© Capture d'écran Le Gorafi.fr

Internet : au c½ur de l’infaux

Ettore Rizza
Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

The Onion, Le Gorafi, Bilboquet Magazine : les sites d’actualité parodiques se multiplient à un point tel que même des journalistes tombent dans le panneau. Un signal d’alarme pour une profession trop pressée ?

En un peu plus d’un an, les reporters du Gorafi.fr se sont imposés parmi la crème du journalisme en ligne. On ne compte plus les scoops à leur actif. Ce sont eux, par exemple, qui ont obtenu en exclusivité l’interview de Benoît, le fameux « ami noir » dont se prévalent tous les racistes. Ou encore de Sursis, Joël de son prénom, cet inconnu qui accompagne tant de détenus. Eux seuls savaient que les célibataires qui refusent plus de trois offres seraient désormais exclus du site de rencontre Meetic. Et pour cause : ces « infaux » et bien d’autres sont toutes issues de leur imagination aussi délirante que débordante.

Pourtant, on aurait presque envie d’y croire. Style neutre, maîtrise des techniques (et des tics) journalistiques, sens de la citation, attaques et chutes élaborées. Du pur pastiche rédigé dans les règles de l’art. Le site Web lui-même ressemble à s’y méprendre à celui de grands médias. Seule la rubrique « à propos » pourrait mettre la puce à l’oreille : le site, explique-t-elle, est né en 1826 d’un conflit entre les créateurs du Figaro et Jean-René Buissière, journaliste dyslexique qui a interverti les lettres composant le nom du journal…

En réalité, tout a commencé par un compte Twitter lancé en février 2012, pendant les présidentielles françaises. Devenu un blog deux mois plus tard, puis un site Web en septembre, le Gorafi semble avoir trouvé son public. Des milliers de lecteurs se plient chaque jour en quatre devant ces délires rédigés sur un ton pince-sans-rire. « Pour faire simple, disons que la fréquentation de 500 000 personnes par mois en janvier a été multipliée par deux en quelques mois », affirme « Jean-François Buissière », « président du directoire du Gorafi News Network ». Pour le reste, la rédaction du site cultive la discrétion.

Des canards pour des colombes

Inspiré du pionnier américain The Onion, fondé en 1988, mais aussi de L’Os à Moelle que publiaient Pierre Dac et Francis Blanche avant-guerre, le Gorafi a fait lui-même des émules. Certains dans la même veine généraliste, comme bilboquet-magazine.fr. D’autres spécialisés dans une thématique, tels veuxjideo.com ou Darons, « le magazine qui parenvrille ». Rien de vraiment neuf sous le soleil, estime l’historien des médias Pierre Van den Dungen (ULB). Selon lui, ces sites ont remis au goût du jour la vieille tradition journalistique des « canards », ces fausses nouvelles que les journalistes facétieux publiaient jadis par défi ou pour meubler en période d’actualité creuse.

Aujourd’hui comme hier, certains lecteurs prennent ces canards pour des colombes. Et même pas mal de journalistes ! On ne compte plus les médias sérieux tombés un jour ou l’autre dans le panneau. Fin mars, en France, la Toile s’était enflammée en apprenant qu’une boulangère toulousaine avait « abattu de 46 balles » un touriste parisien coupable de lui avoir demandé un pain chocolat plutôt qu’une « chocolatine », le terme utilisé dans le sud-ouest… Par charité, nous tairons le nom des médias belges qui ont répercuté le plus sérieusement du monde cette histoire farfelue du Gorafi : l’auteur de la blague sur le cheval blanc d’Henry IV a obtenu gain de cause face aux héritiers du roi de France, qui le poursuivaient en diffamation.

Cédric Baufayt, nouveau responsable de sudinfo.be, admet volontiers que le site du groupe Sud Presse s’y est laissé prendre à plusieurs reprises. « L’exigence de rapidité n’explique pas tout, commente-t-il. Nous n’avons jamais demandé à nos journalistes de publier une information dans les trois minutes. Je préfère qu’ils prennent un quart d’heure ou vingt minutes pour retrouver et citer la source originale de l’information. Mais voilà : certains se fient aveuglément à ce qu’ils lisent sur d’autres sites. Ils se disent que si un média l’a publié, l’info a dû être vérifiée… »

Mais les victimes ne se limitent pas aux rédactions Web frénétiques. En novembre dernier, The Onion avait dépeint le leader coréen Kim Jong-un sous les traits de « l’un des hommes les plus sexy du monde », insistant sur « son parfait sens de la mode, sa coiffure chic et, bien sûr, son sourire légendaire ».

Résultat : l’info a été relayée par le très officiel Quotidien du Peuple, le journal du Parti communiste chinois. Son concurrent The Daily Currant, autre site parodique, s’est quant à lui illustré le même mois avec un article intitulé « George Bush vote par erreur pour Obama », plaisanterie reprise par plusieurs médias américains et belges.

Pis : à la mi-mars, le vénérable Times de Londres annonçait en exclusivité la création d’une « Dream Football League », où le Qatar souhaitait réunir les meilleures équipes européennes. Problème : l’enquête ressemblait curieusement à un article purement fictif paru sur le site Les Cahiers du football. Au bout de cinq jours de dénégations, la direction du Times a fini par admettre que ses « révélations » émanaient d’une source « peu fiable ».

Autant d’exemples caricaturaux de cette « circulation circulaire de l’information » que dénonçait le sociologue Pierre Bourdieu ? Sans doute. Mais pour Amandine Degand, chercheuse à l’Université catholique de Louvain et spécialiste du journalisme en ligne, les sites d’informations satiriques pourraient avoir des effets positifs inattendus : « En soulignant les failles du système, ils créent un débat, contribuent à éduquer les lecteurs et renforcent le rôle des médias comme « crédibilisateurs » de tweets : après s’être fait berner une fois, un journaliste se montrera plus prudent. »

Le responsable du Gorafi, lui, résume les enjeux déontologiques de manière plus ramassée : « Nous ne sommes pas comptables de la stupidité des gens. »

Vrai ou faux ?

Pas toujours facile de distinguer une info parodique d’un authentique fait divers cocasse. Jugez-en avec ce quizz.

1. Le Conseil National du Numérique recommande d’écrire plus petit pour économiser de l’espace sur Internet.
2. Maine-et-Loire. Ils braquent une supérette… avec des sabres lasers.
3. Il s’imprime en 3D pour faire croire à son patron qu’il travaille.
4. Il se lance le défi de vivre un an sans respirer et meurt violemment au bout d’1 minute 20.
5. 3D – Une imprimante à pizzas pour régler la faim dans le monde.
6. Un cycliste, amateur de calembours, roule 1.000 km pour faire Parla-Montcuq.
7. Braquage chez Dodo la Saumure : les hôtesses se défendent à coups de sextoys.
8. Gilbert Montagné éclaire Meyzieu.
9. Tour de France: l’Opus Dei déçu de ne pas avoir été accepté dans la caravane publicitaire.
10. Exil fiscal : Roger Federer accusé d’avoir un compte en Suisse.

Les réponses sont ici.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire