Le Central, nouveau nom du Centre culturel régional du Centre, accueillera Luz Casal, qui chantera Dalida. © JORDI VIDAL/GETTY IMAGES

Bouillons de culture

Que se passe-t-il derrière les programmes de nos centres culturels ? Qui les dirige, pour quelles missions ? A l’occasion du lifting du Centre culturel régional du Centre, tour d’horizon, à Bruxelles et en Wallonie, de ces lieux souvent méconnus dont la mission est à la fois artistique, démocratique et sociale.

Combien pouvez-vous en citer ? Ils sont 104 en Wallonie et 11 à Bruxelles, tous en partie subventionnés par la Fédération Wallonie-Bruxelles dont le nouveau décret de 2014 a repensé la philosophie et les missions. Mastodontes urbains comme Wolubilis ou petites salles de spectacles rurales, la diversité de taille, de territoire et de programmation de ces lieux de démocratie culturelle accessibles à tous peut laisser perplexe : comment s’y retrouver ?

Alors que certains campent sur leurs acquis avec une offre qui se renouvelle peu et semble s’adresser surtout aux habitués – citons Uccle et Auderghem, qui se proclament  » centres culturels  » mais ne dépendent en fait pas de la Fédération et n’emploient ce nom que parce qu’il n’est pas protégé -, d’autres adoptent au contraire une ligne de conduite novatrice, basée sur une programmation artistique de pointe et de vrais enjeux de société. C’est notamment le cas de la Maison de la culture de Tournai, qui se place dans le sillage des grands centres dramatiques du pays, ou de la Maison culturelle de Quaregnon, dont le jeune et dynamique directeur, Morgan Di Salvia, a repris les rênes voici trois ans, pile au moment de mettre en pratique le fameux décret. A Bruxelles, citons La Vénerie, centre culturel de Watermael-Boitsfort dont la nouvelle directrice, Virginie Cordier, s’est associée au label United Stages pour faire face à l’afflux des migrants et sensibiliser les citoyens à l’action des plateformes de soutien aux réfugiés.

A Quaregnon, le centre culturel est animé par une équipe de six personnes motivées, mais qui endosse aussi
A Quaregnon, le centre culturel est animé par une équipe de six personnes motivées, mais qui endosse aussi  » de nombreuses responsabilités « .© DR

Culture et démocratie

Directeur du W:Halll, centre culturel de Woluwe-Saint-Pierre, Martin Winance résume l’évolution d’un secteur à travers l’histoire de ce lieu particulier, qui combine le service culture de la commune avec la médiathèque :  » Le décret de 2014 est venu replacer les centres culturels au coeur de la problématique de l’éducation permanente, de l’accès au savoir et au pouvoir pour tous les publics. Notre mission est de ramener la dimension sociétale au coeur du débat pour construire la culture avec les gens, faire vivre l’espace public, réfléchir sur les enjeux du territoire et, plus largement, de la société dans laquelle nous nous ancrons. « Bien davantage que la simple diffusion de spectacles pour divertir le public, un centre culturel vise donc désormais à lui donner des langages pour s’exprimer et faire en sorte qu’il soit entendu. Cette définition amène chaque centre à jouer un rôle de passeur et à développer des processus de transmission – ce qu’on nomme la  » démocratisation de la culture « .  » Récemment, on a racheté le matériel d’une compagnie de cirque, reprend Martin Winance, et on va collaborer avec le centre culturel Wolubilis, qui est plus au point dans les arts du cirque, pour développer un axe autour du corps avec des résidences, des ateliers, et aussi les écoles, avec lesquelles nous sommes obligés de travailler via le pacte culturel.  » Ce sera également le cas lors de deux journées de création musicale pour les classes du lycée voisin Mater Dei.

Evoquant l’idée de démocratie participative, Winance souligne à quel point elle est aujourd’hui au centre des débats, y compris dans des lieux institutionnels comme La Monnaie ou les grandes maisons de théâtre.  » C’est finalement un vieux concept récupéré de tous côtés, qui nécessite d’aller chercher les publics plus éloignés, de travailler avec les écoles et les associations locales et, surtout, de convaincre nos équipes de la nécessité de repenser entièrement nos manières de fonctionner.  » Commune hétérogène composée à 35 % d’expats européens, Woluwe-Saint-Pierre soulève par exemple des questions d’identité et d’intégration sociale spécifiques :  » On est au tout début du processus. On part d’un centre qui n’avait aucune identité éditoriale et ne faisait que programmer de gentils petits spectacles.  » Comment mettre du sens là-dedans ? En développant la dynamique territoriale, des actions pour les jeunes mais aussi une mixité sociale entre expats et réfugiés à travers des cours de français organisés par le CPAS, par exemple :  » Encourager des processus de solidarité comme les cinés-goûters intergénérationnels pour les grands-parents et leurs petits-enfants favorise la création d’espaces de convivialité.  »

A Woluwe-St-Pierre, l'intention est de
A Woluwe-St-Pierre, l’intention est de  » divertir le public en plus de lui donner des langages pour s’exprimer « .© DIDIER VANEESBECK

Mais que devient l’artiste dans ce contexte de réflexion sociétale ? N’est-il pas le grand oublié de cette réforme ? Pour Martin Winance, cela peut au contraire le replacer dans la vie de la cité :  » Avoir des lieux où les gens rencontrent les artistes et peuvent se confronter aux actes de création est bénéfique. Cela donne une place aux artistes du territoire et leur permet de s’emparer de ces outils.  »

Réfléchir et se faire plaisir

Auparavant classés par catégories selon un précédent décret (1992) définissant le montant des subventions allouées en fonction de leur importance, les centres culturels devraient tous bénéficier d’ici 2023 d’un financement annuel garanti de 100 000 euros minimum octroyé par la FWB, sans compter ensuite, selon leur contrat-programme et en fonction des activités qu’ils proposent, l’aide des communes (en argent ou en apports indirects : personnel, frais énergétiques) et des provinces (matériel ou aide à la diffusion, par exemple).

