicothérapie et qui sont les patients susceptibles d’en retirer un bénéfice ?

Il suffit qu’un air entraînant passe à la radio et hop, on se prend à fredonner sans même s’en rendre compte ! D’autres mélodies sont propices à la détente ou ont un effet cathartique sur les idées noires… et rien de tel qu’un vieux tube pour réveiller les souvenirs d’antan. La musique ne laisse personne indifférent, elle nous émeut et nous ébranle, et une foule de recherches ont aussi démontré qu’elle possède des vertus bénéfiques voire salutaires. La musicothérapie ne se résume toutefois pas à cela.

 » On considère parfois encore la musicothérapie comme une approche alternative, mais il n’en est rien : il s’agit bel et bien d’un traitement scientifiquement étayé « , souligne Jos De Backer, l’un de ses pionniers belges.

Active et intuitive

La musicothérapie est une approche essentiellement non verbale qui met l’accent non pas sur la parole (au contraire de la psychothérapie) mais sur le vécu, le ressenti. Sa forme dite  » réceptive  » consiste surtout à écouter de la musique en s’arrêtant sur les émotions qu’elle éveille ; dans sa forme  » active « , le patient improvise lui-même à l’aide d’un instrument ou de sa voix.  » Nous mettons l’accent sur cette forme active, qui est beaucoup plus efficace, précise Jos De Backer. Il n’est absolument pas nécessaire que le patient s’y connaisse en musique ou qu’il maîtrise un instrument. Ce serait même plutôt le contraire, car les personnes qui ont des connaissances préalables trop poussées risquent d’être handicapées par des préjugés esthétiques. Pour nous, la musique n’est en effet pas tant un objectif qu’un moyen : nous la produisons de manière intuitive en écoutant ce que les sons nous racontent. Certaines personnes affirment qu’elles s’expriment au travers de la musique, mais c’est en réalité le contraire : c’est la musique qui nous exprime. C’est pour cela qu’il est important d’improviser, de laisser la musique suivre son cours et de voir où elle nous mène.  »

Grâce à la musique, il est encore possible d’entrer en résonance avec l’esprit d’une personne démente.

Au contact des émotions

La musicothérapie peut être utilisée à différentes fins, par exemple pour apaiser les tensions et les angoisses, pour contribuer à dissiper le brouillard de la dépression, pour aider le patient à exprimer ou à gérer ses émotions, pour activer et élargir la gamme d’expériences des personnes autistes ou porteuses d’un handicap intellectuel… Chez celles qui souffrent d’un trouble de la personnalité, faire de la musique ensemble peut être bénéfique pour retrouver une emprise sur le monde et sur les contacts sociaux. Elle peut aussi stimuler le cerveau des patients qui souffrent de démence.

 » La musicothérapie repose sur deux aspects fondamentaux, explique Jos De Backer. D’un côté, elle permet d’entrer en contact avec nos émotions, avec nos sentiments les plus intimes, même ceux que vous aurions préféré ignorer ou auxquels nous n’étions pas du tout préparés. D’un autre côté, il y a l’aspect social, l’interaction. En improvisant ensemble et en s’écoutant l’un l’autre, on ouvre la porte à davantage de contacts, mais aussi à plus de confiance. La musicothérapie est utilisée surtout dans le domaine de la psychiatrie et des soins de santé mentale, mais les maisons de repos et de soins aussi découvrent de plus en plus ses bénéfices.  »

