Peter Mertens, président national du PTB, doit désormais gérer le succès exponentiel de son parti. Et donner du corps à des idées qui fusent comme des slogans. © FILIP DE SMET/BELGAIMAGE

Et si le PTB avait raison ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le parti de gauche radicale a le vent en poupe en Wallonie et à Bruxelles. Au secours, les communistes sont-ils de retour ? Selon les experts interrogés par Le Vif/L’Express, les troupes de Raoul Hedebouw ouvrent au contraire des chantiers importants. Même si leurs propositions apparaissent souvent irréalistes.

Les experts interrogés :

Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne

Laurent Hanseeuw, économiste et membre du Groupe du vendredi

Philippe Defeyt, économiste et fondateur de l’Institut pour un développement durable

Giuseppe Pagano, économiste à l’université de Mons

Philippe Destatte, historien, prospectiviste et directeur général de l’institut Jules Destrée

Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD – 11.11.11

Ce n’est plus une bulle. C’est une éruption. Qui ne s’essouffle plus. Tel un métronome, le PTB progresse dans tous les sondages publiés depuis les élections de mai 2014. Dans le dernier baromètre réalisé par Dedicated Research – commandité par le MR – publié fin juin, il atteint même des sommets sans précédent : 24,9 % en Wallonie, où il deviendrait tout simplement le premier parti, et 14,1 % à Bruxelles, où il dépasserait Ecolo et le PS et ne serait plus précédé que par le MR (20,7 %) et DéFI (15,7 %). Un an et demi avant les élections communales et deux ans avant les législatives et régionales.

A gauche du paysage politique, certains piaffent d’impatience à l’idée des nouvelles perspectives que cela ouvre. Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne, a reçu un mandat clair de ses instances : partout, tout le temps, il plaidera en faveur d’une alliance à gauche toute, après les scrutins de 2019.  » Si une majorité PS-PTB-Ecolo est mathématiquement possible, nous pensons que c’est une chance historique à ne pas laisser passer, confirme-t-il au Vif/L’Express. Ce message est adressé aux trois partenaires potentiels, pas à un parti spécifiquement. Cela n’a rien de révolutionnaire ou de nouveau, mais cela prend davantage de sens encore dans le contexte actuel.  » Une allusion à la perspective d’une entrée imminente du MR dans les coalitions régionales, cet été, plausible depuis que le CDH a tiré la prise, le 19 juin dernier.

Avec l’arrivée du PTB au pouvoir en 2019, faut-il craindre le retour d’un communisme pur et dur, populiste et dangereux, comme le dénonce la droite ? Ou, au contraire, est-ce une source d’espoir face à cette crise plurielle qui nous assaille, de l’austérité budgétaire à la malgouvernance ? Par-delà les clichés, Le Vif/L’Express a soumis dix propositions phares du parti maoïste à l’avis d’experts. Tous y voient des débats utiles, tout en dénonçant les incohérences et en se demandant si le PTB est vraiment prêt à prendre ses responsabilités. Voyage nuancé au coeur de cette terre rouge que les francophones plébiscitent désormais.

Faites payer les riches : la clé de voûte du programme du PTB. Selon nos experts, le fruit escompté - 8 milliards - est largement surévalué.
Faites payer les riches : la clé de voûte du programme du PTB. Selon nos experts, le fruit escompté – 8 milliards – est largement surévalué.© KRISTOF VAN ACCOM/BELGAIMAGE

1. Le retrait des traités d’austérité européens

Programme du PTB :  » Suppression du pacte Europlus, du sixpack, du Traité de stabilité, coordination et gestion (TSCG) et autres mesures qui renforcent la « gouvernance économique », tout comme les critères à la base de la politique d’austérité imposés par l’Union européenne en matière de croissance et de stabilité ou dans le cadre du TSCG (« règle d’or »).  »

C’est la condition n°1 posée par les dirigeants du Parti des travailleurs de Belgique pour toute participation gouvernementale. Mot d’ordre : il faut changer de système, balayer le cadre qui impose la politique d’austérité avec tous les effets néfastes que cela entraîne sur le plan social.  » Cela me semble en effet important de demander le retrait de ces textes européens néfastes pour les travailleurs, applaudit Thierry Bodson. Par contre, y conditionner son entrée dans un gouvernement, je ne comprends pas. Au départ d’un pays, c’est déjà un objectif compliqué à atteindre, alors au départ d’une Région… La nouvelle majorité en place pourrait déjà s’engager dans sa déclaration gouvernementale à faire tout ce qui est en ses moyens pour l’obtenir.  »

