Un rassemblement de citoyens turcs en route vers le palais de justice. © DR

Turquie : « le procès de Cumhuriyet est hautement symbolique »

Le Vif

Jour J pour la liberté de la presse en Turquie. Ce lundi s’est ouvert le procès de 17 membres du journal Cumhuriyet (République en turc), l’un des plus anciens quotidiens du pays, connu pour son opposition au gouvernement de Recep Tayyip Erdogan.

Journalistes, rédacteur en chef, caricaturiste, directeur administratif… ils sont accusés de soutien à des organisations terroristes, des accusations qui s’inscrivent dans le cadre des purges massives de l’après coup d’état du 15 juillet 2016. Onze d’entre eux sont en détention préventive depuis bientôt neuf mois. Le tribunal d’Istanbul devrait se prononcer en fin de semaine sur leur maintien en prison ou leur remise en liberté. Plusieurs organisations internationales dont Reporters sans frontières (RSF) et PEN international pour les écrivains en prison suivent le procès. Pour Erol Onderoglu, représentant de RSF en Turquie, les accusations ne tiennent pas debout.

Vous êtes un habitué du palais de justice d’Istanbul. Quelles sont vos impressions aujourd’hui?

Erol Onderoglu : Je passe depuis des années deux jours par semaine dans ce palais de justice pour couvrir le procès de mes confrères. Le procès de Cumhuriyet est hautement symbolique dans la mesure où il porte atteinte aux valeurs du journalisme défendu par les milieux laïques. Cumhuriyet fait partie du patrimoine du journalisme de la sphère républicaine en Turquie. Si la justice turque et le gouvernement parviennent à réduire au silence ce quotidien, cela voudra dire qu’il n’y aura plus aucune obstruction à le faire pour d’autres quotidiens plus petits de tendances diverses. Etant donné qu’aujourd’hui la quasi-totalité de la grande presse est entièrement contrôlée par les milieux proches du gouvernement, gérée par des hommes d’affaires qui ont tout intérêt à garder de bonnes relations avec le gouvernement turc pour pouvoir signer de fructueux contrats. Pour Reporters sans frontières et pour l’ensemble de la société civile turque et internationale, il est primordial d’assurer la protection des journalistes de Cumhuriyet et d’éviter que la société civile en Turquie soit complètement bafouée.

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Quels sont les moyens de défense de ce quotidien indépendant face à l’état turc?

Il y a tout d’abord une société civile qui arrive à oeuvrer de manière positive, souriante et dynamique. Mille cent avocats se sont inscrits pour pouvoir défendre trois de leurs confrères qui font partie du groupe des 17 accusés de Cumhuriyet et dont certains sont emprisonnés. La société civile ne lâche pas. Il n’est pas seulement question de défendre un petit quotidien qui tire à 50 000 exemplaires, mais de défendre le mode de vie de toute une population qui a toujours cru aux valeurs européennes, occidentales et modernes. Ces gens-là se mettent ensemble pour éviter le pire, qui serait l’extinction d’une vie moderne en Turquie.

Que va-t-il se passer cette semaine ? S’attend-on à un verdict en fin de semaine ?

On ne s’attend pas à un verdict étant donné qu’il ne s’agit que de l’ouverture du procès. Les accusés vont être auditionnés et à la fin de cette première audience qui va durer quatre ou cinq jours, le tribunal se prononcera sur les demandes de libération. On saura jeudi soir ou vendredi si certains, ou l’ensemble, on l’espère, des accusés seront libérés. Mais le procès continuera et prendra des mois voir des années avant d’être clôturé.

Ils sont accusés de soutenir des organisations terroristes sans en faire partie…

La justice ne sait pas trop quoi faire. A l’origine, ils étaient accusés de soutenir la mouvance politique de Fetullah Gülen (imam turc, ancien allié du président Erdogan, devenu sa bête noire, NDLR) qui est désigné comme le responsable du coup d’état avorté de l’été 2016. Il n’y a aucune preuve ou pièce à conviction qui puisse établir ce lien. Associer un quotidien de tendance laïque républicaine avec Fetullah Gülen, est aberrant, cela ne tient pas debout. D’ailleurs, les actes d’accusation de certains accusés ont varié pendant la période d’enquête. Je pense que pour la justice turque c’est assez dramatique de faire ce genre d’accusation. La société civile turque sait très bien que ces accusations ne tiennent pas debout, qu’elles ont pour objet d’éliminer ce quotidien de la sphère médiatique.

Propos recueillis par Elodie Perrodil

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