Laurette Onkelinx et Joëlle Milquet, figures emblématiques de la politique des vingt dernières années, ont annoncé qu'elles quittaient la scène. Le symbole d'un changement d'époque. © BELGAIMAGE

Les ténors de la politique belge balayés, qui va maintenant prendre la relève ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’impensable se produit. Onkelinx, Milquet, Mayeur, De Decker, Magnette, Prévot… Les uns après les autres, les ténors de la politique sont balayés ou contraints à se replier sur leurs terres. Place aux jeunes, donc ? Mais lesquels ? Sachant qu’ils héritent d’un champ de ruines.

Laminés par les critiques. Dépassés par les événements. Les uns après les autres, les ténors de la politique francophone sont contraints à quitter le navire. L’annonce du retrait de la vie politique active de Laurette Onkelinx (PS) suit le pas de côté fait par Joëlle Milquet (CDH), qui ne se présentera pas aux communales de 2018, ou le retour sur leurs terres locales de Paul Magnette (Charleroi, PS) et Maxime Prévot (Namur, CDH). Pour ne pas parler d’Yvan Mayeur (PS), Stéphane Moreau (PS), Armand De Decker (MR) ou Georges Pire (MR), balayés par les scandales. Sans oublier, avant eux, Melchior Wathelet (CDH), Sabine Laruelle (MR) ou Emily Hoyos (Ecolo) qui ont préféré, amers ou dégoûtés, rendre les armes et passer à autre chose. Il y a là des airs de tornade, comme celle qui a frappé le secteur bancaire en 2008, lors de la crise financière, condamnant à la pension ou l’exil ceux qui dirigeaient le secteur depuis des décennies et ceux qui étaient programmés pour le faire pour des lustres. Ce qui se produit depuis plusieurs mois, sur la scène politique, ressemble donc bien à la fin d’un régime.

En tirant leur révérence, Laurette Onkelinx et Joëlle Milquet ont chacune mis en garde contre une  » démocratie fracassée « . Par les errements de leurs pairs. Par une population furibonde. Par l’évolution accélérée de l’époque. Par la globalisation.  » Place aux jeunes « , donc : voilà le nouveau leitmotiv. Mais le paysage politique dont ils hériteront n’est-il pas que champ de ruines ? Le Vif/L’Express a longuement écouté ces femmes et hommes politiques, jeunes ou moins jeunes, désormais en pleine introspection, et de plus en plus conscients que leur biotope est en danger.

 » Le climat général est délétère, c’est une évidence, souligne Christine Defraigne, 55 ans, présidente MR du Sénat. La situation est paradoxale : les gens attendent toujours des politiques une solution à tout dans un contexte socio-économique difficile, au coeur d’une importante crise morale et des valeurs. En même temps, ils les brocardent, les méprisent… Les réseaux sociaux ont bouleversé les rapports : c’est tellement facile d’insulter depuis son écran d’ordinateur. Nous payons les errements de quelques-uns. Même droit dans nos bottes, on craint qu’on nous tombe dessus. C’est très difficile à vivre. Nous sommes nombreux à penser, tous partis confondus : « Tous ces sacrifices consentis, notre vie privée négligée, pour en arriver là… » Nous vivons incontestablement la fin d’un régime, sans avoir inventé un nouveau modèle. L’articulation entre le système traditionnel et l’approche plus participative doit encore être trouvée. J’entends l’anxiété qui s’exprime dans la société, mais je peux vous dire qu’elle existe aussi dans le monde politique.  » Comme un écho. Un aveu d’impuissance.

Yvan Mayeur et Elio Di Rupo, avant que le bourgmestre de Bruxelles ne soit englouti par l'affaire du Samusocial : les scandales laissent un champ de ruines.
Yvan Mayeur et Elio Di Rupo, avant que le bourgmestre de Bruxelles ne soit englouti par l’affaire du Samusocial : les scandales laissent un champ de ruines.© LAURIE DIEFFEMBACQ/Belgaimage

