Gérald Papy

« Peut-on souhaiter la mort des djihadistes ? »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Après Mossoul l’Irakienne en juillet dernier, Raqqa la Syrienne en octobre : l’Etat islamique a perdu en quelques mois les deux bastions qui soutenaient son projet de nouveau califat.

La coalition arabo-occidentale a été en première ligne de ces deux batailles longues de plusieurs mois ; ce qui n’était pas évident dans l’est syrien où l’armée de Bachar al-Assad, épaulée par la Russie et le Hezbollah libanais, tente d’imposer son pouvoir. Des théâtres d’opération, quand ils n’y ont pas péri, des djihadistes de Daech se sont retirés anticipativement ou ont réussi à s’échapper pour fuir, soit vers l’ouest irakien, soit vers l’est du pays de Cham.

Plus encore qu’après la chute de Mossoul, va se poser la question du sort réservé aux combattants étrangers de l’Etat islamique. En Syrie, une course contre la montre pour la reconquête des territoires orientaux oppose l’armée gouvernementale, qui a déjà repris Deir ez-Zor et, plus récemment, Mayadin, à la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes, fer de lance de la  » libération  » de Raqqa. La confrontation repoussera vraisemblablement les derniers affidés de Daech vers l’Irak et une zone désertique où l’armée de Bagdad reprend progressivement pied. Même en Turquie, les djihadistes en fuite ne pourront plus profiter, de la part des autorités, de la complaisance qui leur avait permis de se mouvoir quasi sans entrave au commencement du califat. Bref, le djihadiste 2017 de Daech est tantôt mort, tantôt traqué, soit replié sur un autre foyer d’insurrection libyen, somalien ou, qui sait, philippin,soit de retour vers son pays d’origine.

u0022Prôner la mort indistincte des djihadistes, c’est dénier à la démocratie la capacité de rendre justiceu0022

La perspective de revoir un afflux de foreign fighters glace les responsables européens à l’aune des violences terroristes que leurs coreligionnaires ont déjà provoquées en Belgique, France, Espagne, Allemagne, Grande-Bretagne… La ministre française des Armées, Florence Parly, l’a exprimé à sa façon l’autre jour au micro d’Europe 1.  » La chute de Raqqa […] est une très bonne nouvelle, a-t-elle commenté. Nous sommes engagés aux côtés de nos alliés pour obtenir la destruction de Daech. […] Ce que nous voulons, c’est aller au bout de ce combat. Et s’il y a des djihadistes qui périssent dans ces combats, je dirais que c’est tant mieux. Et s’ils tombent entre les mains des forces syriennes, ils dépendront de la juridiction des forces syriennes.  » Une juridiction embryonnaire de temps de guerre exercée par une force militaire non reconnue…

On peut admettre que les auteurs ou les inspirateurs d’actes aussi lâches que les attentats de Paris et de Bruxelles ne soient pas éligibles au sentiment de compassion que porte naturellement l’être humain. On peut comprendre que les responsables français et européens préfèrent régler leur compte aux djihadistes dans le fracas trouble de la guerre plutôt que dans une traque à l’issue incertaine qui exposerait, in fine, leurs concitoyens à une nouvelle vague de terreur. Le secret a été éventé depuis longtemps. François Hollande, encore président, a reconnu avoir diligenté des exécutions ciblées contre des djihadistes et, lors de la bataille de Mossoul, ont filtré des informations sur les  » permis de tuer  » les djihadistes francophones accordés par Paris aux services de contre-terrorisme irakiens.

Il n’empêche que si on ne pleurera pas la disparition d’un Abou Suleiman al-Faransi, le commanditaire des attentats de Paris, appeler aussi crûment et aussi indistinctement à la mort des djihadistes de Raqqa de la part d’une responsable politique est en soi condamnable moralement et démocratiquement. Parce que son choix privilégie la vengeance collective sur la sanction individuelle et dénie à la démocratie la capacité, dans ses prisons et dans ses prétoires, de rendre la justice. Y compris au bénéfice des victimes de Daech.

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