Une des victimes à l'hôpital de Calais. © Anna Maria Biniecka/Testigo Documentary

Violences contre les réfugiés: « On leur a demandé s’ils étaient agents, et ils ont dit oui »

Kaja Verbeke
Kaja Verbeke Journaliste et reporter.

Ces dernières semaines, Calais a connu une montée de violences à l’égard de réfugiés et de secouristes. D’après des bénévoles, il s’agirait de l’extrême droite. Cependant, les victimes d’une attaque commise par trois hommes masqués soupçonnent la police, même si la police française affirme qu’elle n’a pas de preuves.

Hommes en uniforme

La nuit du 20 au 21 janvier, trois Kurdes syriens ont été attaqués par un groupe d’hommes masqués en uniforme noir. Ils ont été rossés par six hommes à coup de barre en fer. D’après les victimes, les hommes ressemblaient à des agents de police. Ils auraient été munis d’une matraque et d’une arme, mais pas d’insignes. Et ils parlaient français.

« C’était la nuit et je me promenais autour de la gare de Calais avec mon frère Shahin et un ami, Ahmed » raconte Ali Kawa, un étudiant de 25 ans. « Tout à coup, six hommes masqués sont venus vers nous. Comme ils avaient l’air vêtus d’un uniforme de police, mon frère leur a demandé s’ils étaient agents. Ils ont dit oui. Sans raison, j’ai été poussé par terre et forcé de donner mon téléphone et mon portefeuille. Quand j’ai supplié de ne pas prendre mes affaires, j’ai été frappé à la tête avec une barre en fer de 50 centimètres. »

« Après avoir volé les affaires des deux autres victimes, les agresseurs ont rossé les réfugiés. « Je ne voyais pas bien, car j’avais du sang dans l’oeil gauche. Quand j’ai voulu leur prendre la barre en fer, on m’a à nouveau frappé. Cette fois à l’arrière de la tête » explique Kawa. Une demi-heure après, les hommes sont partis à bord d’une voiture noire, équipée d’un gyrophare d’après les réfugiés.

Une des victimes à l'hôpital de Calais.
Une des victimes à l’hôpital de Calais. © Anna Maria Biniecka/Testigo Documentary

Le frère de Kawa était couché par terre, sans chaussures, ni pantalon. Les agresseurs n’avaient pas trouvé d’argent sur lui et avaient donc enlevé et emmené son pantalon. Il était blessé au dos et au thorax, les agresseurs lui avaient sauté dessus à plusieurs reprises. Ahmed était blessé à la mâchoire, juste en dessous de l’oeil.

Police: « Pas de preuve »

Vincent Castelain, le policier responsable de l’enquête, confirme que les victimes ont fait les déclarations ci-dessous. Il refuse de fournir plus de détails étant donné que l’enquête est en cours, mais déclare qu' »il n’y a pas de preuves ».

Après l’agression, les trois réfugiés sont retournés en chancelant vers le camp de réfugiés, un trajet de quatre kilomètres. Arrivés dans la jungle, on les a couchés en sang dans la tente, et deux d’entre eux se sont évanouis. Comme l’ambulance ne voulait pas entrer dans le camp, Lieven Clarysse, bénévole, et Anna Maria Biniecka, photographe, ont conduit les victimes à l’hôpital de Calais.

Une des victimes de l'attaque des trois hommes, à l'hôpital de Calais
Une des victimes de l’attaque des trois hommes, à l’hôpital de Calais © Anna Maria Biniecka/Testigo Documentary

Amin, un chirurgien syrien originaire de Kobané et réfugié à Calais, a également accompagné à l’hôpital. Il s’indigne de l’aide médicale apportée aux trois hommes. « Personne n’a réagi quand nous sommes arrivés à l’hôpital. Mes amis n’ont pas eu d’antidouleurs, pas de médicaments et pas de soins, alors qu’ils étaient mal en point. L’un d’entre eux était inconscient et un autre hurlait de douleur. En plus, ils ont dû quitter l’hôpital beaucoup trop rapidement. Ils doivent se rétablir dans la jungle. C’est scandaleux. »

Amin estime que ce traitement est dû à leur origine. « D’abord, je croyais que les médecins étaient simplement paresseux, mais ensuite j’ai réalisé qu’il n’y avait pas que ça. Quand un vigile a crié que les heures de visites étaient passées et que nous devions partir pour retourner à la jungle, j’ai réalisé qu’ils ne voulaient pas de nous, réfugiés. »

À l’hôpital, Lieven Clarysse a remarqué qu’il y avait beaucoup de chambres occupées par des réfugiés. Il pense que l’aspect financier joue également un rôle dans le traitement. On ne peut en effet envoyer de facture à quelqu’un qui ne possède pas d’adresse et pas de papiers.

L’hôpital dément les accusations. « Tout le monde est traité de la même façon » nous fait-il savoir.

Les trois hommes ne sont pas les seules victimes des hommes masqués. Ils se sont rencontrés à l’hôpital la nuit du 20 au 21 janvier et ont raconté la même histoire. La veille, un Afghan de quinze ans a été attaqué de la même façon. Et la nuit de vendredi à samedi, un groupe d’Afghans aurait été attaqué, dont un certain nombre sont encore portés disparus. Les bénévoles enquêtent sur ce qu’il s’est passé.

L’organisation Calais Migrants Solidarity, mieux connue sous le nom de No Borders, dénonce les enlèvements, les humiliations, les intimidations et les agressions dont sont victimes les réfugiés. Des inconnus auraient même essayé de pendre un réfugié d’ Érythrée à un arbre à un panneau de signalisation. Heureusement, l’homme a pu s’échapper.

Hettie Colquhoun, qui travaille pour l’organisation humanitaire l’Auberge des Migrants, affirme que les violences sont commises par l’extrême droite. Elle réside à Calais depuis quatre mois, et elle assiste à une montée de l’extrême droite. « Les violences envers les bénévoles augmentent également. Le week-end dernier, un bénévole a vu un groupe de jeunes briser des vitres de voitures. Ils ont également crevé des pneus et incendié deux voitures. Plusieurs collègues ont été menacés avec des couteaux ou des bâtons. »

Colquhoun ne peut prouver que l’extrême droite est à l’origine de ces méfaits, mais note « des menaces très claires et directes. Aussi, sommes-nous persuadés qu’il y a un lien entre ces menaces et la violence. « 

À l’issue de l’entretien, on demande à Ali Kawa s’il est en colère. « En colère ? Non, si j’étais fâché, je retournerais en Syrie pour me battre. Je déplore simplement de ne plus avoir aucune preuve d’identité. Comment démontrer qui je suis et d’où je viens ? »

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