Dans les couloirs du PS, le débat d'idées est supplanté par les batailles d'ego. © C. Hartmann/Reuters

Crimes et chuchotements au PS français

Le Vif

L’échec du parti socialiste à la présidentielle et aux législatives de 2017 ne fait pas taire les divisions et les rivalités personnelles. Au-delà de la course au poste de premier secrétaire, c’est pourtant une question de survie.

Lâchez vos smartphones une journée, exercez votre droit à la déconnexion !  » Le 25 janvier dernier, Emile Josselin, conseiller municipal de la ville de Créteil, au sud-est de Paris, implore ses camarades socialistes d’arrêter de se déchirer en public sur Twitter. Peine perdue, les amabilités continuent de plus belle. Deux jours plus tard, le compte de soutien à Stéphane Le Foll propose aux militants de choisir entre l' » immoral  » Olivier Faure et le  » loyal  » ancien ministre de l’Agriculture, deux des quatre candidats à la direction du PS français. Le ton de la campagne est donné : batailles d’ego plutôt que débats d’idées. Depuis leurs déroutes électorales de 2017, les socialistes ont beau avoir ferraillé contre la réforme du Code du travail, présenté un contre-budget, défendu une proposition de loi sur les déserts médicaux, leurs offensives sont passées inaperçues. Seules leurs guerres intestines retiennent l’attention.

Ne pas être un serial killer n’est plus une faiblesse. C’est une qualité

Pieds sur le bureau et clope au bec dans sa tanière de l’Assemblée nationale, Stéphane Le Foll assume de sortir l’artillerie lourde face à l’autre héritier du quinquennat Hollande, accusé d’avoir pris ses distances avec la loi El Khomri et la déchéance de nationalité. Première salve :  » Je ne supporte pas ceux qui se planquent et font comme s’ils n’avaient pas gouverné. Pourquoi les gens reviendraient vers le PS si on leur dit qu’on a honte de ce qu’on a fait quand on était au pouvoir ?  » Deuxième salve :  » Olivier Faure est faible, car il n’a pas percé en tant que président de groupe à l’Assemblée. S’il passe de président de groupe à premier secrétaire, c’est le parti qui ne sera pas en percussion.  » Bref, pas assez combatif. Le député de la Sarthe (centre-ouest de la France) regarde s’allonger la liste des soutiens de son rival. Martine Aubry, Jean-Marc Ayrault, Najat Vallaud-Belkacem, les maires de Nantes et de Rennes…  » Snif, je suis seul « , ironise- t-il, convaincu que les militants sanctionneront l’alliance hétéroclite autour d’Olivier Faure.  » C’est le renouvellement du statu quo, une alliance de la carpe et du lapin dont les racines remontent au congrès de Reims, en 2008.  »

Emmanuel Maurel, fermement opposé à la politique d'Emmanuel Macron, se pose en rassembleur de toute la gauche.
Emmanuel Maurel, fermement opposé à la politique d’Emmanuel Macron, se pose en rassembleur de toute la gauche.© photos : s. lagoutte/myop

Le bureau d’Olivier Faure est tout aussi enfumé, mais l’ambiance y est moins électrique. Est-ce parce que les cadres du parti se rallient en masse ? Ou tout simplement que la stratégie du député de Seine-et-Marne (à l’est de Paris) – éviter les polémiques pour privilégier le rassemblement – séduit davantage ? Quitte à repousser à plus tard les questions qui fâchent sur le fond.  » Je ne cherche pas à donner le sentiment que je suis à moi seul la solution, assure Olivier Faure pour marquer sa différence de style avec Stéphane Le Foll. Si l’on continue à se subdiviser, ce sont les électeurs qui nous subdiviseront.  » Les critiques sur son supposé manque de charisme ?  » Le fait de ne pas être un tyran ou un serial killer aurait pu être une faiblesse à une autre époque. Aujourd’hui, c’est une qualité. Le jeu n’est plus d’éliminer le voisin, mais de faire travailler les gens ensemble.  » Le candidat s’engage à ne pas briguer l’élection présidentielle,  » sauf cas de force majeure… le Sofitel, par exemple « .  » Les grosses pointures du parti se disent qu’il n’est pas effrayant, et qu’il n’empêcherait pas de revenir les anciens ministres qui se sont éloignés « , analyse un partisan plutôt mesuré d’Olivier Faure.

Longtemps encouragée publiquement par ses amis à prendre la tête du courant majoritaire, Najat Vallaud-Belkacem a renoncé le 3 janvier. Sa candidature a été savonnée en coulisses façon Crime de l’Orient-Express. Trop jeune, trop femme, trop populaire… Trop dangereuse, en somme. Alors, oui, plusieurs de ses bons amis y sont allés de leur coup de canif. Il y a d’abord cette fuite, opportunément reprise par Le Figaro en novembre, selon laquelle l’ancienne ministre de l’Education nationale aurait demandé, pendant une réunion à huis clos du courant majoritaire, que le poste de premier secrétaire soit rémunéré. Il y a ensuite ces  » camarades  » qui lui font comprendre qu’elle n’aurait pas les mains libres pour diriger le parti. Son manque de motivation fait le reste. Selon des propos anonymes rapportés par l’hebdomadaire Marianne, Olivier Faure aurait orchestré cette éviction. L’intéressé lève les yeux au ciel.  » Marianne se fonde uniquement sur les mauvais génies dont les « décryptages » révèlent surtout la personnalité de leurs auteurs.  »

