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Ukraine : le boom du tourisme intérieur

« On n’a plus la Crimée, donc je suis à Odessa ». Irina a réservé in extremis la dernière chambre d’un hôtel de luxe à près de 300 euros la nuit et profite d’une vue panoramique sur la mer Noire depuis la piscine.

Hôtels haut de gamme, pensionnats datant de l’époque soviétique ou appartements dans le centre historique: tout est plein en août dans cette ville du sud de l’Ukraine connue par sa fine gastronomie et sa folle vie nocturne. Irina Chapravska, cadre-dirigeante à Kiev, est venue à Odessa avec son fils de 9 ans pour un week-end. Cet été, elle a déjà passé des vacances à Chypre, en Corse et en Sardaigne. « Le tourisme intérieur se développe et c’est très bien. La nature est super en Ukraine et si le service s’améliore encore un peu, ce sera magnifique », explique-t-elle, grosses lunettes de soleil sur le nez.

Pour Konstantin, banquier d’affaires venu de Kiev et père de jumeaux de deux ans, le déplacement à Odessa est plus avantageux qu’en Europe malgré le prix élevé de cet hôtel, de 3.000 à 7.000 hryvnias (120 à 280 euros la nuit), exorbitant pour cette ex-république soviétique où le salaire moyen dépasse à peine 170 euros par mois. « Nous sommes jeunes, nous voulons sortir, aller au restaurant, en boîte », s’enthousiasme-t-il en jouant dans la piscine avec ses fils. « C’est à une heure d’avion de Kiev ou à quatre heures de route et c’est beaucoup moins cher » qu’à l’étranger.

Voyages à l’étranger inaccessibles

Doté d’un delphinarium, l’hôtel Nemo accueille « de plus en plus de touristes venus de toute l’Ukraine compte tenu de la situation dans le pays », reconnaît Olga Poliakova, porte-parole de l’établissement.

Elle fait référence à la dévaluation dramatique de la monnaie ukrainienne, la hryvnia, qui a perdu deux tiers de sa valeur face au dollar en un an et demi sur fond de profonde crise économique et de conflit armé avec les rebelles prorusses de l’est du pays, rendant les vacances à l’étranger inaccessibles pour beaucoup d’Ukrainiens. « Le nombre de nos clients allant à l’étranger a chuté d’au moins 50% » en 18 derniers mois, confirme Svitlana Matviïtchouk, propriétaire de la petite agence de voyage Mirabo à Kiev. Pour ne rien arranger, ajoute-t-elle, les conditions d’attribution des visas pour l’Union européenne se sont durcies depuis le déclenchement de la guerre. Et l’annexion en mars 2014 par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée, jadis une destination privilégiée des estivants sur la mer Noire, a poussé les vacanciers à chercher d’autres lieux de villégiature à l’intérieur de leur pays. Concours, bals masqués, ou cours de danse latino-américaine: face à la demande croissante, les hôtels les plus huppés comme Nemo tentent d’être à la hauteur des attentes de leurs clients qui ont dû renoncer à des vacances en Turquie ou en Egypte, devenues trop onéreuses.

‘Boom’ du tourisme intérieur

Dans un autre style, le pensionnat Belaïa Akatsia accueille une clientèle plus modeste sur le prestigieux Frantsouzski Boulevard (Boulevard français) pour à peine 440 hryvnias (17,5 euros) par personne par jour, trois repas à la cantine compris. « Avant, les touristes venaient plutôt de Russie, maintenant d’Ukraine », explique une responsable à la réception. « L’air est frais, la nourriture est bonne et il y a aussi des massages et la piscine », raconte Maria Ostapenko, venue avec sa fille de la région voisine de Kherson. Le phénomène est tel que trouver un hébergement au dernier moment à Lviv, en Ukraine occidentale, pendant son festival de jazz prisé du tout-Kiev, ou à Odessa en août devient problématique. « On peut parler d’un boom du tourisme intérieur », a déclaré à l’AFP Igor Goloubakha, président de l’association des tour-opérateurs ukrainien. Les Ukrainiens économisent sur les vacances et ceux qui voyagent « choisissent pour la plupart l’Ukraine » bien que « l’infrastructure touristique n’y soit pas encore au niveau européen ». Les prix de location de certains appartements à Odessa ont triplé par rapport à l’année dernière, raconte, sous couvert d’anonymat, une responsable d’une société de location d’appartements. L’hiver dernier, se souvient-elle, l’entreprise n’était même pas sûre de survivre.

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