L’idée est globalement partagée par les experts.  » Beaucoup d’économistes s’entendent pour dire que les traités européens devront un jour ou l’autre être remis sur la table, appuie Giuseppe Pagano, économiste à l’université de Mons. Le système est devenu trop rigide et ne fonctionne pas bien. En outre, il ne rencontre pas ses objectifs : il y a vingt-cinq ans, le traité de Maastricht visait à obtenir une réduction substantielle de la dette publique, ce qui n’est toujours pas le cas, en Belgique comme ailleurs. Mais revoir cela va être extraordinairement compliqué, surtout sur le plan politique : on va se heurter à l’Allemagne, mais aussi aux Pays-Bas, aux pays scandinaves…  »

 » Le problème se situe moins au niveau des traités eux-mêmes que de l’interprétation que l’on a faite de la norme des 3 %, le seuil maximum de déficit budgétaire autorisé au regard du Produit intérieur brut (PIB), nuance Philippe Defeyt, économiste, fondateur de l’Institut pour un développement durable. De nombreux économistes, à gauche mais pas seulement, estiment qu’on devrait faire la distinction entre les dépenses d’investissements et les dépenses courantes.  » Il s’agit, en somme, de sortir les investissements du calcul des déficits afin de permettre une relance publique de l’économie.

 » C’est une mesure réclamée par la gauche en général, approuve Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD – 11.11.11, la plateforme des ONG francophones. Une fois que l’on a dit ça, reste à savoir par quoi on remplace. C’est toute la question du rapport à l’Europe. Certains défendent des positions proches de celle de Mélenchon en France, une forme de souverainisme antieuropéen. Le risque, alors, c’est d’avoir une alliance objective entre extrême gauche et extrême droite, avec tout ce que ça suppose comme concurrence exacerbée entre les Etats. Or, la suppression de toute autorité européenne n’est pas la solution.  » Il faut coopérer : la Belgique ne pourrait pas à elle seule obtenir une révision des traités. Giuseppe Pagano se pose la même question :  » Quand le PTB dit qu’il veut sortir des traités, cela signifie-t-il sortir de la zone euro ou de l’Union européenne ? Il faut être transparent jusqu’au bout…  »

Philippe Destatte, directeur général de l’institut Destrée, est plus critique encore :  » L’approche du PTB est purement idéologique. La stabilité des finances publiques est non seulement la clé de la confiance dans les institutions des nations et régions européennes, mais aussi l’assurance de leur durabilité. Comment peut-on, comme citoyens, rejeter le poids de nos dettes sur les générations futures ? Il y a à la fois de l’irresponsabilité sociale et une certaine attitude populiste à vouloir dénoncer ces accords. Pour la Belgique fédérale, comme pour ses entités fédérées, le maintien des trajectoires budgétaires constitue un vecteur de crédibilité essentiel pour leurs gouvernements.  »

Arnaud Zacharie, lui, y voit aussi un moyen… de poser des conditions inacceptables pour s’exclure d’office de toute coalition.  » Dans l’Union européenne, il y a par ailleurs deux exemples de pays où de telles tentations de gauche radicale ont vu le jour, prolonge-t-il. En Grèce, Syriza a obtenu une majorité absolue. Son approche radicale a échoué parce que la Grèce s’est retrouvée isolée et Syriza est devenu un bon élève, qui applique de manière très disciplinée les prescrits européens.  » C’est précisément l’exemple que le parti de Raoul Hedebouw admet craindre comme la peste.  » Au Portugal, par contre, la gauche radicale a soutenu le gouvernement de gauche de l’extérieur et les mesures prises ont permis d’obtenir des performances socio-économiques record. En termes de stratégie, il y a des leçons à tirer.  » Le PTB au pouvoir ? Pas à n’importe quel prix…

Le temps de carrière, au coeur du menu PTB : semaine des 30 heures et prépension à 58 ans. Pour créer de l'emploi. Généreux, mais peu réaliste.
Le temps de carrière, au coeur du menu PTB : semaine des 30 heures et prépension à 58 ans. Pour créer de l’emploi. Généreux, mais peu réaliste.© PHILIP REYNAERS/PHOTO NEWS

