Venise © Getty Images/iStockphoto

Vous partez en Italie? Un quart de votre budget tombe aux mains de la maffia

Le Vif

Si vous partez en vacances en Italie cet été et pensez qu’il suffit d’éviter l’extrême sud de la Botte pour empêcher votre argent de tomber aux mains de la maffia, vous vous trompez. Aujourd’hui, la maffia prospère en Toscane, en Ombrie, à Turin et à Gênes.

En 1992, l’histoire de l’Italie semble basculer. Après l’assassinat des juges antimaffia Giovanni Falcone et Paolo Borsellino en Sicile, la justice intensifie la lutte contre la cosa nostra. Les maffieux prétendument invincibles de Corleone, Salvatore ‘Toto’ Riina en tête, sont écroués les uns après les autres. À Milan, le juge Antonio Di Pietro dénonce la corruption structurelle qui entraîne l’implosion du système politique.

Aujourd’hui, on sait que fondamentalement rien n’a vraiment changé. La cosa nostra a été fortement touchée, mais la ‘Ndrangheta calabre a saisi l’opportunité pour devenir plus grande, plus riche et plus puissante que les Siciliens ne l’ont jamais été. La Democrazia Cristiana (DC) de Giulio Andreotti est rayée de la carte, tout comme le parti socialiste de Bettino Craxi, et un dénommé Silvio Berlusconi est devenu la nouvelle araignée de la toile politique italienne. Entre-temps, on sait avec certitude qu’il bénéficiait du soutien sans faille du crime organisé, et qu’il en était peut-être une création.

En revanche, après 1992, et surtout après l’arrestation de Riina et d’autres grands criminels de la Cosa Nostra en 1993 et 1994, le style et la stratégie de la maffia ont changé. Finis les attentats et les bombes, les assassinats et les règlements de compte, les guérillas intestines et la guerre contre l’état. En Italie, on se demande toujours ce qui a mené à cette rupture de style. Certains chercheurs et adversaires de la maffia sont convaincus que le gouvernement a mené des négociations secrètes avec la cosa nostra, via les politiciens siciliens liés à la maffia et les hauts officiers de la police. Dans un premier temps, ils auraient discuté avec Riina pour faire cesser la campagne de bombes contre les juges antimaffia et sa guerre contre l’état italien. Riina aurait même mis ces conditions sur papier – il y en avait douze. Elles concernaient pratiquement toutes l’assouplissement du régime carcéral pour les grands maffiosi et la législation antimaffia. Seule sa dernière condition était quelque peu mystérieuse : la suppression de la taxe sur l’essence en Sicile.

Ensuite, il y aurait eu des contacts avec Bernardo Provenzano, le numéro deux de la cosa nostra, qui aurait trahi Riina. Le 15 janvier 1993, Toto Riina est arrêté à Palerme alors qu’il a échappé à la justice pendant 24 ans. Bernardo Provenzano reprend la direction de la cosa nostra et reste en liberté pendant treize ans. Et il tient sa promesse.

Pax mafiosa

Dans l’Italie de Silvio Berlusconi, la pax mafiosa descend sur le pays. Les clans de la maffia se transforment lentement et sûrement en organisations criminelles qui divisent le territoire et le marché, au lieu de se faire une concurrence à la vie et à la mort. La plupart des groupes de maffias maintiennent leurs positions : ils continuent à extorquer les commerçants sur leur territoire, le trafic de drogue reste leur activité principale. Mais ils découvrent aussi de nouveaux marchés : les soins de santé, le traitement des déchets, l’énergie verte, le détournement de subsides agricoles européens, etc. Et plus que jamais ils infiltrent la politique et les administrations pour décrocher les marchés publics et l’argent d’état pour les sociétés de couverture de la maffia. Dans la mesure du possible, ils évitent la violence tapageuse. Initialement, les maffiosi ont du mal – les membres de la camorra napolitaine ont du mal à se maîtriser – mais vers la fin des années nonante, le nombre d’assassinats et de règlements de compte baisse sensiblement.

Berlusconi a-t-il sauvé la maffia, comme le prétendent ses plus grands opposants? Oui et non. Berlusconi a vidé beaucoup de guerres ouvertes et cachées avec les juges antimaffia et les procureurs, mais il a perdu la majorité d’entre elles. Ironiquement, c’étaient les défaites dont il pouvait se vanter : jamais on a arrêté plus de maffieux en fuite et saisi plus de biens de la maffia que sous Berlusconi. C’est le zèle infatigable de la justice italienne qui a obligé les grands clans de la maffia de changer en organisations plus structurées et plus globales. Et curieusement, c’est la ‘ndrangheta – la maffia la plus rustre, la plus brutale et la plus traditionnelle de toutes qui a réussi le mieux. Les bergers de Calabre sont devenus les citoyens du monde du crime.

Selon toutes les estimations, la maffia est plus riche que jamais. Les capitaux gagnés clandestinement sont investis ou cachés en surface. Et pour la gestion de ces flux monétaires, les organisations de maffia font appel aux mêmes cabinets d’avocats et aux mêmes banques que les grands acteurs de l’économie légale.

La cosa nostra, la camorra et la ‘ndrangheta n’investissent plus uniquement en Sicile, en Campanie ou en Calabre. D’abord parce qu’ils exercent déjà leur emprise sur ces régions du sud, deuxièmement parce qu’ils ont trop d’argent – même s’ils rachetaient tous ces territoires – ils leur resteraient encore de l’argent. Et troisièmement parce que le sud de l’Italie continue à s’appauvrir.

L’invasion du nord

Comme le centre et le nord de l’Italie sont plus aisés, la maffia a envahi le nord. En Italie, on parle même de la « délocalisation » de la maffia : une véritable migration de maffieux très loin de leur terre natale, où on les repère moins vite et où il y a de meilleures affaires à faire. Il reste quelques régions où les clans de maffia ne sont que très peu actifs, mais il n’y en a pas beaucoup et généralement les raisons sont simples : il n’y a pas grand-chose à prendre.

Conclusion: la situation est désespérée, mais pas terriblement menaçante. Si vous passez vos vacances d’été dans un endroit touristique d’Italie, on estime qu’un quart de vos dépenses tombera aux mains de la maffia. : c’est le prélèvement moyen effectué par la maffia dans les régions qu’elle contrôle. À moins que vous n’ayez réservé une pension complète dans un des nombreux hôtels appartenant à la maffia, dans ce cas c’est davantage. Et pourtant, vous ne vous sentirez pas extorqué. La pax mafiosa soit avec vous.

Cet article est partiellement basé sur le livre Maffia (Manteau) (en néerlandais) des journalistes d’investigation Raf Sauviller et Salvatore Di Rosa et des enquêtes de Lirio Abbate, un journaliste sicilien qui travaille à Rome parce qu’il est menacé par la maffia.

Danny Ilegems

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