© archives du 7e art/photo 12/afp

Desproges superstar

Le livre hommage que vient de publier sa fille est un grand succès. Trente ans après sa mort, l’auteur des Chroniques de la haine ordinaire rallie tous les suffrages. Le Vif/L’Express a demandé à quelques admirateurs célèbres de raconter pourquoi ils aimaient tant l’humoriste.

Il en aurait sûrement ri, comme s’il avait joué un bon tour à la postérité. Trente ans après sa mort, Pierre Desproges publie encore un best-seller. Etonnant, non ? Plus exactement, c’est sa fille Perrine qui est à l’origine de ce Desproges par Desproges, volumineux ouvrage de près de deux kilos, truffé de textes inédits, de correspondances privées et de photographies émouvantes. Un rêve de fan, qui s’est déjà écoulé à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires en quelques semaines.  » Nous ne cessons de réimprimer pour éviter la rupture de stock « , se réjouit Perrine Desproges.

Depuis sa disparition, en 1988, plus de quatre millions d’exemplaires de livres signés Pierre Desproges se sont vendus en France. C’est colossal. A lui tout seul, le Tout Desproges (Seuil), la bible des fans, avec ses 1 500 pages, a séduit 85 000 lecteurs. Jamais l’auteur facétieux des Chroniques de la haine ordinaire n’a semblé aussi présent, comme en témoigne la brochette éclectique d’admirateurs que Le Vif/L’Express a réunis ici. Signe des temps, même le Premier ministre français, Edouard Philippe, est un inconditionnel. Il l’a découvert à l’époque du Tribunal des flagrants délires et a confessé un jour avoir appris certains de ses textes par coeur  » pour essayer de l’imiter « .

Desproges par Desproges, édition établie par Perrine Desproges et Cécile Thomas. éd. du Courroux, 344 p.
Desproges par Desproges, édition établie par Perrine Desproges et Cécile Thomas. éd. du Courroux, 344 p.

Désormais, ce n’est plus seulement la  » vieille  » génération d’humoristes – François Rollin, Stéphane Guillon… – qui se revendique de lui. De jeunes stars du stand-up, à peine nées lorsque Desproges nous a quittés, comme Jérémy Ferrari et Nawell Madani, le citent parmi leurs influences. Pour beaucoup, en ces temps de  » politiquement correct  » généralisé, la liberté de parole de l’humoriste fait un peu figure de paradis perdu. Ne proclamait-il pas, par exemple, que  » les animaux sont moins intolérants que nous : un cochon affamé mangera du musulman  » ?  » Je vous rappelle qu’il avait tout de même eu des ennuis avec l’ancêtre du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) à propos d’un texte sur Michel Droit, souligne sa fille. Bien sûr qu’aujourd’hui il se moquerait de Facebook, comme il l’avait fait à l’époque des radios libres. Mais ce que nous avons voulu montrer avec ce livre, c’est que, derrière le ton grinçant, se cachait aussi une certaine poésie.  » Car si cet amoureux d’Alexandre Vialatte reste aussi présent aujourd’hui, c’est sans doute à son maniement des mots qu’il le doit avant tout. Les époques passent, le style Desproges reste.

La Minute nécessaire de M. Cyclopède, en 1982.
La Minute nécessaire de M. Cyclopède, en 1982.© Jean-Claude Pierdet/ina/afp

 » C’était rudement bien joué !  »

Stefan Liberski, réalisateur de cinéma, écrivain, humoriste et homme de télévision

 » Françaises, Français !… Belges, Belges ! … Cette vieille blague de Pierre Desproges me fait encore rire. Il me semble qu’elle reprend même des couleurs avec les nouvelles rigolades de l’écriture inclusive. Il faut l’avouer : c’était drôle, surtout quand c’était  » dit  » par Desproges. A ce propos, c’est curieux, j’ai longtemps pensé qu’il devait être plus savoureux à l’écrit qu’à l’oral. J’adorais l’écouter mais je me disais :  » Vivement qu’on publie ses sketches, tiens ! C’est tellement bien troussé !  » C’était faux. Quand il y a eu les livres, sa voix et sa présence manquaient. J’ai compris assez tard que son génie, c’était justement celui de balancer des textes très écrits avec un air modeste et timide. L’air du mec qui s’excuse de n’être pas du tout acteur. On avait toujours l’impression qu’il devait lutter contre un trac énorme ou qu’il avait la conviction qu’il ne savait pas jouer. C’était rudement bien joué ! Je crois aussi que c’est la raison pour laquelle les interviews qu’il menait étaient aussi énormes. Ses airs de faux modeste lui permettaient d’aller très loin. Ses interlocuteurs ne le voyaient pas venir. C’est marrant à dire à propos d’un type qui est parti. On aimerait tant le voir revenir… « 

