Thierry Denoël

UE : secret des affaires ou opacité organisée ?

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le vote de la directive sur le secret des affaires, deux semaines après les Panama Papers, est une véritable épée de Damoclès pour les lanceurs d’alerte et les journalistes. La transparence est plus que jamais menacée. La démocratie aussi.

L’agenda politique est parfois cynique. Deux semaines à peine après les premières révélations sur les Panama Papers, le parlement européen adopte la directive « secret des affaires ». Laquelle doit protéger les entreprises contre l’espionnage industriel mais risque aussi de décourager les lanceurs d’alertes et les journalistes d’investigation. Or, sans ces derniers, sans lanceurs d’alerte courageux, qu’ils soient intéressés ou idéalistes, aucun « leaks » ne serait jamais sorti. Surtout pas le LuxLeaks, qui, en 2014, avait révélé les noms de 300 grandes entreprises ayant bénéficié des super-rulings luxembourgeois pour faire fondre leur assiette fiscale. Les lanceurs d’alerte risquent déjà gros. Antoine Deltour, le jeune auditeur de PwC qui a révélé les noms des 300, peut se voir condamner à cinq ans de prison pour violation du secret professionnel. Ironie du sort ici aussi, son procès doit justement débuter le 26 avril prochain devant le tribunal correctionnel de Luxembourg.

La directive, votée hier, a certes été amendée, à la demande principalement du groupe des Verts, mais son champ d’application reste très large. Deltour a déjà déclaré que son cas ne rentrait pas dans le champ d’application de l’exception censée protéger les lanceurs d’alerte… Par ailleurs, l’eurodéputé écologiste français Pascal Durand a souligné que si les journalistes ne peuvent être condamnés pour avoir fait leur travail, il faudrait que cela soit expressément écrit dans le texte. Ce qui n’est pas le cas. Bref, l’épée de Damoclès a pris forme, ce jeudi, au PPE. Le lobbying puissant des grandes entreprises a bien fonctionné. L’opacité des affaires a de beaux jours devant elle et est désormais mieux protégée. Même des leaks comme ceux sur les offshores sont menacés. Si la directive prévoit d’exonérer les lanceurs d’alerte qui révèlent des fautes, des malversations ou des activités illégales contraires au bien public, c’est sur eux que repose la charge de la preuve. Idem pour les journalistes. Ils devront donc davantage se prémunir juridiquement avant de lancer une révélation. Qui va s’y risquer désormais ?

Pour les Verts, une directive spécifique sur les lanceurs d’alerte, définissant un statut juridique et une vraie protection des vigies citoyennes, paraît désormais incontournable. La Commission UE n’y pas encore répondu favorablement. De toute façon, le temps qu’un tel texte voit le jour, soit voté, puis transposé dans les législations nationales, les lanceurs d’alerte resteront vulnérables, plus que jamais. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la démocratie.

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