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Un président de la République française, vaguement Picard

Le Vif

Emmanuel Macron revendique un ancrage populaire à Amiens, sa ville natale. On l’y a pourtant rarement vu ces dernières années. Histoire d’oublier les lourds regards qui accueillirent son amour avec Brigitte ?

L’histoire retiendra peut-être que l’aventure présidentielle d’Emmanuel Macron a commencé ici. En périphérie d’Amiens, ville du nord de la France, dans un Parc des expositions sans autre charme que son accessibilité et son parking. Le 6 avril 2016, le ministre de l’Economie y annonce la création d’En marche !, prélude à sa course vers l’Elysée. Le sénateur PS François Patriat lui avait suggéré Le Creusot. Il avait rétorqué :  » Allons plutôt à Amiens.  » La peur, peut-être, de la colère des salariés creusotins du géant français du nucléaire Areva, alors en pleine crise. L’envie, sans doute, de raconter une belle histoire, celle d’un enfant du pays, heureux d’être de retour. Sur scène, ce soir-là, Emmanuel Macron lance :  » Je voulais le faire à Amiens. Ce n’est pas quelque chose d’innocent. Je suis né ici. J’y ai encore une partie de ma famille. J’y ai des attaches fortes. Et c’est là que je suis arrivé à la conscience civique.  »

Depuis, le président d’En marche ! n’a de cesse de dire l’attachement qu’il voue à la ville, où il a vu le jour en 1977. En novembre encore, il lâche dans Le Courrier picard :  » C’est là où je suis né, où j’ai grandi, où ma grand-mère vivait il y a trois ans encore, où mon père vit toujours. Oui, c’est l’un de mes points fixes.  » A Amiens, on préfère en sourire. Ici, jusqu’en avril 2016, les enfants du pays, version people, c’étaient Jean-Pierre Pernaut et Laurent Delahousse. Mais Emmanuel Macron ? Avant le printemps de l’année dernière, beaucoup ignoraient son affection pour Amiens.  » Je connais sa belle-famille, bien sûr. Lui, je ne l’ai pas rencontré à Amiens, mais à Paris, lorsqu’il était ministre, pour le dossier Goodyear (NDLR : la revitalisation du site de l’usine de pneumatiques fermée en janvier 2014). Ce 6 avril, c’était un peu racoleur « , lâche Brigitte Fouré, la maire centriste (UDI) de la ville. Lui, considéré comme trop banquier, trop parisien, trop élitiste, est soupçonné de se réinventer des racines provinciales. A ce petit jeu, Amiens, cité de 135 000 habitants à forte tradition ouvrière, est bien plus crédible que Le Touquet, station balnéaire chic, où Emmanuel Macron et son épouse apprécient de passer leurs week-ends.

Amiens est une ville diverse, où la magnifique cathédrale gothique côtoie des quartiers nord paupérisés. La brique est unanimement partagée, mais elle se fait tantôt bourgeoise, tantôt populaire. Emmanuel Macron a grandi du côté privilégié, dans le quartier de Henriville, où les bureaux de vote penchent plutôt à droite. La maison, acquise par un père neurologue à l’hôpital local et par une mère pédiatre et médecin-conseil de la sécurité sociale, est sans ostentation, mais de bon aloi. Sa grand-mère adorée habite tout près. Avec elle, il découvre la musique et la lecture. Surtout, il fréquente la Pro’, diminutif de la Providence, cet établissement tenu par des jésuites, où sont scolarisés tous les rejetons des familles aisées de la ville : 2 000 élèves et une professeur de français, Brigitte Auzière, future Brigitte Macron. La suite est connue…

Un président de la République française, vaguement Picard
© ILLUSTRATION : StÉphane HUMBERT-BASSET

Paris,  » la plus belle des aventures  »

A 16 ans, il monte à Paris faire sa terminale au très sélectif lycée Henri-IV. Les années s’enchaînent – Sciences po, ENA. Amiens paraît si loin à celui qui se vit en héros du xixe siècle.  » C’était pour moi la plus belle des aventures. Je venais habiter des lieux qui n’existent que dans les romans, j’empruntais les chemins des personnages de Flaubert, d’Hugo. J’étais porté par l’ambition dévorante des jeunes loups de Balzac « , raconte-t-il dans son livre, Révolution (XO).

Il ne dit rien, en revanche, du conservatisme qui imprègne sa ville natale et fait peser de lourds regards sur la relation – fut-elle d’amour – entre un professeur et son élève que vingt ans séparent. Rien sur la bien-pensance des familles, les Macron, si discrets, les Trogneux, surtout, dont Brigitte est la descendante, cinq générations de chocolatiers très influents, réputés de droite. Pas un mot, non plus, sur le conformisme populaire qui rejoint celui des beaux quartiers. C’est ainsi : d’autres l’ont expérimenté avant lui, Amiens est soucieuse des apparences.

Est-ce parce qu’il a découvert, ailleurs, la liberté de vivre comme il l’entend que, de son propre aveu, Emmanuel Macron ne revient que rarement à Amiens et uniquement pour des raisons privées ? En 2014, lors des municipales, un bruit court : celui qui n’est encore qu’un conseiller de François Hollande sera candidat. Dans cette ville qui vote à 60 % à gauche, mais se donne volontiers des élus locaux de centre droit, il est presque l’homme idéal. Ce n’est qu’une rumeur. Pressé, il rêve d’horizons plus larges, plus lointains.

La cité devient, dans sa bouche, le symbole de cette France périphérique qui se sent déclassée

Il ne réapparaît à Amiens qu’en 2016. Le 6 avril, bien sûr. Puis le 25 novembre. Dédicace de son livre chez Martelle, la grande librairie de la ville, remise de décoration au Carré de la République… Déjà, Emmanuel passe, file, vole, comme s’il suffisait d’une fois pour faire un ancrage local, alimentant le procès en opportunisme. Son meeting dans les Hauts-de-France, il le fait à Lille le 14 janvier. Pas à Amiens. Désormais, dans ses discours, sa ville a une autre fonction, celle d’illustrer les thèses du géographe Christophe Guilluy, auteur de Fractures françaises (éd. François Bourin). A 150 kilomètres de Paris, frappée par la désindustrialisation – hier Goodyear, aujourd’hui l’usine Whirlpool délocalisée en Pologne et théâtre en fin de campagne des visites concurrentes de Marine Le Pen et du candidat d’En marche ! -, déchue de son statut de capitale régionale depuis un an, Amiens est, dans sa bouche, le symbole de cette France périphérique qui se sent déclassée et penche vers le Front national. La réalité est un peu différente. A Amiens, au premier tour des régionales de décembre 2015, le FN a fait un score élevé, 27 %, mais bien inférieur à la moyenne des Hauts-de-France (40 %). Et au premier tour de la présidentielle le 23 avril, l’enfant du pays est tout de même arrivé en tête (28 ,01 %) devant Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen.

En Picardie, certains n’apprécient pas l’image qu’il donne de la ville. D’autres jugent qu’il ne fait qu’exprimer la vérité. Sur ce point, les militants d’En marche ! le défendent bec et ongles. Ils sont 170, souvent peu engagés jusque-là, et revendiquent de faire de la politique autrement. Là comme ailleurs, ils s’interrogent sur le meilleur profil pour les investitures aux législatives. Mais, ici plus qu’ailleurs, ils pèsent leurs mots et leurs commentaires. Parce que, en apparence au moins, Amiens, c’est la ville des origines que s’est choisie leur champion.

Par Agnès Laurent.

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