2. La taxe des millionnaires

Programme du PTB :  » Instauration d’une taxe des millionnaires (sur les fortunes au-dessus de 1,5 million d’euros). Une taxe de 1 % sur les fortunes de plus de 1 million d’euros, de 2 % sur les fortunes de plus de 2 millions d’euros et de 3 % sur les fortunes supérieure à 3 millions d’euros. Cette taxe des millionnaires ne touche qu’une petite partie de la population, elle ne frappe que les 3 % les plus riches. Produit : 8 milliards d’euros.  »

C’est la clé de voûte du programme du PTB, un refrain symbolique ( » On fait payer la crise aux riches « ) et un moyen de financer un programme ambitieux.  » Je n’ai pas de souci avec ça, mais c’est une mesure fédérale, souligne Thierry Bodson. Nous, nous portons depuis quatre ans une autre proposition très claire sur la globalisation des revenus professionnels, mobiliers et immobiliers. Cette réforme fiscale en profondeur, avec une imposition progressive selon les revenus, rapporterait 7 milliards d’euros par an, dont environ 350 millions directement à la Wallonie.  »

 » Un des objectifs que les hommes politiques doivent rencontrer, c’est la réduction des inégalités, relève Giuseppe Pagano. Cette question est donc intéressante, dans le sens où elle peut contribuer à le réaliser.  » Mais… Car il y a un mais, voire plusieurs.  » Un million d’euros de patrimoine, ça peut paraître beaucoup, mais ce n’est pas tant que ça, poursuit l’économiste. Un indépendant de taille moyenne y arrive vite s’il dispose d’un entrepôt, de matériel… On va toucher de plein fouet une classe moyenne déjà fort taxée. Je trouverais plus judicieux de toucher les revenus du patrimoine. Par ailleurs, la Belgique n’est pas une île : il est évident que des gens se déplaceront vers d’autres pays. Et ça aura un impact très négatif en matière d’image : le patronat a raison d’insister là-dessus.  »

S’il n’a aucun souci, sur le fond, à demander une contribution plus importante à ceux qui ont des revenus élevés ou des actifs, Philippe Defeyt se montre, quant à lui, sceptique au sujet du chiffre fétiche du PTB : 8 milliards. En raison de la fuite des capitaux, évidente. Mais aussi parce que le projet du parti de gauche radicale est bien trop flou :  » On constate un manque de cohérence et de clarté sur l’unité de la redistribution des revenus retenue. S’agit-il de la personne ou du ménage ? Ce n’est pas anecdotique. Les statistiques relatives au patrimoine sont calculées par ménage. Dans les tranches supérieures de la distribution du patrimoine, il y a des ménages où les deux membres adultes (voire d’autres membres du ménage) se partagent le patrimoine « familial ». Il y a donc de fortes chances que des contribuables potentiels n’atteindraient plus le seuil de la taxe sur les millionnaires.  » Traduction : la taxe des millionnaires risque de toucher beaucoup moins de riches que prévu.

Laurent Hanseeuw, économiste et membre du Groupe du vendredi, un think tank soutenu par la Fondation roi Baudouin, émet une autre réserve : le principe même d’un tel impôt sur la fortune pourrait se heurter à un problème constitutionnel, comme ce fut le cas pour l’impôt sur la fortune (ISF) en France, où les politiques ont été contraints de plafonner l’imposition.  » En l’état actuel des choses, l’ISF français rapporte 5,3 milliards d’euros par an pour une population de 67 millions de personnes, précise-t-il. C’est dire que l’on n’arrivera jamais à 8 milliards chez nous ! A moins que le PTB ne veuille revoir la Constitution ?  »

Philippe Destatte comprend les fondements de l’idée PTBiste. Mais il tempère :  » Les députés PTB fondent leur analyse sur les travaux de l’économiste français Thomas Piketty qui, dans Le capital au xxie siècle, montre l’accroissement des patrimoines fondé sur un rendement du capital plus élevé que la croissance de l’économie, ainsi que l’intérêt d’un impôt progressif annuel sur le capital. On a vu aussi ces derniers années Warren Buffett et quelques millionnaires – ou plutôt milliardaires – américains et en particulier new-yorkais suggérer d’être davantage taxés pour restaurer les finances publiques. Le danger, bien sûr, c’est d’encourager la mobilité des détenteurs de fortune vers des territoires ou des régions où la taxation est moins lourde. Néanmoins, si on oublie le cadre idéologique, la question de l’augmentation de la ponction fiscale repose, à mon avis, davantage sur le pourquoi que sur le comment : est-il nécessaire que la sphère publique soit si étendue et consomme une si grande part du PIB ?  » Une idée généreuse, donc. Mais, aussi, un pétard mouillé ?

