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Turquie: Erdogan l’inflexible

Le Vif

Le Premier ministre turc tient fermement les rênes du pouvoir depuis plus de 10 ans en Turquie. Il s’appuie sur la popularité son parti en hausse ces dernières années. Ses succès lui sont-ils montés à la tête? Retour sur son parcours.

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan affiche une confiance sans faille depuis le début des manifestations.
Sûr de lui, il n’a même pas retardé le voyage prévu au Maroc, en Algérie, et en Tunisie. « La situation est en train de se calmer. (…) A mon retour de cette visite, les problèmes seront réglés », a-t-il déclaré depuis Rabat. Alors que le président Abdullah Gül et le vice-président Bülent Arinç, avaient tenu des propos plus conciliants, Recep Tayyip Erdogan s’est montré inflexible: « Je ne sais pas ce qu’a dit le président, mais pour moi la démocratie vient des urnes », a-t-il déclaré.

Abdullah Gül avait jugé qu' »une démocratie ne signifie pas seulement (une victoire) aux élections ». « Il est tout à fait naturel d’exprimer des opinions différentes (…) par des manifestations pacifiques », avait-il proclamé.

Des milliers de personnes sont descendues dans la rue depuis vendredi, d’abord pour dénoncer les projets d’urbanisation du Premier ministre. Dans un second temps, la brutalité de la répression a réveillé les rancoeurs de la jeunesse turque contre l’autoritarisme de plus en plus affirmé de Recep Tayyip Erdogan. Les manifestants dénoncent les politiques conservatrices et teintées d’islamisme imposées par le gouvernement de l’AKP, dans un pays à la population très majoritairement musulmane mais doté depuis près d’un siècle d’un régime laïque.
L’homme le plus important depuis Atatürk?

Mais pour l’intéressé, fort d’une popularité plusieurs fois confirmée dans les urnes depuis 2002, les protestataires ne sont qu’une « poignée de vandales ». L’assurance de Recep Tayyip Erdogan, est confortée par ses succès électoraux. « C’est un Premier ministre qui a été élu par 50% de la population il y a seulement deux ans. Il est très confiant », explique Hugh Pope, de l’International Crisis Group.
Recep Tayyip Erdogan tient fermement les rênes du pouvoir depuis plus de 10 ans. Son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) a même amélioré son score à chaque élection législative : 34% en 2002, 47% en 2007, 50% en 2011.

Parti de rien -il vendait dans son enfance de la limonade à Kasimpasa, un quartier populaire d’Istanbul- le chef de l’AKP a gravi les échelons du pouvoir jusqu’à être considéré comme l’homme d’Etat le turc le plus important depuis Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne. Il peut également se targuer d’avoir relevé l’économie turque, autrefois sujette à des crises à répétition: le revenu par habitant a triplé en Turquie depuis son arrivée au pouvoir. « Monsieur Erdogan a misé sur l’économie pour amadouer un peu les masses, il n’a pas mal réussi, la société de consommation bat son plein en Turquie (…) et les gens en profitent, ils achètent vraiment à la pelle », commente le politologue Cengiz Aktar, de l’université stambouliote de Bahçesehir.

Les limites de la formule « consomme et tais-toi »


« Mais il faut croire que la formule qui consiste à dire ‘consomme et tais-toi’ a des limites, (…) on veut aussi des libertés », poursuit l’universitaire. Mais ces succès lui ont monté à la tête, et depuis plusieurs mois, les critiques contre son mode de gestion des affaires s’accumulent. « Je ne suis pas un dictateur. Ce n’est même pas dans mon sang », a-t-il asséné dimanche. Pourtant, le Premier ministre est régulièrement accusé de dérives autoritaires et de vouloir « islamiser » la société turque. Ses attaques régulières contre les médias et la multiplication des procès pour complot contre le gouvernement, qui ont jeté en prison des centaines de civils proches de l’opposition et de militaires, sont régulièrement critiquées par les défenseurs des droits de l’Homme, qui s’insurgent aussi du nombre de journalistes turcs emprisonnés.
Musulman pratiquant, Recep Tayyip Erdogan, 59 ans, a une nouvelle fois provoqué la colère des milieux libéraux il y a 11 jours en faisant voter une loi restreignant la consommation et la vente d’alcool – le texte doit encore être promulgué par le président pour entrer en application.

« Il ne peut pas rester indifférent longtemps »

« Nous parlons d’un gouvernement qui a été au pouvoir depuis 2002 et qui a constamment amélioré ses scores électoraux. Cela doit naturellement conduire à un épuisement, et aussi à un excès de confiance en soi », a commenté Kamer Kasim, du centre d’études USAK, basé à Ankara.

Mais le chef du gouvernement ne devrait pas rester indifférent à la pression de l’opinion publique à un moment où les autorités turques sont engagées dans de délicates négociations de paix avec les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), selon Hugh Pope. « C’est un pragmatique », souligne Hugh Pope, il sait qu’un affaiblissement de sa position pourrait menacer ses efforts pour mettre fin à 30 ans de conflit armé avec l’insurrection kurde dans le sud-est de la Turquie. Des efforts qui pourraient, s’ils sont couronnés de succès, inscrire en grosses lettres le nom d’Erdogan dans l’Histoire, et pour lesquels le Premier ministre a pris des risques politiques considérables, ajoute-t-il.

Le Premier ministre aurait tout intérêt à engager un dialogue avec le gros des manifestants, souligne Hugh Pope. Il y aurait d’autant plus intérêt qu’une élection présidentielle est prévue l’an prochain et que sa candidature est attendue. Le chef du gouvernement espère d’ailleurs réformer la Constitution pour renforcer les pouvoirs présidentiels -actuellement limités- d’ici au scrutin.

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