La faiblesse du système politico-médiatique

 » Face à cette dévaluation de la fonction politique, nous devons redoubler d’efforts pour démontrer notre utilité, réplique Ahmed Laaouej, 47 ans, député fédéral PS. Nous devons recréer plus de proximité, même si c’est difficile, mettre davantage en avant le travail de qualité abattu au Parlement, l’implication concrète des élus locaux. Parallèlement, il y a cette réflexion sur un système davantage participatif. Beaucoup d’idées existent pour trouver des modes d’implication permettant de rapprocher la politique du citoyen. Mais ça ne veut pas dire qu’on doit se distancer de la démocratie représentative. Elle demeure le modèle de gestion le plus pratique. Elle doit rester le système central, à côté des initiatives qui organisent mieux le débat.  »

Cette dimension participative, précise le socialiste, n’est pas un phénomène nouveau :  » Depuis que je fais de la politique, la société civile s’est toujours organisée pour faire valoir ses points de vue. Que ce soient les consommateurs, les travailleurs, les défenseurs des droits de l’homme… La démocratie représentative ne s’est jamais arrêtée aux portes des partis. La question est : comment l’impliquer plus directement, en veillant à ce que chacun reste dans son rôle ? Le modèle représentatif peut aussi s’appuyer sur une démocratie sociale qui est une marque de fabrique belge. Les partenaires sociaux jouent un rôle majeur pour pacifier les relations et préserver la cohésion sociale. Si on additionne le nombre de militants des syndicats, on arrive à 50 % de la population adulte. Or, ce modèle est en train d’être désagrégé, certains dans la majorité fédérale voulant le casser. La N-VA veut abattre tous les contre-pouvoirs : syndicats, médias, ONG, avocats… Ça aussi, ça m’inquiète.  »

 » A mes yeux, c’est tout le système politico-médiatique qui pose problème, clame pour sa part Christos Doulkeridis, 49 ans, député francophone Ecolo. Il est devenu extrêmement difficile d’avoir des débats de fond. Le système repose sur les petites phrases et les agressions. L’appel de Benoît Lutgen, en juin dernier, a amplifié ce phénomène de façon incroyable ! Nous sommes pratiquement obligés de faire comme Laurette Onkelinx lors de son départ : une communication bien réglée, mais fausse, qui masque le fond des problèmes. Si vous êtes fair-play, vrai, soucieux de ne pas calculer, vous passez pour un loser. Le système médiatique est-il prêt à mettre en valeur d’autres profils que les Reynders, Milquet, Onkelinx, Lutgen… ? Je ne le crois pas.  »

Une des clés, plaide-t-il, c’est l’état de santé des médias.  » On parle du licenciement de 105 personnes à RTL mais sans aller au bout du raisonnement, souligne Christos Doulkeridis. Personne n’évoque la concurrence impossible de nos chaînes avec Facebook, Google, Netflix… et des nouveaux modes de consommation. Toute la presse est dans une situation de fragilité extrême, certains sont au bord de la faillite. Et on pense que ça n’a pas d’influence sur notre démocratie ? Evidemment que si ! Ça appauvrit encore le débat.  »

Armand De Decker et le Kazakhgate : l'appât du gain de certains a miné la crédibilité de tous.
Armand De Decker et le Kazakhgate : l’appât du gain de certains a miné la crédibilité de tous.© BRUNO FAHY/Belgaimage

« Des carrières comme Onkelinx, ça n’existera plus »

Place aux jeunes, alors ? Minute : ceux-ci savent que ce ne sera pas une sinécure.  » J’avoue que dans le climat actuel, je me pose des questions, concède Emmanuel De Bock, 41 ans, chef de groupe DéFI au parlement bruxellois. Je viens de terminer un master en droit à l’UCL et je me sens soulagé. Personne ne pourra me l’enlever. Je gagne une liberté totale. Parce que je sais que des carrières comme Onkelinx ou d’autres, ça n’existera plus.  » Mais il poursuivra tant qu’il verra l’utilité de ce qu’il fait.  » Le cabinet de Pascal Smet (SP.A), ministre bruxellois de la Mobilité, m’a téléphoné pour m’annoncer l’accord sur le prolongement d’une ligne de la Stib, quelques kilomètres dans ma commune. C’est la suite d’une motion que j’avais déposée quand j’étais encore dans l’opposition. Ça ne concerne que trois ou quatre quartiers, dont l’un de logements sociaux. C’est ça qui me permet d’avoir encore le feu sacré.  »