La lutte contre les inégalités et le souci des plus démunis, prôné à raison par la gauche radicale.
La lutte contre les inégalités et le souci des plus démunis, prôné à raison par la gauche radicale.© DURSUN AYDEMIR/REPORTERS

3. La semaine des 30 heures avec maintien de salaire

Extrait du livre La Taxe des millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société, de Peter Mertens, le président du PTB :  » Dans la discussion sur la semaine de 30 heures, il ne s’agit pas du tout en fait du temps de travail. L’érosion des emplois normaux et la promotion des minijobs, des petits boulots précaires, du travail à temps partiel et de l’outsourcing ont assuré en effet une diminution considérable du temps de travail moyen. En Allemagne par exemple, 41,8 millions de travailleurs prestent exactement 60 milliards d’heures par an. La moyenne nous donne une semaine de 30 heures. Il ne s’agit pas d’emplois convenables à temps plein, mais d’un mélange trouble comportant des statuts bidon et des contrats de travail précaires. Si la société reprenait en main l’organisation du travail, elle mettrait un terme à cette jungle inhumaine.  »

Voilà l’une des dernières idées fortes du PTB. Le parti ne cesse de relayer les 30 heures comme un slogan à l’ère de la robotisation, qui passera les emplois à la moulinette.  » Nous, nous revendiquons la semaine de 32 heures, qui doit être collective et sans perte de salaire, ajuste Thierry Bodson. Et cela ne doit pas créer de tensions inutiles : il s’agit de le mettre en place progressivement, par une négociation tenant compte des spécificités de chaque secteur.  » Mais sur le fond, là encore, il y a convergence.

 » La réduction du temps de travail, ça me parle, bien sûr, enchaîne Philippe Defeyt. La question, c’est de savoir comment la financer. Sur ce point, rien n’est clair dans le programme du PTB. Or, l’immense majorité du tissu économique wallon serait dans l’incapacité absolue de financer une telle réduction du temps de travail avec embauche compensatoire. D’autant que ce point-là s’ajoute à la longue liste des dépenses promis par le parti dans son programme.  » Au-delà d’un élan de sympathie spontané, l’ancien dirigeant d’Ecolo estime qu’il s’agit là de la principale faiblesse du PTB : il accumule les promesses sans faire de lien entre elles.

 » Une telle réduction à 30 heures, c’est vraiment impossible ! peste Giuseppe Pagano. Prenez une entreprise avec 200 employés. Si vous réduisez le temps de travail de 38 à 30 heures, vous devez augmenter le personnel de 20 %. Cet argent doit bien venir de quelque part ! Pour compenser, le risque est grand qu’on augmente la productivité, qu’on robotise davantage ou qu’on sous-traite. Le contraire de ce que l’on veut ! C’est vraiment une mauvaise idée !  »

L’économiste Laurent Hanseeuw estime pourtant que le débat mérite d’être mené.  » Ce n’est pas forcément du populisme. Keynes, incontestablement un des plus grands économistes que le monde ait connus, n’a-t-il pas prévu dans les années 1930 que l’homme travaillerait deux heures par jour ? Les gains de productivité sur le dernier demi-siècle ont été vertigineux et ce n’est pas fini. La seule chose, c’est qu’ils ont été traduits en revenus financiers, et pas toujours de façon très égalitaire. Théoriquement, c’est un débat hyperintéressant et le PTB a raison de le poser. Même si, politiquement, c’est nettement plus compliqué à concrétiser. Comment ferais-je, moi, pour appliquer une telle réduction dans ma PME familiale ? J’attends leurs propositions plus précises.  »

A nouveau, Philippe Destatte est là pour tempérer les ardeurs :  » L’économiste français Alfred Sauvy disait qu’il y a toujours un compromis possible entre une rémunération et une réduction du temps de travail, mais qu’il est vain de prétendre consommer deux fois le même progrès… Lorsqu’au 1er janvier 2002, sur la base des lois Aubry, toutes les entreprises françaises sont passées aux 35 heures sans diminution de salaire, le chancelier allemand Gerhard Schröder, pourtant social-démocrate, a déclaré dans une interview au Monde, restée fameuse, que c’était une grande nouvelle pour la compétitivité allemande. Les quinze ans qui suivent en ont fait la démonstration éclatante, même si ce n’est pas le seul facteur ni de la compétitivité ni de la réussite allemande.  » Face à la thèse Mélenchon, voilà la thèse Macron.

