l'Assemblée générale de l'ONU © REUTERS

L’ONU affiche l’objectif d’un « monde sans abus de drogues »

Stagiaire Le Vif

L’Assemblée générale de l’ONU tient depuis ce mardi une session spéciale sur la réponse internationale à donner au problème des drogues. Un meeting de trois jours, où beaucoup espèrent encore voir la communauté internationale opter pour une approche moins prohibitive de la question.

« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». La citation est d’Albert Einstein, mais trouvait une résonnance particulière dans le discours qu’un représentant colombien tenait au début du mois, dans le cadre d’une rencontre préliminaire à l’assemblée de l’ONU de cette semaine.

La folie, selon lui, serait de maintenir le cap suivi ces dernières décennies par l’ONU en matière de lutte contre les drogues tout en espérant voir cette même politique répressive produire finalement des résultats miraculeux.

Le ton est donné et traduit les attentes d’une partie de la communauté internationale à l’approche de cette session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unis sur la question des drogues, qui a commencé ce mardi. Une session initialement prévue pour 2019, mais dont la date a été avancée suite à une demande de la Colombie, du Mexique et du Guatemala faisant part d’une situation d’urgence. Trois pays, parmi d’autres, qui appellent à trouver des solutions alternatives à la répression pure et simple en matière de drogues telle qu’elle est encore appliquée dans de nombreux endroits du monde.

Quelles ambitions?

« Nous devons dépasser la prohibition et aller vers une prévention efficace », a déclaré le Président mexicain Peña Nieto.

Juan Manuel Santos, le Président colombien, allait dans le même sens lorsqu’il a appelé l’ONU il y a quelques jours à cadrer une politique sur les drogues « rentrant dans un contexte des droits de l’homme et arrêtant de remettre la faut sur les victimes ».

La dernière rencontre de ce type a eu lieu en 1998. Elle avait débouché sur la continuation d’une ligne prohibitive et dissuasive. La communauté internationale, qui y avait alors fait le voeux pieux d’un « monde sans drogue » pour 2008, est aujourd’hui bien obligée de considérer l’ampleur de son échec : les drogues font toujours parti de ce monde malgré les milliards dépensés pour s’en débarrasser.

« Faire passer l’humain d’abord signifie des approches équilibrées qui s’occupent de santé et de droits de l’homme, et promeuvent la sûreté et la sécurité de toutes nos sociétés », a déclaré Yuri Ferodov, directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, en réaffirmant que « l’accent mis sur la santé et le bien- être de l’humanité est l’objectif fondateur des conventions internationales sur la drogue ».

Le mot d’ordre de cette session spéciale était donc de remettre les « solutions humaines » au centre coeur du débat. En opposition à un « monde sans drogues », l’assemblée a posé l’objectif d’un monde « sans abus de drogues ». Mais déjà les défenseurs de la dépénalisation regrettent que le plan de travail préparé le mois passé en commission continue de supporter une approche criminalisant l’usage des drogues récréatives. Le recours à la peine de mort comme outil de répression face aux drogues n’y est entre-autres pas critiqué.

Le document approuvé après les deux premiers jours de session affirme aussi la possibilité pour les pays de se montrer flexibles dans leur interprétation des conventions de l’ONU touchant aux drogues. « C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas assez », a déclaré hier le Président colombien Santos, regrettant l’absence de projet commun et le manque d’ambition général. « C’est possible d’avoir une approche régionale, mais cela n’est pas vraiment efficace car ceci est un problème qui dépasse les frontières, et qui nécessite que le monde entier se trouve un dénominateur commun, afin que les seigneurs de la drogue et les mafias ne puisse pas tirer profit de nos différences », a-t-il ajouté.

Les limites de la prohibition

Si les drogues continuent à représenter un réel danger en termes de santé publique (notamment via la transmission de virus ou les troubles de santé mentale qui peuvent accompagner leur consommation), la lutte contre ces mêmes drogues a aussi contribué à son lot de dérives et de conséquences dramatiques.

De nombreux pays répriment encore fermement la vente de drogue ou sa consommation. On se souvient par exemple des exécutions de plusieurs ressortissants étrangers accusés d’implications dans le narcotrafic l’année passée en Indonésie . D’autres pays comme l’Iran ou Singapour se donnent aussi le droit de recourir à la peine de mort pour punir les personnes impliquées dans la vente de drogue.

La « guerre contre les drogues » (war on drugs) menée par l’Etat américain est aussi pointée du doigt. Cette expression est couramment utilisée aux Etats-Unis pour parler de la stricte répression en matière de narcotiques qui sévit dans le pays depuis les années Nixon. Une prohibition sévère qui peut aller jusqu’à l’enfermement d’individus pour des simples cas de possession de drogue. Cette politique est accusée d’avoir fait exploser la population carcérale du pays. Aujourd’hui, 25% des prisonniers du monde entier sont enfermés aux Etats-Unis, un pays qui n’abrite pourtant que 5% de la population totale de la planète. Ces arrestations liées à la consommation et à la vente de drogue sont par ailleurs accusées de discriminer systématiquement les minorités du pays, notamment les jeunes afro-américains.

Mais la ligne dure des Etats-Unis a aussi d’autres conséquences. D’abord, elle génère un marché noir qui fait perdre beaucoup d’argent à l’Etat, et encourage le développement de ces marchés dans les pays producteurs ou limitrophes. C’est par exemple le cas du Mexique, où les guerres entre cartels font des milliers de morts chaque année. Dans le pays, l’espérance de vie pour les hommes a décliné de 6 mois entre 2005 et 2010, alors qu’en 2006, l’ancien Président Calderon chargeait les forces fédérales de s’occuper des trafiquants, ouvrant ainsi une nouvelle page d’une « guerre contre les drogues » prenant des allures de guerre civile.

Une tendance à la remise en question

Les dernières années ont pourtant été marquées par une tendance générale à la remise en question. Au même Mexique, la justice a en 2015 jugé inconstitutionnelle les poursuites judiciaires liées à la culture domestique du cannabis.

Dans le but de reprendre le contrôle sur l’argent issu du trafic et d’affaiblir le marché noir, l’Uruguay a légalisé en 2013 la production, la distribution et la consommation du cannabis. Une première mondiale.

Aux Etats-Unis, les états du Colorado et de Washington ont légalisé le cannabis à des fins récréatives. Les rentrées d’argent liées à ces légalisations ont plusieurs fois été mentionnées récemment.

En Europe aussi, plusieurs pays tentent une approche allant à contre-courant de la prohibition. Le Portugal a notamment décriminalisé la consommation de toutes les drogues en 2001, tout en compensant cet assouplissement par des grands efforts en matière de sensibilisation. Les résultats y semblent aujourd’hui positifs, avec une diminution générale de la consommation et des problèmes de santé liés à celle-ci .

Arthur Sente (stagiaire)

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