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Xi Jinping serait-il le nouveau Mao ?

Muriel Lefevre

Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, il y a plus de trois ans, le pouvoir chinois semble se centraliser chaque jour un peu plus autour d’une seule chose : lui-même. Celui qu’on appelle le nouvel empereur rouge a renforcé sa main mise sur tous les domaines. De quoi réveiller de mauvais souvenirs en Chine, à quelques jours du trentième anniversaire de la Révolution culturelle.

À la tête de cet immense pays peuplé de 1,3 milliard d’habitants qu’est la Chine, il ne semble plus y avoir qu’un seul homme. Depuis que Xi Jinping est arrivé au sommet de l’état chinois, soit secrétaire général du PCC, en novembre 2012, et président de la République populaire de Chine depuis mars 2013, il y flotte comme un parfum des années rouges. Cette période, qui s’étale entre 1966 et 1976, sera ce qu’on va appeler la Révolution culturelle.

La Révolution culturelle

Officiellement qualifiée de désastre par le Parti communiste, elle commence le 16 mai (date retenue par les médias officiels chinois) par une circulaire du bureau politique qui dénonce comme une « bande de révisionnistes contre-révolutionnaires (…) les représentants de la bourgeoisie qui se sont infiltrés dans le parti, le gouvernement, l’armée… ».

Le mouvement est lancé par Mao Tsé-toung pour renverser ses adversaires. L’un des premiers à tomber fut Peng Zhen, le maire de Pékin. Le 29 mai, des lycéens créent les « gardes rouges » qui vont s’attaquer aux cadres de l’éducation dans un premier temps puis à tous les secteurs. Ouvrant une décennie d’anarchie meurtrière et de fanatisme idéologique qui verra s’affronter les gardes rouges contre les cadres, les étudiants et les ouvriers entre eux et qui seront eux-mêmes combattus par l’armée. Enfin, le pouvoir issu de cette révolution liquidera tous les citoyens qui avaient la moindre « tâche » dans leur histoire familiale » précise Le Monde. Dix années qui causeront la mort de millions d’individus et qui auront « démocratisé le crime de masse » selon l’historien français Michel Bonnin.

Trente ans plus tard, on pourrait avoir l’impression que les choses n’ont pas fondamentalement changées. Il semble régner comme un relent de purge permanente dans les hautes et moins hautes sphères de l’état avec des arrestations de cadres corrompus et autres dissidents de plus en plus fréquentes. Un malaise encore renforcé par le musellement de la presse et l’avènement de moins en moins discret d’un authentique culte de la personnalité. Au point qu’il n’est plus rare que Xi Jinping soit traité de « néomaoïste ».

Xi Jinping serait-il le nouveau Mao ?
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Un virage à gauche et autoritaire

Xi Jinping a tourné le dos à la politique menée jusqu’alors par Deng Xiaoping. Ce dernier avait établi une sorte de contrat social tacite qui permettait au parti communiste de sauver la face en affichant un pouvoir autoritaire tout en laissant assez d’espace pour que la population puisse tout de même profiter des bienfaits du capitalisme. Cette politique avait permis plus de trente ans d’une forte croissance. Sauf que depuis le début de son premier mandat, Xi Jinping change la donne. Depuis son ascension au sommet du parti communiste chinois en 2012, il s’est lancé dans une campagne extrêmement dure contre la « corruption ». Il a l’obsession d’épargner à la Chine le sort de l’URSS. À la fin de son mandat, en 2017, « cinq des sept membres du comité permanent du bureau politique, le coeur du pouvoir, seront remplacés. Cette échéance favorise les luttes de pouvoir et personne n’est à l’abri. » dit Le Monde.

On arrête les personnes pour « Violation grave de la discipline », s’en suivent des gardes à vue menée par des inspecteurs de la Commission centrale de discipline particulièrement pénible qui aboutissent la plupart du temps sur des aveux de l’un ou l’autre vice, souvent imaginaire, et de préférence publiquement face caméra. Aucun recours n’est possible. Rien qu’en 2015, 22 anciens responsables ont été poursuivis et pas moins de 50000 officiels ont fait l’objet d’investigations provocant des dizaines de suicides.

Parmi les princes rouges, ou superprivilégies du régime, on commence à frémir même si jusqu’à présent ils ont été relativement épargnés. Certains craignent que ces batailles idéologiques d’arrière-garde ne finissent par plomber pour de bon la Chine. Selon Jasmine Yin, une fille de l’aristocratie rouge, ils se sentent à la fois les bénéficiaires et les otages d’une « machine politique » impitoyable, argumente-t-elle. Et de poursuivre « mes pairs et moi ne pouvons cacher notre épouvante face aux évolutions politiques alarmantes qui se passent chez nous, écrit-elle. Xi conduit la Chine vers une direction effrayante, réactionnaire et idéologique ».