Socialiser les secteurs stratégiques. Traduisez : nationaliser. Un désir
Socialiser les secteurs stratégiques. Traduisez : nationaliser. Un désir « anachronique ».© FILIP DE SMET/BELGAIMAGE

4. L’augmentation des revenus de remplacement

Programme du PTB :  » Augmenter tous les revenus de remplacement jusqu’au-dessus du seuil de pauvreté. Nous soutenons cette revendication prioritaire du Réseau de lutte contre la pauvreté. La Cour des comptes a calculé il y a quelques années que cette mesure coûterait 1,2 milliard d’euros (1,5 aujourd’hui). En face, il y a les 6,2 milliards d’euros de la déduction des intérêts notionnels et les 6 milliards d’euros qui sont prévus pour l’achat des avions de combat pour l’armée.  »

Lutter contre les inégalités, qui croissent dans nos sociétés : le souhait du PTB est difficile à réfuter. Mais au-delà du slogan, il y a la difficulté des chiffres…  » Définir le seuil de pauvreté comme référence politique est une opération délicate, car c’est une donnée statistique complexe et mouvante, nuance Philippe Destatte. Selon la Commission européenne, il s’agit d’un seuil fixé à 60 % de la médiane du revenu individuel disponible et en dessous duquel les personnes peuvent être confrontées au risque de pauvreté. Statistics Belgium l’identifie à 1 115 euros nets par mois pour un isolé et 2 341 pour un ménage de deux adultes et deux enfants. Des allocations d’insertion ou un revenu d’insertion de l’ordre moins de 900 euros pour une personne isolée ou de moins de 1 200 euros pour une personne qui a charge de famille sont effectivement insuffisantes pour vivre dignement. Mais le PTB est loin d’être le seul à le dire. Et mettre en concurrence des revenus d’insertion, des intérêts notionnels et l’achat d’avions de combat est absurde et poujadiste.  »

 » Une nouvelle fois, le PTB ouvre un beau et sain débat, ponctue l’économiste Laurent Hanseeuw. Même si, là aussi, le financement laisse à désirer : jamais les intérêts notionnels ne rapporteront une telle somme.  »  » Ils ne représentent pas 6 milliards, peut-être 2 milliards avec la chute des taux d’intérêt, confirme Philippe Defeyt. Et je suis sidéré que le PTB prenne en compte une dépense prévue pour acheter des avions : dans ce cas, il faut tenir compte du coût annuel. Par ailleurs, les estimations de la Cour des comptes sont nettement plus élevées que le montant énoncé de 1,2 milliard. La proposition est généreuse, elle a un bénéfice politique, social et médiatique qui a le mérite d’être clair. Mais attention aussi aux conséquences, car on augmente le risque de pièges à l’emploi.  » Bref, le PTB est encore salué pour son idéal – pour autant qu’il soit sincère – mais il est encore recalé pour ses calculs.

Des alternatives ?  » Nous, nous prônons l’utilisation d’un montant compris entre 3 et 3,5 milliards, issu de notre réforme fiscale, pour augmenter la quotité exemptée d’impôt sur les bas et les moyens revenus « , embraie Thierry Bodson.  » Personnellement, il y a une mesure anglo-saxonne que je trouve excellente, essaie Laurent Hanseeuw : c’est l’augmentation de la quotité exemptée d’impôt. Si une personne vit en dessous du seuil de pauvreté, elle reçoit en quelque sorte un impôt négatif. Je ne comprends pas que l’on n’ait pas encore adopté ça chez nous.  »

5. La nationalisation de secteurs stratégiques

Interview de Raoul Hedebouw (Bel RTL, 19 mai 2016) :  » On continue à dépendre pour toute notre politique énergétique d’un monopole comme Electrabel qui se fait des milliards sur notre dos et en plus qui empêche la transition énergétique. Il est temps que la démocratie s’installe au niveau du secteur énergétique. Et que l’Etat et la collectivité reprennent leurs responsabilités dans le secteur.  » Dans le programme, il est question d’une banque publique, de la Poste publique, des transports…

