Jean-Pascal Labille

Trump : nous rêv(i)ons d’un autre monde

Jean-Pascal Labille Secrétaire général Solidaris

L’élection de Donald Trump impose à la classe politique en place de se réveiller. Et de proposer une société différente que l’actuelle. Le secrétaire-général de Solidaris lance les premières pistes.

« Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres ». Jamais cette citation de Gramsci n’est parue aussi pertinente pour décrire la situation dramatique que vit l’époque moderne. Faire un saut dans le passé pour penser le présent est plus que jamais indispensable. Donald Trump est en effet devenu président des Etats-Unis en s’adressant à la souffrance du peuple « abandonné » et en faisant l’amalgame entre cette souffrance et un nationalisme nostalgique. La colère s’est ainsi dirigée contre le système et toutes ses composantes.

Ne soyons pas aveugles, le néolibéralisme est en grande partie responsable du cauchemar que nous traversons. Il a des conséquences très directes pour les gens : abaissement du niveau de vie, perte d’emploi, diminution des pensions, précarisation accrue, creusement des inégalités, perte d’espoir en l’avenir pour soi-même mais aussi pour les générations futures…

Car ne nous voilons pas la face, l’onde de choc risque de se poursuivre si la classe politique en place ne se réveille pas. Voit-elle encore la réalité des souffrances de la population ? Nous nous devons de savoir comment vit notre environnement pour comprendre et agir avant que le pire ne se produise.

Depuis quelques années, Solidaris réalise des études « Thermomètre » qui évaluent l’évolution de la société. Une constante s’impose : 20 à 30 % de la population belge francophone se sent abandonnée et les inégalités sociales n’ont jamais été si grandes. Ces hommes et ces femmes traduisent le sentiment de vivre dans un univers hostile. Ils se sentent marginalisés par une société qui n’intègre pas leurs préoccupations, par une mondialisation qui détruit le modèle social et par des politiques néolibérales qui alimentent la peur de l’autre. Ils considèrent que les décideurs politiques sont trop éloignés de leur propre réalité. Ils ont le sentiment qu’on les a dépossédés de tout, y compris de leur propre avenir. Ils sont convaincus que leurs enfants vivront moins bien qu’eux. Légitimement, la colère gronde. Face à celle-ci, le discours politique et médiatique répond à un problème structurel social (paupérisation, inégalités sociales,…) par une problématique identitaire (les étrangers, les migrants, les travailleurs de l’Est,…).

Le fait de gommer les dominés de la réalité, de ne pas faire l’effort mental de se mettre à leur place, de ne pas agir contre ce qui n’est pas une fatalité, c’est faire comme si la situation de pauvreté, de misère ou d’oppression n’avait aucune conséquence sur leur vie quotidienne. Et aucune importance. C’est aussi autoriser l’idée que pour s’en sortir tout est question de volonté et d’effort. La grande perversité de ce système est que les individus qui ont intériorisé ces formes de domination et de contrôle en viennent à culpabiliser de leur condition alors qu’ils ne sont pas responsables. La victime est devenue coupable.

Prenons trois exemples

  1. Les 900 millions d’économies dans le budget des soins de santé, qui seront suivies d’autres au nom du sacrosaint équilibre budgétaire provoqueront une véritable onde de choc pour tous ceux qui craignent de ne plus pouvoir se soigner. Ces mesures aliment le rejet d’un système qui participe à la construction d’une société où les clivages grandissent : « les riches » qui pourront toujours se soigner, les « pauvres » à qui l’on retire tout. C’est donc bien une déconstruction systématique du mécanisme solidaire de la sécurité sociale, dernier rempart de la cohésion sociale. C’est aussi l’affaiblissement, voire une perte importante, du filet social protecteur qui rendait l’avenir possible. Alors que des promesses de ne pas toucher au budget de soins de santé avaient pourtant été faites….
  2. Aujourd’hui coexistent des mesures de contrôle exacerbés des allocateurs sociaux et une baisse de la fiscalité sur les plus riches. Ces mesures participent à alimenter l’idée que ces allocataires sociaux sont des « profiteurs » et donc à rejeter sur eux la responsabilité alors que ce sont les plus riches qui bénéficient toujours de plus. Quant à la classe moyenne, elle se sent entourée justement de « profiteurs » ou de « gagnants » de la mondialisation. Elle se nourrit de ressentiment, se vivant elle-même comme étant perdante.
  3. Dans la gestion de la crise migratoire, à côté d’une omniprésence médiatique d’un secrétaire d’Etat défendant des positions à la limite de l’éthique et du respect des Droits de l’Homme, on passe sous silence les exemples de terrain où l’accueil des migrants se passe sans difficultés. Songeons à Yvoir, Hotton ou Walcourt, là précisément où les craintes étaient les plus exprimées.

La compréhension des mécanismes de domination doit nous aider à réfléchir l’action sociale du présent. Canaliser le mécontentement populaire grandissant vers la destruction de murs plutôt que leur construction, voilà le grand défi politique de l’époque moderne ! Et pour ce faire, les acteurs politiques, intellectuels et médiatiques devront alimenter les programmes, les idées et les débats en allant à la rencontre de ce que vivent les gens. N’oublions pas que la peur sociale et identitaire paralyse, favorise le repli sur soi et dresse les peuples les uns contre les autres. Il est donc plus que jamais temps d’agir et de générer dans un futur proche les leaders et idéaux politiques à proposer aux hommes et aux femmes en colère. Une équation qui vaut aussi pour nous, les démocrates européens.

C’est la raison pour laquelle nous devons être aujourd’hui dans une posture offensive d’alternative. La résignation et la passivité n’ont pas leur place face à l’ampleur des dangers qui se pressent à notre porte.

Comment semer des graines d’espérance ? Inventons-les ensemble.

Cela passe d’abord par une écoute attentive et un dialogue avec les personnes qui se sentent « oubliées du système ». Chacun a soif et faim de vivre dans une société plus égalitaire où les droits de l’homme, de tous les hommes, singulièrement les droits sociaux sont une primauté.

C’est cet idéal qui requiert que nous bâtissions demain une société différente. Le défi est énorme. Il est exaltant. Aujourd’hui, inventer un autre monde est l’affaire de chacun. Plus que jamais, nous avons besoin à présent d’une politique consciente et responsable dont le programme se base sur une réelle redistribution des richesses et attaque à la source les inégalités sociales. Une politique qui permet à chacun de vivre sa vie, qui favorise l’acceptation de l’autre dans ses différences, une politique porteuse d’espoir et d’un futur meilleur pour toutes et tous.

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