Dernier lit, une histoire de passion destructrice entre femmes. © LIEN DE TROGH

A la nuit Claus

Parallèlement à l’expo que lui consacre en ce moment Bozar, le KVS présente Dernier lit de Hugo Claus, mis en scène par Christophe Sermet, grand admirateur de l’abondante oeuvre théâtrale de l’écrivain flamand.

Christophe Sermet considère Hugo Claus comme son  » parrain de théâtre « . Le metteur en scène d’origine suisse a découvert sa langue si particulière il y a vingt-cinq ans, lors d’un exercice au conservatoire de Bruxelles.  » C’était un extrait de la pièce Mort de chien, alors inédite mais montée plus tard au Rideau par Philippe Sireuil. J’ai été frappé par ces dialogues, à la fois très directs, crus, et en même temps très écrits. La plupart du temps, Claus est traduit par Alain van Crugten, qui a su éviter le piège qui aurait consisté à franciser cette langue. Chez Claus, « ça parle belge ». J’ai trouvé chez lui ce que j’aime au théâtre, et plus généralement en littérature et au cinéma : des questionnements métaphysiques sur le sacré, le spirituel, reliés à ce qu’il y a de plus trivial, de plus quotidien, de plus charnel aussi. Et puis, tout ce qui tourne autour de la passion, du désir sous toutes ses formes, et donc aussi certains désirs difficilement assimilables par la société. Les pièces de Claus parlent de la misère humaine, de la détresse à la fois spirituelle, matérielle, affective, sexuelle des gens, mais avec le souci d’une forme.  »

Sens de la tragédie

Un alliage hors norme qui se trouve aux sources de son travail de metteur en scène : c’est avec Vendredi, jour de liberté (1974) que Sermet fera ses débuts en 2005. La pièce, une  » tragédie planquée sous une espèce de comédie de moeurs « , prend pour  » héros  » Georges Vermeersch, rentrant chez lui après avoir purgé une peine de prison pour inceste. Dix ans plus tard, en 2015, Sermet remet le couvert avec Gilles et la nuit, qui s’attache à un personnage historique, Gilles de Rais, ogre du Moyen Age, chevalier amené à combattre aux côtés de Jeanne d’Arc, condamné à mort en 1440 pour hérésie, sodomie et le meurtre de  » 140 enfants ou plus « .  » C’est sans doute un des textes théâtraux les plus noirs que j’ai lus, presque insupportable, mais qui parle aussi de la quête de la beauté, se souvient Sermet. Le théâtre de Claus offre beaucoup aux acteurs, mais il est exigeant. On ne peut pas rester au bord de la piscine, il faut « mouiller le maillot ». Il demande une palette très large à l’acteur : il faut du répondant, comme pour un vaudeville, et en même temps, il faut avoir un sens de la tragédie.  »

Tiré cette fois non directement d’une pièce mais d’une nouvelle écrite à la première personne et publiée dans le dernier recueil sorti du vivant de Claus, Dernier lit, dont la première a eu lieu le 19 mars au KVS – soit un texte d’un auteur flamand, interprété en français, dans un théâtre flamand : tout un symbole -, retrace en flash-back et flashforward la relation passionnelle et destructrice entre Emily (Claire Bodson, fidèle de Sermet) et Anna (Laura Sepul, révélée en mariée ensanglantée dans Le Chagrin des ogres de Fabrice Murgia) et son issue fatale dans un hôtel d’Ostende. Issue qui rappelle la mort choisie de Claus, par euthanasie. Frappé par la maladie d’Alzheimer, l’auteur du Chagrin des Belges s’est éteint dans un hôpital d’Anvers, entouré de ses proches, après avoir dégusté une dernière bouteille de champagne. C’était le 19 mars 2008, il y a donc tout juste dix ans.

Dernier lit : au KVS, à Bruxelles, jusqu’au 30 mars. www.kvs.be

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