Jacques De Decker

« Expo 58 : Bruxelles était au balcon, ce qui reste sa meilleure posture »

Chaque jour où nos horaires de l’athénée (de Schaerbeek) nous le permettaient, et certainement le samedi, nous montions, Alain et moi, dans le tramway qui devait nous mener au Heysel.

On y avait déployé une Exposition universelle qui nous était spécialement destinée. Nous avions à peu près 12 ans, autant dire l’âge idéal pour être des capitaines au long cours (Jules Verne, intitulant Un capitaine de quinze ans un de ses romans, nous avait donné raison trois quarts de siècle avant notre naissance) et on nous offrait le monde sur un plateau.

L’Expo 58, on ne le dira jamais assez, avait exactement notre âge mental. Celui, pas trop perturbé par le sexe (on ne nous admettait pas encore aux films  » enfants non admis « ), où l’on est encore pleinement disponible pour absorber l’univers à pleines goulées. Nos guides portaient des pantalons de golf (Tintin) et passaient leurs doigts écartés dans leurs cheveux coupés en brosse (Bob Morane), ils avaient été inventés par des Belges et étaient en train de conquérir le monde.

Dès que nous arrivions sur le plateau, nous l’avions à portée de main, ce monde. Au pavillon russe, face au pavillon américain, on avait suspendu, sous le plafond, le fameux Spoutnik, le satellite pionnier dont on ne se doutait qu’il inaugurait un âge qui ferait de l’humain l’espèce la plus surveillée de sa propre initiative. La flèche du génie civil fascinait par son élégance et son appellation, enjoignant le génie d’être civil, ce qu’il a depuis longtemps cessé d’être.

Tout rappelait que nous nous mouvions dans un espace entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, et préfigurait une époque où tout se trouverait bouleversé

Mais surtout, il y avait l’Atomium, représentant l’atome dans la même proportion où l’Expo représentait la planète. Tout rappelait que nous nous mouvions dans un espace entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, et préfigurait une époque où tout se trouverait bouleversé : la Belgique n’aurait bientôt plus de colonie et se fractionnerait, les hommes marcheraient sur la Lune, la guerre, qui ne cesserait de refroidir, déboucherait trente ans plus tard sur l’écroulement du Mur (avant de renaître sous des formes plus perverses) et nous, Alain et moi, face à cette aventure en réduction-expansion, essayions d’imaginer ce que nous allions y faire.

Au fond, Bruxelles était au balcon : n’est-ce pas aujourd’hui encore sa meilleure posture, entre l’Angleterre qui prend le large, la France qui joue à l’insurrection, son sport à risque favori, l’Espagne qui se drape dans son autoritarisme, l’Italie qui agite son cocktail préféré, à base d’esprit de finesse et de connerie ?

Alain et moi, on a appris tout cela en gambadant dans cette grande foire qui couronnait notre amitié juvénile et préludait au final du IIe millénaire. Il est celui de nous deux qui en a gardé le plus prégnant souvenir. La preuve : le succulent livre que lui a inspiré l’Expo. Le titre ? Expo 58, l’espion perd la boule (Genèse Edition). Alain, à l’époque, s’appelait déjà Berenboom. Son livre n’a rien de nostalgique, à la différence de cette chronique. C’est de la politique-fiction rétrospective digne d’un Le Carré qui tournerait fou. Il en savait des choses sur les préparatifs de l’Expo, le bougre ! M’est avis qu’il les a apprises après nos excursions. Il n’a jamais été cachotier.

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