Humoriste ou homme de lettres ? Les deux, mon capitaine !
Humoriste ou homme de lettres ? Les deux, mon capitaine !© GINIES/SIPA

 » Il me fait penser à Raymond Queneau  »

Alain Rey, lexicologue et père du Petit Robert

« Il me semble que Pierre Desproges aurait tout à fait sa place dans une histoire générale de la littérature française. J’ai eu l’occasion d’en parler avec son épouse, après sa mort. Contrairement à d’autres humoristes, il maîtrisait un niveau de langue élevé. Avec ses phrases interminables, il pastichait un peu les longues périodes de la rhétorique latine. Son aptitude à introduire soudain une expression triviale au sein d’un discours très châtié me fait parfois penser à des auteurs comme Raymond Queneau. Par son goût de l’absurde, il empruntait aussi beaucoup à l’humour britannique. Avec ses mots, il était capable de placer toute la société sur une scène comique et, ce qui est important, de la critiquer, parfois violemment. Il me semble d’ailleurs que l’une de ses cibles principales, même si elle n’était jamais désignée en tant que telle, c’était le langage lui-même, avec ses tournures convenues et figées par les siècles.  »

Une statue indéboulonnable ?
Une statue indéboulonnable ?© TULLIO/TELE7JOURS/SCOOP

 » Il maniait parfaitement l’absurde  »

Daniel Goossens, auteur de bandes dessinées, pilier du magazine Fluide glacial

 » Au tout début, Pierre Desproges me faisait une impression bizarre, j’étais presque méfiant à son égard. Et puis, il y a eut Le Tribunal des flagrants délires, et j’ai compris que cet homme ne me décevrait jamais. Je me souviens encore de son réquisitoire contre Julien Clerc,  » ce monstre mi-homme mi-chèvre, velu comme une chèvre et bêlant comme un homme « , qui m’avait beaucoup amusé. J’adore aussi la manière dont il maniait l’absurde avec La Minute nécessaire de M. Cyclopède. Par exemple, à propos des Bigoudens debout sur la plage, il avait suggéré qu’on leur mette une ampoule sous la coiffe pour en faire des lampadaires. Cela n’avait pas beaucoup plu aux Bretons, je crois, alors qu’il n’attaquait aucunement la Bretagne. Il se moquait de toutes les religiosités sociales, ce qui est différent. Et salutaire.  »

Avec la journaliste Annette Kahn, sa meilleure amie, au restaurant La Camargue, rue Bleue, à Paris.
Avec la journaliste Annette Kahn, sa meilleure amie, au restaurant La Camargue, rue Bleue, à Paris.© F. Schull/SDP

 » Il cuisinait élégamment les mots  »

Michel Sarran, chef, deux étoiles au Michelin, membre du jury de Top chef

 » J’adorais écouter Le Tribunal des flagrants délires, d’autant que Pierre Desproges et Luis Rego venaient régulièrement dîner à l’époque dans le restaurant italien où j’étais jeune commis, aux Halles. Il plaisantait d’ailleurs souvent avec ma fiancée, qui travaillait en salle, car l’humour faisait partie intégrante de sa vie. J’aime la façon élégante qu’il a de cuisiner les mots, en y ajoutant quelques ingrédients acides ou triviaux, mais toujours avec un dosage très fin, qui redonne aux expressions toute leur puissance. C’était aussi un épicurien, qui aimait la nourriture et le vin. Il avait d’ailleurs un peu bousculé le milieu de la gastronomie avec ses chroniques culinaires dans Cuisine et vins de France, réunies dans le volume Encore des nouilles. Là aussi, il n’hésitait pas à mettre les pieds dans le plat, et cela a fait grincer les dents dans le milieu un peu traditionnel de la cuisine de l’époque… « 

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