Thierry Fiorilli

Weinstein, Zemmour et la peur porcine

Thierry Fiorilli Journaliste

En réaction au lancement de plusieurs campagnes de dénonciation de harcelement sur les réseaux sociaux (« #BalanceTonPorc », notamment) suite à l’affaire Wenstein, le polémiste français Eric Zemmour a jugé ces pratiques comme étant de la « délation », et les a comparées à la dénonciation des juifs pendant la guerre.

Ça ne pouvait venir que de lui. Quelques jours après le lancement sur les réseaux sociaux des campagnes #BalanceTonPorc (depuis la France) et #MeToo ou #MyHarveyWeinstein (depuis les Etats-Unis) et l’écho inouï qu’elles ont recueilli pour que s’expriment des femmes qui ont vécu agressions ou harcèlement sexuels comme, durant des décennies, les proies du producteur américain Harvey Weinstein, Eric Zemmour a prétendu, sur Europe1, n’y voir qu' » une meute. Pendant la guerre, on aurait dit de libérer la parole aussi ? Dénonce ton juif, ça aurait été parfait. C’est de la délation, point barre.  »

Ça ne pouvait venir que de lui, cette comparaison délirante. Parce que, les appels de la journaliste Sandra Muller et de l’actrice Alyssa Milano – même si l’un des deux prône  » toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcelant sexuel que tu as connu dans ton boulot  » – visent à dénoncer uniquement les bourreaux et pas, comme durant la guerre, systématiquement les victimes.

Parce que, aussi – comme toujours après la révélation de pratiques scandaleuses, érigées en système par celui qui détient tous les pouvoirs et fonctionnant de façon plus ou moins analogue dans tous les secteurs dès que quelqu’un est un tant soit peu le supérieur de quelqu’une -, arrive très vite l’invitation à, en substance,  » ne pas ouvrir la chasse aux sorcières « ,  » ne pas s’acharner « ,  » ne pas faire d’amalgames « ,  » laisser la justice oeuvrer « … Autant de façons, insidieuses, de détourner l’enjeu, d’enliser le mouvement, d’inciter à renoncer. Un salaud est tombé, on peut en rester là. Et reprendre les affaires, comme avant.

u0022C’est à la culture du viol qui envahit nos sociétés que ces hashtags s’attaquentu0022

Zemmour, plus scandalisé par la campagne que par les viols donc, n’est dès lors pas le seul à, ainsi, indirectement, minimiser l’ampleur du phénomène (les agressions sexuelles) pour surévaluer les dangers de sa dénonciation. Parce qu’il y a des procédures juridiques pour répondre à ce genre de situations. Ce n’est pas faux. Mais les centaines de milliers de femmes à s’être emparées, en quelques heures, de ces hashtags rappellent que, jusqu’ici, la voie légale n’était pas la meilleure pour que leur voix soit entendue. Ce que ne contrediront ni la très longue période durant laquelle Weinstein a sévi, en toute impunité (au moins vingt ans), ni le nombre de celles dont il a abusé ou tenté d’abuser (une trentaine de plaintes jusqu’ici).

Ce qu’on ne peut davantage contester en consultant la liste récente, non exhaustive, de fin d’omerta sur des affaires de droits de cuissage du même acabit, dans bien d’autres milieux que le cinéma : DSK, Bill Cosby, Jean-Marc Morandini, Denis Baupin, Jimmy Savile, Stuart Hall, Uber, les jeunes footballeurs anglais…

Zemmour et les autres peuvent donc jouer les vierges effarouchées, c’est bel et bien, comme le définit Valérie Piette, professeure d’histoire contemporaine à l’ULB, à la  » culture du viol qui envahit nos sociétés  » que ces hashtags s’attaquent. Et c’est ce qui en fait suer beaucoup, à grosses gouttes. En repensant à ce qui s’est passé, avec quelqu’un(e) dont ils avaient le sort en main, dans une chambre d’hôtel, le réduit d’une rédaction, un petit salon d’un cabinet politique, la loge de concert, sous le guichet, dans un entrepôt… Jusqu’ici, ceux-là profitaient du silence des femmes, contraintes et forcées aussi à se taire.

La déferlante à laquelle nous assistons modifie la donne : la peur change de camp. C’est, peut-être, le premier pas d’une véritable révolution, salutaire, indispensable, des comportements. Enfin.

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