Nationaliser ? Bof, répondent nos interlocuteurs. Le PTB utilise d’ailleurs le terme de  » socialiser « , pour ne pas effrayer, avec une notion aux relents soviétiques.  » Dans certains secteurs, il est bon qu’il y ait une présence publique, c’est vrai, déclare Philippe Defeyt. Mais c’est déjà le cas dans nombre d’entre eux : la SNCB, Bpost, Proximus, les banques… Penser que l’on va faire marche arrière dans d’autres secteurs pour en revenir à des politiques d’après-guerre, j’ai des doutes. Imaginent-ils des expropriations ? On n’en sait rien. Plus fondamentalement, l’expérience d’EDF en France montre qu’une société publique n’oeuvre pas nécessairement au bien-être de la société.  » Pas de dogmatisme, donc.

Le PTB n'entrera dans un gouvernement que s'il est suivi par un
Le PTB n’entrera dans un gouvernement que s’il est suivi par un  » vaste mouvement populaire « . Le milieu associatif parle d’une  » récupération grossière « .© DURSUN AYDEMIR/REPORTERS

 » On ne peut plus penser le rôle des pouvoirs publics au xxie siècle comme on le faisait aux xixe et xxe, assène Philippe Destatte. Le PTB fait ici preuve d’anachronisme. Le rôle de l’Etat, y compris d’organes supranationaux comme l’Europe ou les Nations unies, est indispensable dans l’organisation et la régulation des instruments stratégiques et critiques, ou pour suppléer ponctuellement et temporairement à des difficultés majeures qui peuvent survenir. L’intégration dans ces matières se fait et évoluera au niveau européen. La banque publique wallonne, la poste belge du xxe siècle, la renaissance d’une Société nationale des chemins de fer aux couleurs noir, jaune, rouge constituent aujourd’hui des mythes.  »

Même scepticisme de la part de l’économiste montois Giuseppe Pagano :  » Moi, je préfère que les entreprises privées fassent leur boulot. Les vraies questions stratégiques ou structurantes, c’est l’enseignement ou la recherche !  »

Un seul domaine permet encore le débat.  » Personnellement, je soutiens l’idée d’un portage public temporaire lorsqu’une entreprise qui fait des bénéfices ou est à l’équilibre est fermée par ses actionnaires, comme ce fut le cas pour Caterpillar ou Arcelor, enchaîne Thierry Bodson. L’idée, c’est que la Région wallonne puisse agir temporairement dans les secteurs qu’elle considère comme étant stratégiques. Il ne s’agit pas de nationaliser mais de porter l’entreprise quelques mois, le temps de trouver un repreneur. C’est d’ailleurs ce que le ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS), avait proposé. Une alliance PS-PTB-Ecolo permettrait d’avancer là-dessus.  » Voilà une autre spécificité wallonne en devenir.

6. La refédéralisation de compétences

Programme du PTB :  » Les domaines où la régionalisation s’est avérée inefficace doivent être à nouveau fédéralisés : les transports, le logement, l’infrastructure routière, la recherche scientifique… Nous voulons des compétences homogènes pour ces domaines, au niveau central.  »

Anachronique, clap, deuxième ?  » C’est dans le domaine de la fédéralisation que le PTB apparaît le plus décalé, le moins conscient des réalités d’aujourd’hui, de la trajectoire des entités fédérées, de la volonté des acteurs, affirme Philippe Destatte. La régionalisation et le fédéralisme ont sauvé la Belgique. Le fédéralisme n’a jamais été le problème, mais toujours la solution. Même si, avec une certaine hypocrisie, tous les partis politiques francophones se réjouissent aujourd’hui de ce qu’ils ont appelé la sixième réforme de l’Etat, dont aucun d’eux ne voulait en 2010. Les compétences homogènes vont continuer à se constituer. Mais pas au niveau central, au niveau régional. C’est une tendance lourde depuis 1974, la deuxième réforme de l’Etat, celle qu’on oublie toujours de prendre en compte.  »

 » Il faut être cohérent avec ce qui a déjà été décidé, pointe Thierry Bodson, en rare désaccord avec les thèses du PTB. On ne fera jamais marche arrière. Affirmer que la recherche ou le logement doivent être fédéralisées, ça n’a pas de sens. Les liens sont bien trop importants avec d’autres matières régionales comme l’emploi, la formation ou l’aménagement du territoire.  » Rappel : tant Philippe Destatte que Thierry Bodson sont des régionalistes wallons ultraconvaincus.

