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Violences anti-américaines : « Il peut y avoir d’autres débordements »

Comment peuvent évoluer les émeutes au Moyen-Orient contre la diffusion d’un film violemment anti-musulman? Quel est le risque d’embrasement dans des pays qui vivent une transition politique fragile? Les réponses de Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université de Toulouse II-Le Mirail et auteur de Le Printemps islamiste – démocratie et charia aux éditions Ellipses.

Les émeutes actuelles peuvent-elles s’éteindre rapidement, comme ce fut le cas en 2005, lors des manifestations contre les caricatures du Prophète Mahomet?

Il y a une différence fondamentale entre les caricatures de 2005 et ce film. Les caricatures étaient le fruit du travail d’artistes reconnus, de professionnels qui ont publié sur des supports traditionnels. A l’inverse, je qualifierais le film de « sauvage », le réalisateur n’étant pas qualifié pour le faire.
En 2005, la réaction populaire était fondée sur des faits: tout le monde pouvait acheter le journal. Pour le film, on est dans le cadre de la rumeur et la propagation de la rumeur. Personne, ni en Libye, ni au Soudan, ni au Yémen, ni en Egypte ou en Tunisie n’a vu le film. La pseudo bande-annonce a été enlevée d’Internet dans ces pays et le film n’est disponible nulle part en entier. Il n’est pas sorti dans des salles de cinéma. C’est un effet boule de neige « internautique ». Mais le résultat est le même, à savoir des manifestations massives et contagieuses.

Pourquoi le mouvement est-il aussi massif?

Deux phénomènes ont favorisé cette vague de protestations. Tout d’abord, il y a l’instrumentalisation par les Américains néo-conservateurs, qui ont sorti ce film pour montrer qu’Obama n’était pas assez intransigeant vis-à-vis des islamistes. C’est avéré, il n’y a qu’à voir la réaction de Mitt Romney. On a donc une manoeuvre politique dans le cadre des élections américaines. A l’inverse, les islamistes ont eux aussi instrumentalisé le film. Ils ne l’ont pas vu, mais ils ont réussi à mobiliser les foules sur la thématique de la protection du sacré, alors qu’il y a bien d’autres problèmes dans ces pays, comme l’économie, la transition politique… Ils cherchent ainsi à créer une union sacrée à l’intérieur du mouvement islamiste.

Ces pays étant pour la plupart d’entre eux en période de transition démocratique, le mouvement sera-t-il plus difficile à juguler qu’en 2005?

Oui, tout à fait, et cela pour deux raisons. D’abord parce que la situation militaire dans ces pays est plus fragile. Les gouvernements n’ont pas toute la maîtrise de la situation sécuritaire, contrairement aux anciens régimes dictatoriaux. Ensuite, la nature même des gouvernements au pouvoir a changé. En 2005, les islamistes étaient dans la rue afin de protester contre les caricatures. Aujourd’hui, ils sont au pouvoir et ils ne peuvent pas empêcher leurs « frères » de manifester à leur tour. Dans le cas de l’Egypte, par exemple, le président est issu des Frères musulmans et le parlement est composé à majorité d’islamistes, c’est-à-dire qu’ils gouvernent. Et pourtant ils ont appelé à manifester. La schizophrénie des nouveaux régimes éclate maintenant au grand jour : leur nature est de protester, ils ne répriment donc pas ce genre de manifestations, mais comme ils sont désormais au pouvoir, ils se doivent d’empêcher les destructions d’ambassades et les débordements violents. Ils sont pris au piège de leur schizophrénie idéologique.

Pensez-vous que le mouvement puisse s’étendre et toucher encore davantage les intérêts occidentaux?

Il peut y avoir d’autres débordements. Déjà, des ambassades ont été saccagées, il y a de nombreux blessés et plusieurs morts. Une extension du mouvement est tout à fait possible, personne ne peut le contrôler. C’est la dynamique de la rumeur, personne ne peut en prévoir les conséquences.

Propos recueillis par Clothilde Mraffko

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