Stéphane Le Foll, héritier du quinquennat Hollande, assume :
Stéphane Le Foll, héritier du quinquennat Hollande, assume :  » Je ne supporte pas ceux qui font comme s’ils n’avaient pas gouverné. « © photos : s. lagoutte/myop

La paranoïa bat son plein. Et certains continuent à se comporter comme si le PS était encore le grand parti hégémonique de la gauche.  » Ceux qui ont encore des mandats n’ont pas atterri. Ils ne sont pas fragiles comme nous qui avons tout perdu, se lamente l’ancien député du nord de la France Sébastien Denaja, laminé aux législatives de juin 2017. Du coup, ils perdent du temps avec des enfantillages.  » L’époque a bel et bien changé. Il y a encore quelques mois, Sébastien Denaja trustait les plateaux de télévision pour défendre bec et ongles l’action de François Hollande. Le 25 janvier, il propose à l’AFP de lui envoyer un communiqué pour annoncer son ralliement à Olivier Faure.  » Faites un tweet « , lui a-t-il été répondu.

Des ex-vallsistes alliés à des hamonistes, des hollandais divisés… Où est la cohérence ?

Le spectacle donné à l’aile gauche du PS n’est pas en reste. Le député européen Emmanuel Maurel, déjà candidat à la tête du parti, contre Harlem Désir en 2012, rempile cette année. Sa ligne ? Opposition résolue à Macron ; critique du bilan du socialisme au pouvoir ; rassemblement de toute la gauche, du PS aux  » insoumis « . Le créneau lui est disputé par Luc Carvounas, député du Val-de- Marne, au nord-est de Paris. Autant la position de Maurel est conforme à son parcours, autant celle de son concurrent, ancienne première gâchette de l’ancien Premier ministre Manuel Valls, surprend.

Olivier Faure, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, veut renouveler les têtes et en finir avec les courants.
Olivier Faure, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, veut renouveler les têtes et en finir avec les courants.© photos : s. lagoutte/myop

Carvounas est à la tête d’une coalition regroupant notamment d’anciens proches d’Arnaud Montebourg ou de Benoît Hamon. Ces nouveaux apôtres lui ont promptement pardonné son soutien à la déchéance de nationalité. Les hamonistes ont un long historique de coups de billard à trois bandes. Ils ont successivement pactisé avec Martine Aubry ou avec les hollandais au gré des intérêts de leur patron. Leur soutien à Luc Carvounas fleure bon la manoeuvre d’appareil. Dans les Pyrénées-Atlantiques, au sud-ouest de la France, Mehdi Ouraoui, partisan d’Emmanuel Maurel, s’est irrité que des cadres hamonistes démarchent des militants pour Luc Carvounas en se prévalant du soutien de Benoît Hamon. Il s’en est plaint auprès de l’ancien candidat à la présidentielle.  » Je n’ai pas de poulain. Je vais les engueuler « , lui a répondu ce dernier par texto. Le démarchage a cessé.  » Benoît n’a pas intérêt à ce que l’on emporte le congrès ou que l’on fasse un gros score, décrypte un soutien d’Emmanuel Maurel. Cela invaliderait sa stratégie, lui qui a quitté le PS en disant que le parti était irréformable.  »

Des ex-vallsistes alliés à des hamonistes, des hollandais divisés… et la cohérence idéologique, dans tout ça ? Il fut un temps où les semaines précédant les congrès du PS français étaient l’occasion de phosphorer sur des dizaines de contributions thématiques. Le temps des motions ne venait qu’après. Cette année, l’étape des contributions a été enjambée. Les militants devront directement choisir entre les motions que les candidats au poste de premier secrétaire ont déposées le 27 janvier. Pour la première fois, ces textes ont un nombre de pages et de thèmes limités : écologie, inégalités et modèle économique, République, Europe et mondialisation.

Luc Carvounas, député et ancien fidèle de Manuel Valls, se positionne désormais à l'aile gauche du parti.
Luc Carvounas, député et ancien fidèle de Manuel Valls, se positionne désormais à l’aile gauche du parti.© photos : s. lagoutte/myop

Les quatre candidats à la tête du Parti socialiste s’accordent sur un point : le jeu est plus ouvert que jamais. Le nombre de militants aptes à voter devrait se situer entre 25 000 et 40 000. Un socle de hollandais purs et durs favorables à Stéphane Le Foll ? Des modérés sensibles à la volonté d’Olivier Faure de renouveler les têtes et d’en finir avec les courants ? Ou des déçus du quinquennat prêts à renverser la table avec Luc Carvounas ou Emmanuel Maurel ? Dans ce brouillard, les habituels soupçons de fraude ne sont jamais loin.  » Quand il ne reste plus que 2 000 personnes dans les grosses fédérations, cela va être dur d’en faire voter 8 000 « , tente de se rassurer l’ancien député frondeur Alexis Bachelay.

Dans un PS français malade de lui-même, le port de la blouse blanche est vivement conseillé.  » Ce n’est pas un moment de rénovation, mais de survie. Ce que les urgentistes appellent une « réanimation d’attente », diagnostique l’ancien député Christian Paul. Il s’agit de rester suffisamment vivant pour prendre part à la rénovation de la gauche dans les années qui viennent.  » Le futur patron du parti héritera d’un PS low cost : il devra trouver un nouveau siège plus modeste que celui de la rue de Solférino, organiser des réunions par visio-conférence plutôt que de payer des allers-retours à Paris aux cadres du parti. Et continuer à dompter des ego toujours bien gonflés.

Par Jean-Baptiste Daoulas.

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