 » Le PTB n’est pas le seul à envisager des refédéralisations, note Philippe Defeyt, dont le parti écologiste prône plutôt des coopérations belgo-belges. Personnellement, si je devais prendre un exemple d’une compétence qui mériterait d’être réfédéralisée, ce sont les allocations familiales.  » Sur ce terrain-là, en somme, c’est une question de chapelles, même au sein de la gauche… Le PTB, lui, est le dernier parti national. Son président, Peter Mertens, est Flamand.

7. La repolitisation de la société

Appel de Peter Mertens, le 25 mars 2017 :  » Organisez-vous, dans les syndicats, dans les mouvements de jeunesse, d’étudiants, de défense des droits des femmes, de défense de l’environnement, antiracistes, pacifistes, dans des comités de quartier, dans des groupes de théâtre, de musique et de sport. Il s’agit de bien plus que de donner une voix à un parti. Il s’agit de transformer cette voix en force collective, organisatrice et culturelle.  »

Maillot jaune des derniers sondages, le Parti des travailleurs de Belgique frémit à l’idée de devoir monter au pouvoir. En plus de la sortie des traités européens, il pose une autre condition majeure : la nécessité d’être porté par un vaste mouvement social.  » Les responsables du PTB rêvent tout haut, coupe Arnaud Zacharie. La société civile est tout à fait indépendante des partis politiques. Ils tentent une récupération grossière, mais le monde associatif n’est pas dupe. Quand je lis leur appel, j’ai l’impression de réentendre le Front populaire de Léon Blum dans les années 1930, mais le contexte n’est plus le même. En outre, plus le temps passe, plus il y a un sentiment de défiance qui croît à l’égard du monde politique. Aujourd’hui, dans ce monde associatif, les gens pensent avant tout à changer le monde à leur échelle.  » Comprenez : le PTB n’est pas à l’abri de la défiance citoyenne.

 » Ce sont les acteurs sociaux qui doivent réussir à coordonner les différents mouvements autour d’un objectif commun, acquiesce Thierry Bodson. Ce n’est pas le rôle d’un parti politique. Mais il est vrai que si l’on additionne aujourd’hui l’ensemble des associations, ça fait la majorité de la population. C’est une lame de fond.  » Qui, à l’entendre, pourrait donc appuyer une alternative progressiste au Sud…

 » Sous le couvert d’un appel aux soviets, le PTB réinvente la gouvernance, ironise Philippe Destatte. Pas celle dont on nous rebat les oreilles : transparence, limitation du nombre et de la durée des mandats, conflits d’intérêts, etc. Tout ce qui devrait aller de soi si l’éthique et le bon sens avaient été au rendez-vous. Non, la gouvernance participative, à partir de et avec les acteurs, comme le prônent le Club de Rome, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de nombreuses autres organisations depuis le début des années 1990. Aujourd’hui, c’est en impliquant toutes les sphères de la société que l’on peut mettre celle-ci en mouvement : entreprises, associations, élus, fonctionnaires. Mais on ne peut le faire que par des approches de convergence sur l’intérêt général et le bien commun. Non pas par la lutte des classes et par d’autres propositions aussi clivantes.  »

Raoul Hedebouw, figure emblématique du parti (à dr.), lors de l'incident concernant le cumul du président de la Chambre, Siegfried Bracke (N-VA, au milieu).
Raoul Hedebouw, figure emblématique du parti (à dr.), lors de l’incident concernant le cumul du président de la Chambre, Siegfried Bracke (N-VA, au milieu). © THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

8. La baisse des salaires des politiques

Programme du PTB :  » Pour les parlementaires en général, la rémunération légale serait de 6 000 euros brut par mois, ce qui correspond pour un isolé à environ 3 200 euros nets. Ce montant net correspond à un peu plus de la moitié de l’indemnité actuelle d’un parlementaire. Précisons que les fonctions parlementaires spéciales (président ou vice-président de l’assemblée, président de commission, chef de groupe, etc.) ne feraient pas l’objet d’une rémunération supplémentaire ou alors d’un supplément modéré (par exemple, 10 %). Les ministres et les mandataires politiques exerçant plusieurs mandats, publics ou privés, ne pourraient en aucun cas dépasser le plafond de trois fois le revenu médian, soit 9 000 euros brut par mois. Pour un isolé, cela représente environ 4 500 euros nets, soit un peu moins de la moitié de ce que gagne un ministre actuellement (autour de 10 000 euros nets).  »

