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Au 36, café des Orfèvres

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Où il est question de Maigret, du déménagement du 36, quai des Orfèvres et d’un autre Maigret.

Fatigué de galoper le long des cadavres, comme on fait son jogging le long du canal au printemps, assis au fond du café, le commissaire Maigret mange sa blanquette de veau, dans un heureux et immobile nonchaloir. Fuyant une période d’activité par trop bruyante dans son unité – un déménagement (1) – il a suivi le grand filon lumineux qui fait briller le macadam belge jusque dans l’espace, pour s’offrir un Paris-Bruxelles sous les lampions. Il n’a aucune idée de l’heure. Sa quatorzième bière a, depuis longtemps, fait danser, puis dégringoler les aiguilles du cadran de sa montre.

– Commissaire ! Je crois qu’il est mort !

– Qui ?

– Who ?

Deux voix – l’une française, l’autre britannique – ont répondu, en choeur, au cri déchirant de la serveuse (2).

Désarçonnement. Silence. L’étonnement grimpe au plafond comme des bulles d’eau pétillante. Sous les lampes vert émeraude du café, deux casquettes hargneuses s’affrontent. Par en dessous, des silences sont échangés, comme de dardantes navettes dans ce scénario à l’incongruité muette.

Le Maigret français toise son adversaire britannique et, s’adressant à la jeune fille tremblotante, brise le silence.

– C’est un mannequin, votre mort, mademoiselle.

– Et alors ? On s’en fiche, de son métier, commissaire, c’est quand même triste.

Le commissaire n° 1 l’indulgente du regard.

– Un mannequin ? Really ? Vous croyez, Maigret ? intervient l’Anglais.

– Je ne crois rien, répond le Français.

– But, vous pensez que… ?

– Je ne pense jamais. Je constate, mon vieux. Pas de corps. Pas de témoin. Pas d’heure du crime. Pas de preuve. Pas de mobile. Je retourne à ma blanquette.

– Well, vous m’emmerdez, Maigret. Moi, j’ai des doutes.

– Je te préviens, Maigret, it’s going to shit bubbles, si tu continues. Méfie-toi !

– Enfer sanglant ! rétorque l’autre, qui prend le tutoiement guerrier du Français au vol. Ferme-la, tu veux ? Tu as l’air d’un damné lunatique.

– Tout doux, l’Angliche, n’oublie pas que c’est moi, et moi seul, le gratin de la littérature policière.

– Well, ton gratin, il a vieilli. Tu veux que ça appâte qui, du vieux gratin ?

On était au bord de la calamité domestique, on chancelait entre le grotesque et le tragique, lorsque la voix de la tenancière des lieux mugit, comme une sirène de pompiers, réclamant repentance, bienséance et retrait des paroles menaçantes. Le Français – tout à sa blanquette – ne remarqua pas que l’autre (l’imposteur britannique) tenait une arme à pleines mains et le visait droit au coeur.

– Je suis fatigué des querelles, l’Angliche. Et si on buvait un canon ?

– A  » gun  » ? Really ? Alors, monsieur est servi. Cheers !

Et l’Anglais appuya sur la gâchette. Façon Highlander, il murmura :  » Il ne peut en rester qu’un.  »

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne : où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une à 20h15…

1. Depuis le 17 avril dernier, le  » 36, quai des Orfèvres « , siège historique de la police judiciaire parisienne, a entamé son déménagement vers le  » 36, rue du Bastion « .

2. Depuis le mois de février

dernier, France 3 diffuse la série britannique Maigret ; l’humoriste anglais Rowan Atkinson (Mister Bean) y incarne le fameux commissaire éponyme.

Rosanne Mathot

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