Xi Jinping
Xi Jinping © Reuters

En s’attaquant à la corruption et au jeu des factions qui gangrenait le parti politique avant son ascension au pouvoir, Xi Jinping n’aura fait que ce qu’il avait promis. Comme le constate Wu Si, intellectuel et ancien rédacteur en chef d’un mensuel d’histoire qui a toujours bénéficié d’une grande liberté, dans Le Monde : « En raison de l’affaiblissement de l’économie et de l’ampleur de la corruption, il lui fallait accumuler du pouvoir pour mener à bien les réformes. C’est la lutte anti-corruption qui a permis à Xi de le faire. Les gens ont plutôt applaudi, il a fait ce qu’il avait promis. Mais maintenant, il a viré à gauche, et tout cela sonne creux. Au passage, il s’est aliéné les intellectuels. Les riches émigrent. »

En virant à gauche, le numéro un chinois a aussi remis Mao Zedong sur le devant de la scène en s’y référant très fréquemment, mais aussi en veillant à sauvegarder son héritage. À l’image du grand timonier, Xi Jinping a aujourd’hui un culte de la personnalité qui lui est dédié et encore renforcé par la puissance des réseaux sociaux et les près de 700 millions d’internautes chinois. La censure n’est visiblement pas faite pour la propagande puisqu’on voit fleurir des films sur le Youku, le YouTube chinois. Une propagande qui met aussi en avant sa femme, la première dame. Le président, Tonton Xi, placerait aussi son entourage familial dans l’organigramme étatique, ce qui est contraire aux règles tacites du parti.

Mise au pas de l’armée

Depuis peu le président Xi Jinping est aussi le « commandant en chef » du nouveau centre de commandement interarmées du pays. Il entend accroître son autorité sur l’Armée populaire de libération (APL), qui est techniquement le bras armé du PCC, davantage que celui de l’Etat. Pas surprenant lorsqu’on sait que la campagne anticorruption lancée par le numéro un chinois n’a pas épargné l’APL, entraînant la chute de nombreux hauts gradés. L’armée se doit d’être « totalement loyale », a martelé Xi Jinping. Depuis son arrivée au pouvoir, Pékin affirme avec davantage de vigueur ses revendications territoriales, construisant des îles artificielles dans les eaux disputées de mer de Chine méridionale et envoyant régulièrement des bateaux croiser à proximité d’îles contrôlées par le Japon en mer de Chine orientale, renforçant les craintes d’incident. Pékin, dont l’armée affichait un retard considérable sur ses homologues occidentaux dans les années 80, renforce peu à peu sa modernisation, avec un budget militaire en augmentation constante depuis plusieurs décennies. Xi Jinping avait annoncé en septembre vouloir réduire de 300.000 hommes les effectifs pléthoriques de l’APL (2,3 millions) afin d’en faire une armée plus technique.

Des vagues d’arrestation ont muselé toute velléité de critique. Si la répression était dure, il existait jusqu’alors un espace de liberté. Mais depuis le départ de Hu Jintao, la situation est encore plus cadenassée malgré l’affirmation étatique que les droits de l’homme ont progressé depuis 10 ans. L’État a mis au pas de façon brutale la société civile et la blogosphère. Des nombreux blogueurs, intellectuels, journalistes, avocats ou militants des droits de l’homme se sont retrouvés derrière les barreaux. En février 2015, Xi Jinping a aussi publiquement exigé des médias officiels une loyauté absolue. Dans la foulée, une disposition qui renforce le contrôle de tous les médias étrangers, des journaux aux films en passant par les jeux vidéo a été adopté.

La cybersouveraineté

Lu Wei est l’artisan de la reprise en main de l’internet chinois par le Parti communiste chinois (PCC). Cette réponse serait la réaction de la Chine au départ de Google en 2010. Depuis c’est Pékin qui impose ses règles. En décembre 2013, Lu Wei explique le concept de cybersouveraineté : « Tout comme le XVIIe siècle a vu l’extension de la souveraineté nationale à des parties de l’océan et le XXe siècle à l’espace aérien, la souveraineté nationale s’étend désormais au cyberespace ». Dans les faits, l’internet chinois est dans ses très grandes largeurs complètement cadenassé parce qu’on appelle pudiquement un « grand pare-feu? ». Ce dernier bloque nombre des sites les plus utilisés dans le monde: Facebook, Google, YouTube ou encore des sites d’information comme le New York Times ou celui du Monde. Néanmoins, tous ne sont pas bloqués. Enfin ne l’était pas puisqu’une nouvelle loi serait à l’étude. Elle souhaiterait interdire les sites ne se terminant pas par « .cn ». Elle viserait donc à encore renforcer la censure qui deviendrait la règle plutôt que l’exception.

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