 » A mon avis, cette question va venir à l’avant-plan, assure Thierry Bodson. Je souhaite d’ailleurs que l’on s’y penche au sein de mon organisation.  » A la rentrée, la FGTB pourrait appuyer en ce sens.  » C’est une question de principe, pas un débat d’experts, estime l’économiste Laurent Hanseeuw. A titre personnel, je ne trouverais pas indécent que l’on se pose la question de la rémunération du parlementaire. Par contre, pour les ministres, quand je vois le travail qu’ils abattent et leurs responsabilités, ça me semble exclu !  »

 » Autant chaque citoyen a pu être outré par un certain nombre d’abus et de dysfonctionnements dans la sphère publique ces derniers mois, autant limiter ces problèmes à la catégorie des élus est absurde, juge Philippe Destatte. Les plus importantes dérives apparaissent liées à des cumuls de rémunération dans la fonction publique dont les mandataires n’étaient pas élus, mais dont les rémunérations atteignent 800 000 à 900 000 euros brut par an, ce qui est scandaleux en Wallonie. Les rémunérations actuelles des élus – ministres y compris – me paraissent raisonnables en fonction des missions qui sont les leurs, pour autant qu’elles ne soient pas cumulées avec d’autres fonctions…  »

9. La publication du patrimoine des mandataires

Propositions du député Marco Van Hees en matière de gouvernance :  » Pour le PTB, il est essentiel de publier le patrimoine des mandataires politiques. Ceux-ci devraient fournir les éléments valorisés de leur patrimoine à la Cour des comptes qui les publierait annuellement sur son site Internet. Cette transparence est nécessaire pour prévenir des phénomènes comme la dissimulation de revenus illicites ou immoraux, les conflits d’intérêts, les délits d’initiés, la corruption. Comme il existe un lien comptable entre les revenus et le patrimoine, le contrôle de l’un et de l’autre se renforcent mutuellement : ce sont les deux facettes d’une même transparence.  »

 » C’est effectivement le système entré en vigueur en France au lendemain de l’affaire Cahuzac (blanchiment et fraude fiscale), signale Philippe Destatte. Les initiatives prises dans la République par l’intermédiaire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pourraient utilement être transposées en Belgique.  » Dont acte ?

En matière d'immigration, le PTB préconise une régularisation selon des critères objectifs. Une thèse à l'opposé de celle de la N-VA.
En matière d’immigration, le PTB préconise une régularisation selon des critères objectifs. Une thèse à l’opposé de celle de la N-VA.© CHRISTOPHE LICOPPE/PHOTO NEWS

10. La régularisation des sans-papiers

Programme du PTB :  » Régularisation selon des critères clairs et par une commission indépendante. Dans la loi doivent être repris des critères objectifs concernant les  » attaches durables  » (travail, liens sociaux, connaissance de la langue), des longues procédures d’asile, des situations humanitaires graves, des mineurs d’âge…  »

Sujet délicat, y compris pour le PTB : l’immigration. Le parti de gauche radicale ne met pas toujours ce thème en avant, mais cet extrait témoigne de penchants progressistes.  » Ils sont assez proches des positions du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers) et, dès lors, il y a plutôt beaucoup de points de convergence avec notre position « , résume Thierry Bodson.  » Ça rejoint la position des ONG et des associations actives dans le domaine : il faut avoir des critères clairs pour prendre les décisions, c’est très important, prolonge Arnaud Zacharie. C’est une mesure courageuse, politiquement, dans le contexte actuel de repli sur soi.  »

 » La liberté de se déplacer dans ce monde doit être absolue, chacun doit être libre de quitter son pays et d’entrer dans tous les autres, y compris de s’y installer et d’en devenir citoyen, conclut Philippe Destatte. La position du PTB, comme celle d’autres partis politiques, m’apparaît, personnellement, bien timide.  » Un sentiment à mille lieues de celui véhiculé par la N-VA de Theo Francken.

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