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Ceux qui sont à l’ouest vous saluent

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Où il est question d’un huis clos au grand air, de vieux cowboys, de  » slow TV  » et de boules de billard.

Il est midi au soleil. C’est une de ces belles journées des Badlands belges, une de ces journées où les pigeons toussent sous le crachin, mais où on a quand même envie de sortir son imperméable à dos nu. Au cas où. Au creux de la grande vallée, dans la prairie bétonnée, la terrasse du café est presque sèche. Les hérissons frémissent gaiement dans les rhododendrons. Derrière les montagnes d’immeubles jaillit la crête de la tour du Midi. C’est très beau. Tout va merveilleusement bien. Les exportations d’armes belges font un tabac. Le tabac fait un malheur. Et le malheur des uns – on le sait – fait toujours le bonheur des autres. Bref, tout se tient de façon admirable. En même temps, il faut bien admettre que les armes, ça a plus d’allure que les boules de billard. Par ailleurs, c’est drôlement plus chouette, pour l’économie. Chouette, comment ? Au moins autant qu’une petite fille au Yémen quand elle voit joliment tomber du ciel une bombe jaune, noir et rouge. Et qu’elle lui explose à la figure (1) (2).

Très loin de ces considérations, José Cheyenne attend. Il montre, par intermittence, le pointillé parfait de son profil trempé. Il a préféré le futal en cuir à l’imper échancré, le José. Question de style. N’empêche qu’il a chaud, dans sa peau de bête. Assis sur la terrasse, dans un geyser de poussière, il incarne parfaitement le mâle usé et cynique habitué à se faire justice lui-même.

En face de lui, au gré de la lente oscillation d’un rocking-chair, un colt dépasse de l’auvent. L’arme a un reflet de zénith. La lumière est comme l’homme assis dans le fauteuil : d’humeur lambine mais anxieuse. Elle laisse apparaître du bleu, du violet, du rose, de longues traînées d’ecchymoses qui s’étalent sous le vent. Dans son rocking-chair, Ennio Butterfly ne dit rien, mais il a envie de hurler.

Entre lui et l’autre, c’est un huis clos au grand air. Un duel silencieux à l’ombre des cactus et des fleurs de printemps. La sciure de bois virevolte sur un air d’harmonica terrifiant. Des soupirs laissent présager le carnage à venir. Une caméra braque sans relâche la scène, depuis un hélicoptère de la VRT qui vrombit en vol stationnaire, quelques mètres au-dessus du café-saloon. Apeurée, une serveuse s’est même cachée dans un cagibi, derrière une rangée de piquets savamment orientés à un angle de 45° (3).

José Cheyenne déglutit péniblement face à un Ennio Butterfly qui ne hurle toujours pas. Puis, José – se rappelant que, dans ses fougueuses jeunes années, il n’avait pas hésité à faire entrer un bison dans l’enceinte du Parlement (fallait oser) – se lève d’un coup sec, porte en ricanant la main à sa ceinture, puis, semble ravaler ce subit élan de courage, se ravise, et lève enfin les deux mains en l’air. Tout en déguerpissant, il assène, sur un ton très gaullien :  » Pardon, je dois filer. Un avion à prendre. J’ai rendez-vous avec l’histoire !  »

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer à 20h15 sur la Une…

(1) La Belgique est le plus gros fournisseur européen d’armes à feu, notamment vers l’Arabie saoudite, en guerre contre le Yémen et gros sponsor du terrorisme islamiste.

(2) Le plus important fabricant au monde de boules de billard est une société belge.

(3) La VRT se lance dans la  » slow TV  » et a diffusé, le 31 mars, une émission télévisée d’une durée de 12 heures, en préambule à la 101e édition du Tour des Flandres.

Rosanne Mathot

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