Ce toujours  » jeune premier  » de la formation amarante, qui avait affronté Olivier Maingain à la présidence du parti en 2012, avoue pourtant se demander par moments  » si tout ça en vaut la peine, toutes ces soirées et ces week-ends sacrifiés. L’opprobre dont on fait l’objet nous dégoûte parfois de notre propre engagement. Quand on me traite de cumulard parce que je m’investis bénévolement dans une asbl qui gère les classes de neige dans ma commune… Nous sommes conspués en raison de cet estompement de la norme chez certains anciens. Nous, les jeunes, qui avons tant de mal à émerger, devrons continuer avec un statut revu à la baisse. Car c’est désormais à celui qui lave le plus blanc. On finira par devoir faire tout gratuitement.  »

Emmanuel De Bock croit à une simplification du système, à la nécessité de le réformer en profondeur. Mais avec des réserves.  » Plus personne ne s’y retrouve, il n’y a plus de cohérence. Ce qui est en train de se passer est un grand chamboulement et nous ferions bien de nous inspirer de ce qui se passe dans les pays scandinaves, au Canada ou en Suisse pour améliorer notre fonctionnement. Cette grave crise est une opportunité, mais c’est l’électeur qui devra prendre ses responsabilités. On est aujourd’hui dans le dégagisme, la démagogie est le projet négatif. Retrouvons le chemin des projets positifs !  »

Fabian Culot (MR) : « Attention à la tyrannie de la fausse bonne gouvernance. »

Emmanuel De Bock (DéFI) : « J’avoue que dans le climat actuel, je me pose des questions. »

Pierre-Yves Dermagne (PS) : « Le monde politique est devenu plus brutal. »

Arnaud Pinxteren (Ecolo) : « Il faut faire de la politique un temps, puis céder la place. »

Avec les jeunes ? Arnaud Pinxteren, 40 ans, Ecolo, aimerait le croire.  » Mais j’aurais été davantage convaincu si Laurette Onkelinx avait annoncé qu’elle laissait réellement les rênes de la fédération bruxelloise du PS. Là, elle prend deux ans pour partir alors que les élections de 2018 et 2019 seront déterminantes. Il y a un paradoxe : les jeunes générations du PS sont prêtes et formées, mais je ne vois pas de signaux clairs indiquant qu’on leur laisse la main.  » Le député bruxellois a la gueule de bois.  » Le scandale du Samusocial a éclaboussé tout le monde et nous décrédibilise tous mais, selon moi, la défiance de la population à l’égard de la classe politique n’est pas liée qu’aux affaires. Les attentats de Bruxelles et Paris ont cruellement montré que nous, décideurs, ne les avions pas vus venir. La démocratie a failli. Ce sentiment d’impuissance est le signal le plus fort selon lequel quelque chose doit changer. Peut-être sommes-nous déconnectés d’une certaine réalité ? Que les outils mis en place sont devenus obsolètes pour atteindre les objectifs en matière de cohésion sociale, de vivre-ensemble et de sécurité ? Il faut réinventer le fonctionnement de la politique. Et à vrai dire, ça nous tétanise un peu car on ne voit pas vraiment quelle direction va être prise. Si on est optimiste, on se dira que tout ce qui se passe constitue une opportunité. Mais avec le casting actuel et les structures telles qu’elles existent, je pense que ce sera compliqué. Nous avons tenté cet été de profiter de cette occasion pour mettre sur la table la gouvernance, mais on est malheureusement restés dans des questions de tactique politique.  »

Alors ?  » Nous ne sommes pas là pour faire carrière. Nous sommes des professionnels de la politique, à un moment donné, avec des compétences qui ne sont pas données à tout le monde. Mais il faut faire ça un temps, puis céder la place à d’autres, qui apportent des idées nouvelles. Il faut avoir l’humilité de dire que nous ne sommes pas irremplaçables.  »

Paul Magnette, Maxime Prévot et Paul Furlan ont tous les trois trouvé refuge sur la scène locale.
Paul Magnette, Maxime Prévot et Paul Furlan ont tous les trois trouvé refuge sur la scène locale.© ERIC LALMAND/Belgaimage