Leur visibilité reste cependant assez fragile, souligne Morgan Di Salvia, directeur de la Maison culturelle de Quaregnon depuis 2014.  » Peu de gens sont conscients qu’il existe, sur un territoire restreint, 115 lieux différents offrant de la nourriture pour l’esprit de tout le monde. Le plus souvent, on est vus soit comme ringards et poussiéreux, soit comme snobs et distants, alors qu’en fait, c’est un secteur hyperdynamique, qui palpite en tous sens. De la tragédie grecque au concert rock en passant par les arts plastiques, vous pourriez facilement vivre toutes vos soirées de l’année dans les 115 centres culturels existants ! Notre mission est aussi qu’un maximum de gens se rendent compte du plaisir et de l’émotion qu’on leur offre. Il s’agit d’une richesse à préserver, sinon ça risque de disparaître.  »

Le Central, vu de l'intérieur : une réouverture après huit ans de coûteux travaux.
Le Central, vu de l’intérieur : une réouverture après huit ans de coûteux travaux.© ALAIN BREYER

Fondée en 1991, la maison culturelle de Quaregnon a été créée dans le but de sauver un bâtiment Art déco de la destruction. Porté par une équipe de six personnes, le centre est devenu  » catégorie 1  » en 2010, peu de temps avant la mise en place du nouveau décret, que soutient fermement Morgan Di Salvia, même s’il déplore le manque de préparation et de moyens offerts pour le mettre en oeuvre :  » Organiser 50 activités par an avec une si petite équipe nécessite une grande dépense d’énergie créative alors qu’on n’est pas très bien payés et qu’on endosse de nombreuses responsabilités. C’est un peu ingrat, comme tout le secteur non marchand mais, en contrepartie, on bénéficie d’une immense liberté artistique et intellectuelle.  » S’adressant potentiellement aux 200 000 habitants du bassin Mons-Borinage, Di Salvia souligne la solidarité existante entre les centres culturels et l’importance de soigner leur image de marque pour attirer l’attention des publics sur des débats contemporains comme les enjeux démocratiques liés aux réseaux sociaux ou le passé minier de la région. Le centre a aussi le projet d’accueillir un tout nouveau festival sur la langue française au sein d’une cité sociale : un projet d’envergure pensé avec les théâtres, les écoles, les bibliothèques locales et qui accueillera notamment un spectacle de Magyd Cherfi, petit beur des quartiers nord de Toulouse, ex-membre du groupe Zebda devenu écrivain multiprimé. Pour son programmateur Morgan di Salvia, la culture est comparable à l’économie alimentaire : fréquenter un centre culturel, c’est investir dans une économie à circuit court et local au prix d’un ticket de cinéma !

Plus d’informations sur les sites des associations fédératives du secteur, l’ACC (www.centres-culturels.be) et l’ASTRAC (www.astrac.be).

www.maisonculturetournai.com ; www.maisonculturellequaregnon.be ; www.lavenerie.be ; www.whalll.be

Bouillons de culture
© DR

La culture, c’est Central? !

Bruxellois installé à Feluy, c’est presque par hasard que Vincent Thirion (photo) s’est retrouvé au début de l’année à la tête de l’ancien Centre culturel régional du Centre (CCRC), qui prend cet automne le nouveau nom de  » Central  » après un long travail de concertation orchestré par les frères louviérois Giansante, qui ont également accompagné la renaissance de Mars (pour Mons arts de la scène) à Mons l’an dernier. L’ancien intendant général de Charleroi danse a pu suivre la fin du chantier de rénovation du théâtre, fermé au public depuis 2009. Après huit ans de coûteux travaux, ce bâtiment de 1958 a finalement rouvert ses portes le 15 novembre avec, au programme, le Slava’sSnowshow, un spectacle décoiffant qui est au clown ce que le Cirque du soleil est… au cirque.  » De Dalida à Claude Nougaro, tout le monde est passé par ce théâtre  » rappelle Vincent Thirion, fier de son plateau aux dimensions comparables à celui de la Monnaie, de l’Opéra royal de Wallonie et du théâtre de Liège, et dont tout l’équipement a été remis à neuf. Tous les habitants de La Louvière sont invités à se réapproprier ces sept lieux qui dépendent de l’ancien CCRC et à prendre part à leur programmation :  » Il faut que les gens et les artistes s’emparent de cet outil de culture : tout cela est à eux ! Nous avons axé cette saison 1 sur le thème de la première fois : chaque spectacle que nous proposons cette année se doit d’être extraordinaire et mémorable, pour offrir aux gens un moment qu’ils ne pourront pas vivre ailleurs, et certainement pas à la télé ou sur leur tablette !  » Outre le cirque et le théâtre, la danse sera aussi de la partie (avec le Requiem d’Alain Platel, juste après sa création à la Monnaie en février prochain), ainsi que des artistes  » stars  » comme Christophe, Albin de la Simone ou Luz Casal, qui chantera Dalida.  » On programme des thés dansants pour inviter le public à monter sur le plateau. Nous avons aussi un pôle muséal qui regroupe huit lieux, de Binche à Mariemont. On est un peu le centre de la région du Centre !  » plaisante Vincent Thirion, euphorique.

Central : 17, place Jules Mansart, à La Louvière. www.cestcentral.be

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