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Washington et Moscou, les maîtres du jeu en Syrie

Le Vif

A l’aube d’une sixième année de guerre, les Etats-Unis et la Russie tiennent le sort de la Syrie entre leurs mains en imposant leur volonté aux protagonistes et en faisant passer au second plan les puissances régionales.

« Les deux grandes puissances discutent entre elles par téléphone n’importe où dans le monde, puis viennent informer leurs alliés syriens et (l’émissaire de l’ONU Staffan) de Mistura, de leur décision », explique un vétéran de l’opposition démocratique syrienne, Haytaham Manna.

Elles fixent « aux puissances régionales des lignes rouges à ne pas dépasser », précise-t-il. « Les Américains mettent ainsi en garde les Turcs contre toute incursion en Syrie et demandent aux Saoudiens de ne plus envoyer d’armes. La Russie fait de même avec l’Iran », selon lui. L’exemple le plus probant de cette coopération a été la mise en place le 27 février du cessez-le-feu, qui tient toujours à la surprise générale.

« Les Etats-Unis et la Russie ont pris le commandement et le monopole sur la question syrienne », constate Joseph Bahout, expert de la région au Centre Carnegie à Washington.

Cette main-mise a mis du temps à se concrétiser, alors que le pays s’enfonçait dans une guerre qui a fait plus de 270.000 morts depuis mars 2011.

L’espoir des manifestants, au début de la révolte contre le régime, que le peuple pourrait prendre en main son destin de manière pacifique, a été anéanti dans le sang.

La rébellion armée a pris la suite armée par des puissances régionales. Puis sont apparus les jihadistes du Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda, et les extrémistes du groupe Etat islamique (EI).

‘Ultimes arbitres’

« Ce qui a commencé comme un mouvement non violent s’est transformé en une lutte où s’imbriquent facteurs locaux, régionaux et internationaux. Les discordes géopolitiques et confessionnelles (…) ont permis aux grandes puissances de s’insinuer comme les ultimes arbitres de ces conflits », constate Bassel Salloukh, professeur de Sciences politiques à l’Université américaine libanaise (LAU).

« Aussi ce sont les intérêts stratégiques de la Russie et des États-Unis, plutôt que les aspirations du peuple qui détermineront le futur la Syrie », souligne-t-il.

Pourtant, ces deux pays étaient réticents à s’impliquer dans un conflit si complexe. Malgré les pressions des ses conseillers, le président américain Barack Obama s’est opposé à une intervention directe. « L’idée que nous pouvons (…) changer l’équation sur le terrain n’a jamais été vraie », avait-il dit selon le magazine américain Atlantic.

En fait, c’est l’EI qui l’a poussé à intervenir militairement, à l’été 2014, après les décapitations d’Américains et d’Occidentaux et la conquête d’un vaste territoire en Irak et en Syrie.

Quant à la Russie, l’affaiblissement du régime Assad face aux rebelles à partir du printemps 2015 a conduit le président Poutine à donner son feu vert à une intervention militaire en septembre 2015.

Pendant les quatre première années, Moscou s’était surtout contenté de protéger son allié Bachar al-Assad au niveau diplomatique.

‘Seuls capables’

Selon un diplomate à Damas, « Moscou a cru longtemps que le régime s’en tirerait tout seul. C’est Téhéran, l’autre allié, qui a tiré le signal d’alarme » sur les risques d’effondrement du régime. L’intervention russe a changé l’équilibre des forces en faveur de Damas.

Ainsi, note Fyodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue « Russie dans la politique globale », « trente ans après la fin de la guerre froide, il s’avère que les seuls capables de décider et de faire sont Moscou et Washington, comme dans le bon vieux temps. Les autres ne veulent pas ou ne peuvent pas le faire. Tel est le bilan du nouvel ordre mondial. »

« Cela ne veut pas dire qu’ils soient capables de résoudre tous les problèmes, car sur place tout dépend des forces régionales, et Moscou comme Washington ne les contrôlent pas complètement », tempère toutefois l’analyste qui est aussi président du « Conseil sur la politique étrangère et de défense », une association publique russe travaillant sur des orientations stratégiques.

Mais la Russie et les Etats-Unis sont les seuls capables « de pousser vers la paix les parties en guerre », ajoute-t-il.

Et ils n’hésitent pas à tancer à l’occasion. Lorsque M. Assad a affiché en février dans un entretien à l’AFP son ambition de reconquérir tout le pays, il s’est fait rabrouer par l’ambassadeur russe à l’ONU Vitali Tchourkine

« La Russie s’est investie sérieusement dans cette crise du point de vue politique, diplomatique et maintenant militaire (…) nous voudrions, bien sûr, que Bachar al-Assad en tienne compte ».

Pour Joshua Landis, directeur des études sur le Moyen-Orient de l’Université d’Oklahoma, « les désaccords idéologiques et territoriaux entre les acteurs locaux sont très profonds. Mais tous sont entièrement dépendant de leurs sponsors et doivent se soumettre aux désirs de ceux qui les arment ».

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