La politique, ce CDD

 » La politique, c’est toujours un contrat à durée déterminée, sourit Pierre-Yves Dermagne, 36 ans, nouveau chef de groupe PS au parlement wallon « , interrogé par la RTBF. Ce jeune loup sait de quoi il parle, lui qui fut brièvement ministre wallon des Pouvoirs locaux, avant que le CDH ne tire la prise.  » Le monde politique est devenu indéniablement plus brutal. Paul Magnette évoquait le passage de la boxe anglaise à Fight Club. Je pense effectivement que ces dernières semaines, ces derniers mois, on a dû constater une évolution dommageable pour le débat public.  »

Mais l’homme ne se laisse pas démonter.  » Je suis l’exemple physique qui montre que le PS met en avant des jeunes. Aujourd’hui, je ne fais pas de plan de carrière. Les circonstances de la vie politique m’ont prouvé que ça ne sert à rien. Je vis au jour le jour avec un engagement ferme par rapport à des valeurs, des idées, des projets… Ce qui m’intéresse, c’est le concret des gens. J’ai beaucoup de sympathie et de respect pour les militants du PTB. Je partage avec eux le constat que le monde tourne à l’envers avec la financiarisation de l’économie, des profits de plus en plus importants pour une minorité…  »

S’il est conscient que la politique doit changer, Pierre-Yves Dermagne n’est toutefois pas partisan d’une recomposition politique, d’un jeu tactique pour répondre aux aspirations de changement.  » Je suis prudent par rapport aux mouvements. Il y a eu la vague Macron en France et on voit qu’elle s’amenuise. J’ai toujours été très attentif au fait d’avoir des liens avec un certain nombre de gens. Mais je préfère que l’on puisse discuter en restant dans nos partis respectifs. Sur la base de valeurs, d’idées, de projets…  » Et ce n’est pas un slogan, insiste-t-il.

Le vrai changement consisterait-il, finalement, à en revenir aux fondamentaux de la politique ? Fabian Culot, 38 ans, député wallon MR, n’est pas loin de le penser.  » Certains adoptent des postures inappropriées, qui risquent de s’avérer politiquement contre-productives. Comme ce décret voté en Wallonie imposant un tiers de femmes dans les collèges communaux et provinciaux. Ça va encore réduire le poids de l’électeur, et risque d’être souvent impraticable. Ce que les gens veulent, ce sont des responsables compétents, honnêtes surtout, et efficaces. Il faut arrêter d’adopter des réglementations qui portent atteinte à la liberté. Avec cette tyrannie de la fausse bonne gouvernance, on risque d’accroître le fossé entre le politique et les citoyens. « 

« Se justifier est une bonne chose »

Et le philosophe, de ce blues des politiques, il en pense quoi ? Pascal Chabot, professeur à l’Ihecs, à Bruxelles, et auteur du récent Exister, résister, ce qui dépend de nous (PUF, 240 p.), décèle trois dimensions au phénomène.

1. « Exercer le pouvoir est certainement difficile et, peut-être, plus difficile qu’auparavant parce que le pouvoir est davantage regardé, et parce que s’exprime sur les réseaux sociaux une violence délétère pour la démocratie. Cela étant, on peut se souvenir de cette phrase de Freud qui disait déjà : « Avec la modernité, trois métiers sont devenus impossibles : éduquer, soigner et gouverner ». »

2. « Il y a dans l’exercice de gouverner un aspect qui paraît moins naturel qu’il pouvait l’être : le pouvoir a toujours à se justifier. Mais c’est tout de même une bonne chose. Cela signifie qu’il doit en permanence comparaître pour exprimer sa légitimité ou ses orientations. La difficulté d’exercer le pouvoir aujourd’hui est peut-être liée à une sorte de désir démocratique qui ne sait pas toujours comment se faire entendre vu que notre système prévoit de ne permettre au citoyen de s’exprimer qu’à intervalles prévus lors des élections. »

3. « Quand on a été sous les feux des projecteurs si longtemps, quand on a tout de même recueilli énormément de coups mais aussi d’éloges, il faut savoir que cela fait partie de la scène médiatique au sens large tant cela me paraît relever plus de cette sphère-là que de la scène politique. »

Conclusion de Pascal Chabot qui ne prétend pas être expert en philosophie politique : « Dans tous les partis, il y a, me semble-t-il, des générations plus jeunes qui sont assez prêtes et assez bien formées ».

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