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Vers plus d’équité et de clarté pour les travailleurs détachés, pour lutter contre le dumping social

Réformer la directive sur le détachement des travailleurs dans l’Union européenne pour y injecter plus d’équité et de clarté, c’est l’intention de la commissaire européenne à l’Emploi et aux Affaires sociales, Marianne Thyssen, qui soumettra son projet mardi au collège des commissaires. « Un premier pas » dans la lutte contre le dumping social, selon le secrétaire d’Etat à la lutte contre la fraude sociale Bart Tommelein.

Le projet est parti d’un constat: l’acceptation par les citoyens du détachement de travailleurs, le système par lequel des travailleurs vont temporairement travailler dans un autre pays européen en étant payé dans leur pays d’origine, faiblit, notamment parce que les conditions qui existaient au moment de la première directive, en 1996, ne sont plus du tout les mêmes qu’à l’heure actuelle. « Il y a vingt ans, l’Europe comptait quinze membres – et peut-être même douze quand on a commencé à y réfléchir – avec des salaires à peu près équivalents », a rappelé Marianne Thyssen lors d’un entretien avec la presse belge. Depuis, l’Europe s’est élargie aux pays de l’est et les inégalités salariales se sont accrues. La différence de salaire entre travailleurs du cru et travailleurs détachés est parfois de 50%, ce qui peut créer une concurrence déloyale et met certains secteur particulièrement sous pression. Le principe de base de la proposition de la commissaire européenne à l’Emploi est « à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail ». « Le principe a été accepté lors du débat d’orientation générale en octobre », souligne Marianne Thyssen. La proposition de directive réformée prévoirait que les travailleurs détachés bénéficient de tous les aspects de la rémunération – c’est-à-dire les éventuels bonus, treizième mois, prime au mauvais temps, etc. – octroyée dans le pays de détachement, et plus uniquement du salaire minimum. « Les Etats membres devront rendre transparents les éléments de rémunération en vigueur chez eux », explique la commissaire. La proposition définira aussi ce qu’on entend par « détachement temporaire », en limitant cette période à deux ans. Les avantages accordés en vertu de conventions collectives seront également octroyés aux travailleurs détachés.

Les employeurs qui feraient appel à des travailleurs détachés via un bureau d’intérim seraient également obligés de leur octroyer le même traitement qu’à leurs employés, à l’image de ce qui existe déjà pour les intérimaires « classiques ». « Le but est de promouvoir le marché intérieur », insiste Mme Thyssen, et de « trouver un équilibre entre social et économie ». La révision de la directive de 1996 ne remplacerait pas la directive de mise en oeuvre, adoptée en 2014 et destinée à lutter contre les fraudes et les abus de la directive de 1996. Elle permettrait simplement de mettre à jour les éléments essentiels de la directive afin de les faire mieux correspondre à la réalité de 2016.

Son application n’est cependant pas encore chose faite: il faudra d’abord passer le cap du collège des commissaires, mardi, puis s’en remettre au Conseil et au Parlement européen, les colégislateurs. « Sur mes dossiers, ils ont jusqu’ici travaillé vite », constate la commissaire. Mais ici, « pour certains ça ira trop loin et pour d’autres pas assez », le but étant d’arriver à un compromis satisfaisant. La réforme du détachement des travailleurs ne concernera en tout cas que les aspects du droit au travail, les autres volets de la mobilité des travailleurs, comme la coordination des systèmes de sécurité sociale, étant repoussés après le référendum britannique du 23 juin sur la place du Royaume-Uni dans l’Union européenne.

L’accord conclu mi-février par l’UE et le Royaume-Uni prévoit en effet des changements en matière de prestations sociales. « J’ai pris connaissance de l’accord », s’est bornée à commenter Marianne Thyssen, précisant qu’en cas de « oui » au référendum (signifiant le maintien du Royaume-Uni dans l’UE), elle « exécuterait l’accord de manière loyale » et commencerait à travailler « dès le lendemain du référendum ». La perception des cotisations sociales dans le pays d’accueil, que certains promeuvent, a cependant peu de sens, a-t-elle-précisé, car cela créerait plutôt un casse-tête administratif entre pays d’origine et pays d’accueil. Il devrait par contre y avoir un travail sur le formulaire A1, qui atteste à quel régime de sécurité sociale un travailleur détaché est soumis, pour le rendre plus certificatif et lui donner plus de valeur, a indiqué la commissaire. C’est parce que la Belgique avait décidé de prélever directement des cotisations sociales en cas de doute sur l’authenticité de ce document que la Commission européenne a assigné le royaume devant la Cour de Justice de l’Union européenne il y a un an.

Aller plus loin

La proposition de Marianne Thyssen pour une concurrence plus loyale est positive mais il faut aller encore plus loin afin de combattre efficacement le dumping social, a réagi samedi le secrétaire d’Etat à la lutte contre la fraude sociale Bart Tommelein.

En Belgique, le détachement de travailleurs concerne 3,6% de la population active, contre 0,7% pour la moyenne européenne.

Bart Tommelein reste partisan d’une limitation dans le temps – 6 mois contre 2 ans actuellement – des détachements de travailleurs dans les secteurs sensibles comme la construction. Il est également favorable à la perception des cotisations sociales par le pays d’accueil, qui les reverserait au pays d’origine. Il appelle enfin à davantage de transparence des formulaires A1 afin de faciliter leur contrôle par les services d’inspection. La proposition de la commissaire européenne constitue « un premier pas » qui doit continuer à être négocié avec le conseil et le parlement européens. « L’Europe doit faire de ce problème une priorité absolue. Il est plus que temps pour garantir l’emploi en Belgique », a conclu Bart Tommelein.

La Belgique accueillait près de 160.000 travailleurs détachés en 2014, provenant principalement de France (20,1%), de Pologne (15,8%) et d’Allemagne (12,9%) et actifs surtout dans la construction (58,2%) et dans l’industrie (14,7%). Elle comptait également près de 80.000 travailleurs belges détachés à l’étranger, principalement en France (35,9%), aux Pays-Bas (25,6%) et en Allemagne (10,4%) pour y être actifs via des bureaux d’intérim (25,7%), dans la construction (22,4%) ou dans l’industrie (17,7%)

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