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Une enquête pour trahison met le gouvernement Merkel sous pression

Le Vif

Malgré le limogeage du procureur général par le ministre de la Justice, la colère restait vive mercredi en Allemagne où des voix de tous bords exigeaient que le gouvernement d’Angela Merkel s’explique sur l’enquête pour trahison visant des journalistes.

L’annonce mardi soir du limogeage d’Harald Range, 67 ans, par le ministre de la Justice Heiko Maas a fait l’effet d’une bombe et immédiatement suscité d’abondantes réactions, beaucoup pointant la réaction tardive du ministre face à une enquête initiée en mai et qu’il n’a manifestement pas tenté d’empêcher, au moins au début.

Officiellement, M. Maas « jouit du plein soutien » de Mme Merkel, a sobrement déclaré lors d’une conférence de presse régulière une porte-parole du gouvernement. La chancelière « n’a fait aucune objection » au limogeage de M. Range, a-t-elle ajouté.

Mais dans la presse, les critiques étaient légion : M. Maas « a trop longtemps laisser courir la procédure » et n’a réagi « que lorsque les premières protestations ont débuté », relevait le quotidien Tagesspiegel, rejoint par le conservateur Die Welt pour qui Heiko Maas, mis au courant tôt de cette enquête, « n’a pas donné d’instructions claires, jusqu’au moment où l’affaire a été rendue publique ».

Façon de dire que, dans le dossier « Netzpolitik » — du nom du blog visé par l’enquête pour violation du secret d’Etat dans deux articles publiés en début d’année –, forcément sensible, M. Maas aurait pu réagir beaucoup plus tôt en faisant stopper la procédure.

C’est le blog lui-même qui avait rendu l’affaire publique jeudi.

Les commentateurs relevaient également que, à l’origine de la procédure, il y avait la plainte contre X pour « trahisons de secrets d’Etat » du président de l’Office de protection de la Constitution (renseignement intérieur) Hans-Georg Maassen. Une plainte forcément déposée avec l’aval de l’autorité de tutelle de M. Maassen, le ministre de l’Intérieur conservateur Thomas de Maizière, réputé très proche de la chancelière Merkel.

Selon un porte-parole du ministère de l’Intérieur, M. Maassen a agit de façon « correcte » dans ce dossier.

L’indépendance du Parquet

Die Linke, parti d’opposition de gauche radicale, n’est pas de cet avis, qui réclame la démission de M. Maassen et exige que MM. Maas et de Maizière « prennent leurs responsabilités dans cette affaire ». L’autre parti de la mince opposition, les Verts, a formulé des demandes similaires.

Même au sein de la coalition conservateurs/sociaux-démocrates d’Angela Merkel, quelques voix critiques se faisaient entendre.

Un responsable du parti CSU, version bavaroise de la CDU de Mme Merkel, Hans-Pete Uhl, a ainsi « exagéré » le limogeage du magistrat, pointant lui aussi l’inaction du ministre de la Justice pendant plusieurs mois. Président de la commission d’enquête sur l’affaire d’espionnage par l’agence américaine de renseignement NSA, Patrick Snesburg (CDU) juge que M. Maas a agi de façon « tout à fait logique : il fallait que cette querelle prenne fin », a-t-il dit.

Le Parquet allemand n’est pas indépendant du pouvoir politique, soulignait encore plusieurs journaux, notion pourtant invoquée mardi par M. Range lorsqu’il a accusé son ministre d’ingérence dans le dossier. Au Parquet général fédéral, basé à Karlsruhe (sud-ouest), « il n’y a pas d’enquêteur autonome. Le procureur général, proposé par le ministre de la Justice, élu par le Bundesrat (chambre haute du Parlement), est un +fonctionnaire politique+ », insiste la Süddeutsche Zeitung.

« Il doit toujours garder à l’esprit la politique pénale du gouvernement », poursuit le quotidien de Munich (sud), pour qui « le chef supérieur est toujours un politique », forcément « tenu au courant » des affaires sensibles, comme celle du portable de Mme Merkel prétendument espionné par la NSA. Une affaire classée précisément par l’ex-procureur Range.

A l’image du quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung, beaucoup d’observateurs soulignaient également que, en attaquant M. Maas sur cette question, M. Range, qui devait partir en retraite en janvier prochain, a peut-être « voulu forcer son limogeage ».

Dans un communiqué, l’Association des journalistes allemands a demandé que la « criminalisation de Markus Beckedahl et Andre Meister », les deux journalistes de Netzpolitik, « cesse immédiatement ».

Le blog a publié de son côté une pétition, déjà signée par plusieurs dizaines de personnes — parmi lesquelles le fondateur de Wikileaks Julian Assange — réclamant « la fin de l’enquête contre les journalistes de Netzpolitik et leurs sources ».

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