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Un an après son exécution, l’ombre d’un opposant saoudien plane sur sa ville natale

Le Vif

Photos placardées sur des lampadaires, slogans à sa gloire: près d’un an après son exécution, l’ombre du dignitaire chiite Nimr al-Nimr, figure de la contestation contre le régime sunnite saoudien, plane toujours sur Awamiya, sa ville natale, dans l’est du royaume.

Tout au long de la route qui mène à cette cité de 30.000 habitants située à quelques encablures du Golfe, des photos de l’homme barbu sont placardées sur les poteaux des lampadaires. Dans la ville, son portrait peint en noir apparaît çi et là sur des murs, accompagné de graffitis et de slogans.

« Nous ne t’oublierons jamais », ou « Avec al-Nimr nous nous sommes engagés dans la résistance contre l’injustice et les oppresseurs », proclament certains de ces slogans.

Dans le royaume saoudien majoritairement sunnite où fleurissent d’habitude des banderoles à l’honneur du roi Salmane, de son prince-héritier et de son vice-prince héritier, l’hommage rendu à leur opposant chiite Nimr al-Nimr est inhabituel et provocateur.

Nimr al-Nimr figurait parmi 47 personnes exécutées en janvier par l’Arabie saoudite après avoir été condamnées à la peine capitale pour « terrorisme ».

Sa mise à mort avait provoqué des manifestations ponctuées de tirs et d’incendies de pneus dans la région de Qatif, dont dépend Awamiya.

Près d’un an plus tard, des témoins autour d’Awamiya ont donné un rare compte-rendu de la situation autour de cette ville, foyer de la contestation chiite et théâtre de plusieurs incidents armés ces cinq dernières années.

Séquelles toujours visibles

Les séquelles des troubles sont toujours visibles à Awamiya où des dizaines de pneus empilés récemment près d’un round-point sont, selon un habitant, « prêts à servir pour fermer la route » en cas de heurts avec les forces de sécurité.

Les murs d’une maison à deux niveaux portent encore l’impact de balles.

Mais « la vie a repris son cours », dit cet habitant, qui a toutefois requis l’anonymat en raison du regain de tension qui a suivi la récente condamnation à mort de 15 Saoudiens, majoritairement chiites, pour espionnage au profit de l’Iran, le rival chiite de l’Arabie saoudite.

Nimr al-Nimr était le principal animateur de la contestation qui éclata en 2011, dans la foulée du Printemps arabe, au sein de la minorité chiite d’Arabie saoudite. Agé de 56 ans, cet homme à la longue barbe grise tenait des prêches très suivis dans sa mosquée d’Awamiya avant son arrestation.

Concentrés dans la province Orientale, riche en pétrole, les chiites saoudiens se plaignent de discrimination.

Signe de cette marginalisation, Awamiya offre l’image d’une ville aux rues mal entretenues et, le soir, faiblement éclairées, avec des constructions vétustes.

Capitaliser sur les frustrations

Le contraste est frappant par rapport à d’autres grandes villes des riches pays pétroliers du Golfe dont les rues et les vitrines s’éclairent d’un déluge de lumières et où ont poussé des bâtiments flambant neufs.

Capitalisant sur les frustrations de sa communauté, Nimr al-Nimr tenait des propos parfois controversés qui irritaient au plus haut point les autorités de Ryad, comme en 2009, lorsqu’il avait appelé la région de Qatif à s’unir avec Bahreïn, un pays voisin à majorité chiite.

Il avait aussi provoqué la colère des dirigeants saoudiens lorsqu’il avait mis en ligne une vidéo célébrant le décès en 2012 du ministre de l’Intérieur, le prince Nayef Ben Abdel Aziz, membre de la famille royale.

Après son arrestation en 2012, le ministre de l’Intérieur de l’époque, le prince Ahmed ben Abdel Aziz, l’avait présenté comme « un déséquilibré mental ».

Au milieu des années 1950, Qatif et les localités avoisinantes « qui étaient autrefois le coeur et l’âme de la vie commerciale et culturelle » des rives du Golfe ont été marginalisées au profit de nouvelles villes pétrolières, dont Dammam (est), écrit l’historien Toby Jones.

La croissance fulgurante de l’Arabie saoudite, soutenue par l’or noir dont le pays est le premier exportateur mondial, a contrasté à la fin des années 1970 avec « l’extrême pauvreté » des régions chiites, confrontées par ailleurs à la rareté des ressources hydrauliques, ajoute-t-il.

Mais le gouvernement s’est ensuite employé à développer la province Orientale où, en novembre, le roi Salmane a inauguré ou lancé plusieurs projets hydrauliques et agricoles ainsi que des projets industriels à coût de milliards de dollars.

« Toutes les régions » du royaume jouissent de la prospérité et de la sécurité, a assuré le souverain à cette occasion.

Mais Awamiya peine à effacer les stigmates des troubles de ces dernières années, et un sentiment persistant de marginalisation.

La ville souffre en plus de l’entrée en jeu du groupe extrémiste sunnite Etat islamique (EI), qui considère les musulmans chiites comme des hérétiques. Depuis 2014, plus de 40 chiites ont été tués dans des attentats lancés par l’EI dans la province Orientale.

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