Improviser pour soigner

Comment se déroule concrètement une séance de musicothérapie ?  » Le patient commence par choisir un instrument pour lui-même et pour le thérapeute. Ce choix en lui-même est déjà significatif : par exemple lorsqu’un patient choisit des timbales pour lui-même et un triangle pour le thérapeute ; ou qu’il se décide pour un énorme tambour qu’il n’ose finalement pas utiliser. Dans un second temps, nous allons commencer à improviser. L’improvisation rythmique sur un instrument à percussion est plutôt axée sur l’extérieur, tandis que l’improvisation mélodique au piano, à la guitare ou au xylophone, par exemple, est beaucoup plus tournée vers l’intérieur. Au piano, le thérapeute jouera dans le registre des graves, laissant au patient les notes aiguës. La personne frappe alors une touche, le thérapeute donne un sens musical à ce qu’il fait et ils développent peu à peu ensemble un véritable jeu musical… du moins lorsque la sauce prend, car certains patients ont les plus grandes peines à nouer cette relation avec celui qui les soigne. Pour les sujets qui souffrent d’une psychose, c’est même parfois mission impossible : ils frappent encore et encore sur un tambour sans développement rythmique et sans phrasé, ou ils ne respectent pas la métrique et sont toujours en avance ou en retard sur la mesure. Le thérapeute s’efforcera alors de greffer un jeu sain sur ces sons répétitifs ou chaotiques.  »

Après l’improvisation vient le temps de la réflexion verbale, qui sera l’occasion de mettre des mots sur ce qui a été ressenti.

Archives auditives

Il circule sur internet une foule de vidéos de patients déments renfermés sur eux-mêmes qui semblent soudain revivre en entendant les airs de leur jeunesse. Certains se souviennent encore des paroles, mais ils sont aussi moins confus, plus concentrés et capables de tenir un discours plus cohérent.  » La zone du cerveau associée à la musique est pratiquement la dernière à se détériorer, confirme Jos De Backer. Grâce à la musique, il est encore possible d’entrer en résonance avec l’esprit d’une personne démente. Lui chanter des chansons d’autrefois semble particulièrement efficace – pas celles de son enfance, comme on le suppose souvent, mais celles qui ont marqué son adolescence ou ses années de jeune adulte. Des recherches ont en effet démontré que la mémoire musicale se concentre surtout autour de cette période, parce que c’est à ce stade que la personnalité connaît ses principaux développements.  »

Jos De Backer voit dans la musique une sorte d’archive de nos souvenirs, capable de nous mener droit vers une période ou une émotion.  » À côté d’une foule de symptômes physiques (chair de poule ou frissons, rythme cardiaque qui se ralentit ou s’accélère…), la musique se fraie un chemin vers le plus profond de notre être. C’est une voie directe vers nos émotions, nos pensées et nos souvenirs. C’est cela, le pouvoir de la musique…  »

Prédire le borderline

Katrien Foubert, musicothérapeute et collègue de Jos De Backer, s’est intéressée dans le cadre de sa thèse de doctorat à la synchronicité entre deux individus qui font de la musique ensemble : sont-ils capables d’adapter leur jeu en fonction de l’autre ?  » Mes recherches se sont focalisées sur les personnes souffrant d’un trouble de la personnalité borderline. Ces patients ont un problème d’attachement : ils ressentent les contacts avec les autres comme une menace et nouer ou entretenir des relations intimes est extrêmement angoissant pour eux. « 

La thérapeute a improvisé avec chacun de ses sujets d’étude sans savoir s’il s’agissait d’un patient ou d’une personne contrôle.  » Conclusion : les personnes porteuses d’un diagnostic de trouble de la personnalité borderline ne parviennent pas à adapter leur jeu à l’autre, au point qu’elles se retrouvent parfois complètement bloquées. Dans le groupe contrôle, au contraire, le sujet et le thérapeute tendaient à synchroniser leur jeu et à se rapprocher au fil des trois minutes du test. «  Ces résultats pourraient être extrêmement intéressants en termes diagnostiques.  » Il suffit au musicothérapeute d’une improvisation de trois minutes pour se faire une idée de la manière dont le patient s’adapte à lui et des difficultés qu’il rencontre pour initier et entretenir le contact. Ceci lui permet d’identifier avec une précision de 83 % ceux qui souffrent d’un trouble de la personnalité borderline – une différence colossale par rapport aux questionnaires psychologiques, qui demandent énormément de temps et de travail et ne permettront parfois de poser un diagnostic qu’après plusieurs jours.  »

Guérir par la musique ?
© ISTOCK
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