Milton Paulo et Anne-Cécile Chane-Tune dans leur danse qui mêle improvisation, contact et... confiance. © dr

Corps accords

Aux Rencontres professionnelles théâtre jeune public de Huy, la chorégraphe Félicette Chazerand présente, plus de vingt ans après sa création, Corps confiants, basé sur les techniques du contact improvisation.  » Plus qu’un spectacle, c’est une rencontre dansée  » : explications.

Les deux danseurs commencent par un échauffement individuel. Lui, Milton Paulo, enchaîne des postures de yoga dans une salutation au soleil. Elle, Maria-Eugenia Lopez (en alternance avec Anne-Cécile Chane-Tune), secoue ses articulations, roule au sol, déplie et replie son corps, tandis que, dans son coin, Marc Galo égrène quelques notes sur sa guitare électrique. Les rires des enfants commencent à fuser quand la parole surgit enfin.  » Nous sommes ici pour vous présenter une danse qui mêle contact et improvisation. C’est une danse de maintenant.  »

Initialement créé en 1996, remonté dans le climat délétère postattentats de Bruxelles en 2016, Corps confiants est donc présenté en ce mois d’août dans cette vitrine professionnelle qu’est le festival de Huy avant de repartir en tournée. Il expose et repose sur les principes du contact improvisation, une technique mise au point au début des années 1970 aux Etats-Unis par un groupe de danseurs et de sportifs sous la houlette de Steve Paxton, interprète pour Merce Cunningham et membre fondateur du célèbre Judson Dance Theater à New York avec Trisha Brown.  » Ce collectif réunissait des gens qui avaient envie de chercher d’autres codes que ceux de la danse classique et ne voulaient plus travailler dans une structure hiérarchique, explique la chorégraphe Félicette Chazerand, Française formée en danse classique, arrivée en Belgique pour intégrer Mudra, l’école bruxelloise de Maurice Béjart, et qui a découvert le contact improvisation au Québec. Leur but était de bouger ensemble, en dehors de toutes les habitudes. Le premier principe du contact improvisation, c’est la gravité. Etre vivant, c’est avoir la notion de la verticalité, en lien avec l’attraction terrestre. De là découlent les notions de poids, de direction, de fluidité, les allers et retours, la respiration, la qualité des relais et des points d’appui, les parties du corps plus spongieuses que d’autres… Comment on se reçoit, comment on se donne, comment on communique.  »

Influence majeure de la danse contemporaine (en Belgique, des chorégraphes comme Wim Vandekeybus et Anne Teresa De Keersmaeker y ont beaucoup puisé), le contact improvisation a surgi dans un contexte de profonde remise en question de la danse, nourri par la redécouverte de techniques d’analyse du mouvement, comme les méthodes Feldenkrais et Alexander, la kinésiologie ou encore l’idéokinésis.  » A l’époque, de nombreuses expériences ont été menées, poursuit Félicette Chazerand. Travailler dehors, dans la nature, prendre conscience du poids de la matière par rapport au poids du vivant… Tout cela a fait émerger des tas de possibles au niveau de la créativité et de l’imagination chorégraphique.  »

Réunir

 » Transfert de poids « ,  » ventre contre ventre « ,  » la danse du doigt « ,  » tête à tête « ,  » prise de risque « ,  » tourbillon « … Dans Corps confiants, les danseurs énoncent successivement ce qui va guider leurs mouvements dans les différentes séquences.  » Tout cela crée des formes mais on ne l’apprend pas en tant que forme, précise la chorégraphe. Par exemple, la danse doigt à doigt implique tous les principes exercés au préalable, mais la danse du doigt que je vais faire maintenant ne sera pas la même que celle que je ferai demain, et ce n’est pas grave. On est dans l’écoute de ce qui se passe dans son corps et chez l’autre. Dans le contact improvisation, il y a la relation, l’écoute, la confiance, l’abandon, la détente, la dynamique, la propulsion… Il y a en fait tout ce que l’on trouve dans les cours de récréation, mais qui peut parfois être vu comme un rapport de force alors qu’ici il est absent. C’est jubilatoire d’avoir une technique qui ne sépare pas mais qui réunit, qui crée des liens, et peu importe lesquels d’ailleurs puisque tout est possible.  »

A la suite des danseurs, les spectateurs de Corps confiants sont invités à la fin du show à rejoindre le plateau pour tester eux-mêmes quelques-uns de ces principes très ludiques créateurs de danse – adultes comme enfants. Avec cette notion fondamentale de confiance, le contact improvisation convient d’ailleurs particulièrement bien à ces derniers, même très petits. C’est ce qu’a récemment expérimenté Patrick Gautron avec des classes de maternelles d’une école uccloise.  » Au fil des sessions, on a constaté un vrai changement dans la dynamique des groupes. Ça a modifié radicalement la façon d’être des enfants.  » Dans cette tranche d’âge où le schéma corporel n’est pas encore totalement acquis, l’initiation au contact improvisation offre aux plus jeunes une plage de liberté de mouvement où l’on apprend comment entrer en contact avec l’autre sans risquer de le blesser ou encore comment descendre au sol sans se faire mal et ainsi vaincre la peur de la chute.  » En développant le rapport à l’univers qui les entoure, les enfants vont aussi moins se cogner, enchaîne cet ancien professeur d’éducation physique de 53 ans séduit, comme beaucoup, par l’aspect ludique de cette forme de danse. C’est la même chose pour les personnes âgées : elles manquent terriblement de contact, perdent leurs repères spatiaux et tombent davantage. Pour moi, le contact impro, c’est un élixir de jouvence. Et ce qui est remarquable, c’est que ça permet à chacun de danser, que les gens soient bien portants, autistes ou porteurs d’un lourd handicap. Il n’y a pas de notion de genre, pas de stéréotypes de corps, pas de limite d’âge, tout le monde peut danser avec tout le monde tant qu’on est à l’écoute.  »

Mais comme dans les improvisations de jazz, le contact impro nécessite des bases.  » On ne peut pas faire tout et n’importe quoi, souligne Patrick Gautron. Il faut un minimum de vocabulaire et être dans un dialogue établi. Je ne vais pas me lancer sur le dos de quelqu’un si je ne suis pas certain qu’il va pouvoir me réceptionner de manière correcte, pour ne pas que l’on se blesse, ni lui ni moi.  » Contrairement à ce que son nom semble indiquer, le contact impro ne s’improvise donc pas mais offre, à tous, le plaisir parfois oublié d’exister à travers son corps.

Corps confiants (dès 5 ans) : le dimanche 24 septembre prochain au Columban à Wavre ; le 18 février 2018 au centre culturel de Huy (dans le cadre du festival Petit Pays de danse) ; le samedi 28 avril 2018 au théâtre La Montagne magique à Bruxelles.

Par Estelle Spoto

 » C’est jubilatoire d’avoir une technique qui ne sépare pas mais qui réunit, qui crée des liens « 

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