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Tunisie : le tourisme de la révolution a commencé

Quarante jours après la fuite du président Ben Ali, les tour-opérateurs reprennent les vols vers la Tunisie. Une agence locale propose déjà un « circuit de la révolution ».

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

Les cendres de la révolte tunisienne ne sont pas encore retombées que, déjà, certains projettent d’en faire un atout touristique. Une agence de Tunis va proposer prochainement un « circuit de la révolution du Jasmin », qui mènera les touristes devant des lieux devenus emblématiques, comme le ministère de l’Intérieur, toujours protégé par des blindés, l’immeuble désormais vide du RCD (le parti de l’ex-président Ben Ali), la casbah où des milliers de citoyens venus des gouvernorats se sont rassemblés pour un sit-in, les avenues de Paris et de Habib Thameur, par où s’enfuyaient les manifestants, etc.

Voyeurisme ? Souheil Mouldi, patron de l’agence Expedition, s’en défend : « Les Tunisiens voient cela d’un bon oeil. Sur le site Tuniscope, 130 apprécient l’initiative, un seul m’accuse de vouloir « commercialiser le sang des martyrs ». » Dans le cas présent, il ne s’estime pas plus un « profiteur » que les éditeurs qui publient des ouvrages sur les affres du régime Ben Ali, provoquant des attroupements devant les librairies locales. Formé aux Etats-Unis, Doulmi aime sortir des sentiers battus : « Je propose depuis longtemps un circuit des vins tunisiens, mais aussi un tour des palais des beys, alors que le régime Ben Ali voulait précisément occulter ce passé », souligne-t-il.

La demande pour le circuit de la révolution pourrait émaner des Tunisiens eux-mêmes. Quand Souheil nous emmène à La Marsa (nord de Tunis) pour découvrir la villa où vivait Belhassen Trabelsi, beau-frère de l’ex-président, nous ne sommes pas seuls. Des familles entières avec enfants pénètrent dans ce qui était récemment un havre de luxe face à la mer. Tout a été pillé, détruit, voire incendié. Fascination et haine se mêlent dans les regards. En bas d’un escalier désossé, un type vend pour 10 dinars (5 euros) des photos de mariage de Belhassan, trouvées parmi les décombres. Des gamins posent devant une piscine glauque, comme s’ils étaient les maîtres du lieu. Les murs sont tagués de slogans sans équivoque tels « C’est le destin de tout voleur » ou « Bien mal acquis ne profite jamais ». Mais il ne l’avait pas encore acquis : « Belhassen n’avait payé qu’un acompte au propriétaire précédent », explique Souheil.

Le circuit ne se cantonne pas à Tunis. Souheil voudrait emmener ses clients à Sidi Bouzid, la ville d’où est partie l’immense révolte, à 250 kilomètres de la capitale. Il compte bien organiser des rencontres avec Manouba Bouazizi, mère du jeune vendeur de fruits qui s’est immolé. La photo de celui-ci s’étale sur un monument en plein centre d’une place qui porte désormais son nom. Une ONG locale projette de créer un musée de la révolution. Avec la charrette du jeune homme ? En ville, on raconte qu’un dignitaire des Emirats au-rait proposé 20 000 dollars pour se la procurer, mais les habitants ont refusé.

Prématuré, ce circuit ? C’est que la révolution est toujours en cours. Les blindés n’ont pas encore rejoint les casernes et les forces de l’ordre restent aux aguets. A Tunis, des manifs permanentes animent l’avenue Bourguiba, chargées de revendications en tout genre. Quelques milliers de Tunisiens ont encore défilé le 20 février pour réclamer la démission du gouvernement de transition dirigé par Mohamed Ghannouchi, l’ex-Premier ministre de Ben Ali, et protéger les acquis de la révolution.

FRANÇOIS JANNE D’OTHÉE

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