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Tuerie de Newtown: Obama face à l’histoire

Les larmes d’un président, visiblement bouleversé par l’atroce tuerie de Newtown, resteront dans les mémoires de l’Amérique. Le pays connaîtra-t-il un meilleur moment pour faire passer une loi sur le port d’armes?

Les larmes d’un président, visiblement bouleversé par l’atroce tuerie de Newtown, resteront dans les mémoires de l’Amérique. Elles marquent le temps de l’émotion et du recueillement dont toute société humaine a besoin après une tragédie aussi insoutenable, incompréhensible et désespérante. « Il y a un temps pour tout », dit l’Ecclésiaste (3-1), et celui de la douleur est un passage obligé dans toutes les destinées: il en va d’un individu comme de tout un peuple, il faut d’abord s’incliner, savoir recevoir le choc, laisser parler la souffrance infinie des pères, des mères, des frères et des soeurs, dont la vie est désormais ravagée par un acte inconcevable qui ne résulte d’aucune fatalité.

Mais après s’être exprimé « en tant que parent », Barack Obama ne pourra pas faire comme si le deuil refermait la plaie béante, comme s’il n’existait aucun lien entre ce massacre et le choix fait par la société américaine depuis plus de deux siècles. Il devra parler en tant que président. L’homme qui porta tant d’espoirs, et qui vient d’être réélu, sera investi le 4 janvier prochain. Il est inimaginable que son discours d’investiture ne comporte pas une forte injonction en faveur de la révision de cette trop fameuse liberté de porter des armes, lamentablement érigée au rang de droit fondamental. Obama n’a plus rien à perdre: il n’est plus rééligible, conformément à la Constitution américaine, et ne peut que briguer une position dans les livres d’histoire. Si le carnage de Newtown n’était pas suivi d’un geste politique très fort, le jugement de l’histoire serait définitif vis-à-vis d’un président qui, déjà, porte le lourd manteau de la déception sur tant de plans. Ce sera sans aucun doute très difficile et il n’y aura que des coups à prendre.

Un argument historique

Le droit de porter des armes est garanti, non tant par le IIe Amendement de la Constitution des Etats-Unis (1787) que, plus précisément, par l’interprétation donnée par les Républicains à ce même Amendement. Le statut des armes aux USA est donc un mélange de Constitution et de politique, d’où la difficulté à le démanteler. En effet, le texte dit exactement : « A well regulated Militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms, shall not be infringed. » Ce qui se traduit par: « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. » Ajoutons que cet Amendement, avec 9 autres Amendements adoptés en 1789 et tous ratifiés en 1791, fait partie du Bill of Rights, la Déclaration des droits, qui comprend aussi la liberté de presse, de parole, de religion ou de réunion. Le droit de porter des armes repose sur un élément crucial de l’indépendance américaine, laquelle fut obtenue après la guerre contre les Anglais: ce sont les Anglais qui, pour empêcher toute rébellion des Américains, les empêchaient de s’armer. Il y a un argument historique, ou traditionnel, qui situe le droit de porter des armes aux origines mêmes de la République américaine.

D’où il ressort deux lectures. Pour les Républicains, qui soutiennent au plus près le lobby des armes, c’est chaque individu qui a le droit de porter des armes, liberté présentée comme irréfragable. Pour les Démocrates, ce droit ne s’exprime que dans le cadre d’une « milice bien organisée »; il ne saurait concerner tous les individus pris en tant que tels (ou alors dans des conditions de déclaration qui devraient s’accompagner d’un permis de port d’armes, dûment enregistré et limité). En fait de « milice bien organisée », on sait combien le lobby des armes est efficace et menaçant aux Etats-Unis; il a toujours veillé à bloquer toute tentative de restriction du port d’armes. Exemple: en 2008, dans une décision célèbre (District of Columbia versus Heller), la Cour Suprême des Etats-Unis a stipulé que l’autodéfense est un élément central du droit américain et confirmé que chaque citoyen a le droit de posséder une arme. L’édifice juridique est donc très difficile à démonter, il est accroché comme une arapède au droit américain. Seule une volonté politique très forte, et constante, pourrait faire vaciller cet effrayant échafaudage dont on a vu encore les effets à Newton. Ce qui paraît, en l’état actuel, plus qu’improbable.

Raison de plus pour que Barack Obama exprime une autre voix, non pas celle du réalisme (auquel il n’a que trop cédé durant son dernier mandat), mais celle du souhaitable et du nécessaire. On sait qu’il a besoin des Républicains pour faire passer son train de hausses fiscales pour éviter la faillite de l’Etat. A priori, ce n’est vraiment pas le moment de provoquer l’opposition et de parler du droit de détenir une arme: mais y-a-t-il un meilleur moment pour faire le bien qu’après les ravages du mal? Obama a quatre années pour faire de cette cause la sienne. Il ne parviendra pas tout seul à modifier les lois et l’interprétation républicaine du IIe Amendement; mais il peut atteindre de plein fouet, et dénoncer de manière décisive, l’absurdité révoltante de ceux qui défendent un principe dont les dommages se comptent désormais en vies d’enfants.

Il y a encore quelques décennies, il existait trois sujets qui obscurcissaient le ciel américain: la ségrégation raciale, la peine de mort et le droit de porter des armes. Le premier est tombé, progressivement, au prix d’un long et difficile combat – dont Barack Obama est précisément le plus vivant des symboles. Les deux autres tâches demeurent. Nul autre mieux qu’Obama ne peut oeuvrer à leur effacement, en commençant par dire haut et fort ce qui n’est plus tolérable. Quitte à ne pouvoir agir concrètement, Barack Obama peut prendre fermement position contre le droit de porter des armes, y mettre tout son poids de Prix Nobel de la Paix et poser ainsi sur les institutions une stèle à la mémoire des enfants de Newtown.

Christian Makarian

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